La vie en Rolls

2015/04/15 | Par Michel Rioux

« Vous avez besoin de moi car je suis riche et vous êtes pauvre ; faisons donc un accord entre nous ; je permettrai que vous ayez l’honneur de me servir, à condition que vous me donniez le peu qui vous reste pour la peine que je prendrai à vous commander. »

-Jean-Jacques Rousseau, 1755

Il y a de ça plusieurs années, une conversation entre collègues m’avait fait à nouveau comprendre qu’il n’était pas donné à tout le monde de voir la vie en rose, manière Piaf.

« C’est une Cadillac que vous voulez ! », s’était exclamé un brillant PDG d’une prospère PME, nanti peut-être d’un MBA, pas encore au XXM sans doute, mais bourré, par contre, de toutes les subventions disponibles et ayant versé 3000 $ au Parti libéral en se disant que ça pourrait aider dans la vie.

Le brillant PDG commentait ainsi le projet d’une première convention collective déposé par le syndicat nouvellement accrédité dans son entreprise.

Le malheur, avec une comparaison mal contrôlée, c’est qu’elle peut provoquer une embardée, un peu comme une automobile qui se retrouve dans des terres agricoles. Ce propriétaire de PME, voyez-vous, roulait en… Rolls Royce. Mais prenant tardivement conscience de l’énormité de la chose en de telles circonstances, il ne se présentait plus à la table de négociation qu’au volant de la Volvo de sa femme…

C’est ainsi que je prenais à nouveau cruellement conscience, 2000 ans après la fondation du christianisme, 200 ans après la Révolution française, 30 ans après la Révolution tranquille et 10 ans après l’adoption des Chartes des droits et libertés, que la vie est drôlement plus facile quand on est riche et en santé que pauvre et malade et que, de plus, comme l’avait si bien illustré Churchill, on est un homme d’affaires si on vole une compagnie de chemin de fer, mais un voleur si on vole un rail.

Le premier est nommé au Sénat, l’autre se retrouve en prison.

Il fut un temps où un grand quotidien montréalais, La Presse, publiait chaque lundi un résumé des transactions réalisées à la Bourse de Montréal par des « initiés ». Expression en réalité fort révélatrice en ce sens qu’elle s’applique à une personne qui se trouve dans le secret des choses ; une personne qui aurait traversé avec succès les rites d’une quelconque initiation, passage obligé pour une « admission à une religion, un culte, dans une société secrète, à un état social particulier ».

La chose s’étalait en toute impudence. On apprenait ainsi que M. Untel, haut dirigeant de la compagnie Unetelle, avait acheté, par exemple, 40 000 actions à 12 $ l’unité, et 10 000 payées celles-là 13,50 $ pour les revendre le même jour en encaissant un profit rapide de 360 000 $.

Cela se racontait comme un match de baseball, comme un miraculeux voyage de pêche. Cela était décrit comme si les dollars en question en étaient de Monopoly !

On a mis fin à cette chronique, visiblement gênante. Mais on n’a pas mis fin à la pratique, qui a toujours cours.

Mais bon sang ! Ces dollars de la Bourse, ces parachutes dorés, ces paies de séparation indignes, ces retraites mirobolantes accordées à ces amis du régime qui sont loin d’être au régime, ce sont les mêmes, imprimés par l’Hôtel de la Monnaie, que ceux avec lesquels on verse un maigre salaire à la femme de chambre, au préposé aux bénéficiaires dans un CHSLD et à l’ouvrière qui voit passer devant son plan de travail, dans l’abattoir froid et humide, 4000 poulets à l’heure !

À toutes les époques, les boursicoteurs, spéculateurs, agioteurs, abonnés des paradis fiscaux et autres spécimens de même acabit se sont livrés à des activités proprement parasitaires, faisant officiellement profession de faire travailler de l’argent qui, la plupart du temps, se trouve être celui des autres, s’arrangeant entre eux pour qu’il y en ait le moins possible au bas de l’échelle.

En Vulgarie, ce pays situé sous le 45e parallèle où règne la vulgarité, on a l’invention fertile pour s’assurer qu’il en soit ainsi. Au Kansas, on a adopté ces derniers jours des mesures humiliantes pour que les personnes qui reçoivent de l’aide publique – moins de 500 $ par mois – soient encore davantage infantilisées.

Il leur sera désormais interdit d’avoir accès à des piscines et autres activités récréatives comme des centres équestres, à des magasins de vêtements, à des…croisières.

Pour ne pas être en reste, le Missouri envisage d’interdire l’achat de viande et de poisson aux personnes retirant de l’aide alimentaire. Il faut que ce qu’on leur donne soit dépensé raisonnablement, plaident les élus républicains.

Les spécialistes ont inventé l’expression société duale pour indiquer que les premiers rôles s’empiffraient de gâteau alors que les figurants devaient se contenter de miettes.

Usque tandem Catillina abutere patientia nostra ?