Transition énergétique – amorcer une rupture

2017/02/16 | Par IREC

La nouvelle politique énergétique du gouvernement du Québec fixe des objectifs unanimement accueillis comme ambitieux pour 2030. Malheureusement, rien dans cette politique n’est proposé pour véritablement obtenir des résultats. C’est dans l’idée de pallier à ce grave manque que l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) a publié au cours du mois de janvier 2017 son rapport de recherche : Transition du secteur énergétique – amorcer une rupture.

On y propose un ensemble de mesures qui permettraient d’atteindre les objectifs fixés par Québec après avoir dressé un état des lieux et fait le portrait des tendances historiques en matière de consommation d’énergie. Sont ensuite présentées les analyses des enjeux ainsi que les propositions de l’Institut en matière de transition et de financement de chacune des quatre grandes filières stratégiques choisies dans l’étude : l’efficacité et la sobriété énergétique, la filière éolienne, la filière de la biomasse forestière et, finalement, les biocarburants.

Le scénario proposé dans le rapport pour la filière de l’efficacité énergétique repose sur la maîtrise de l’énergie spécifique à chacun des trois principaux secteurs (bâtiment, transport, industrie). La proposition centrale est la création d’une agence autonome pour la maîtrise de l’énergie et des énergies renouvelables qui aurait les moyens financiers d’agir et qui le ferait en partenariat avec les organismes existants dans ses domaines d’intervention.

La création de Transition énergétique Québec (TEQ) annoncée par le gouvernement du Québec ne répondant pas à ce besoin central, le rapport propose des modifications à y apporter:

  • que TEQ fasse la promotion de plans territoriaux en matière d’efficacité énergétique et de transition vers une économie sobre en carbone auprès de toutes les MRC, plans qui deviendraient obligatoires d’ici 2030;
  • que TEQ mette en place, dans les secteurs du bâtiment et des transports, des systèmes de cotation énergétique obligatoire de manière à mieux informer les consommateurs et à appuyer la règlementation publique en matière d’efficacité et de sobriété énergétique;
  • que TEQ et le gouvernement du Québec lancent un Fonds de financement de projets d’efficacité énergétique consacré exclusivement au secteur industriel. Ce fonds serait constitué en collaboration avec des partenaires financiers et serait  accompagné d’une  stratégie de développement industriel visant des créneaux de produits à forte intensité énergétique mais à faible émission carbone (FIE-FEC);
  • Pour le financement de TEQ, nous proposons trois sources principales : le versement d’un tiers des revenus du Fonds Vert; une augmentation des quotes-parts des distributeurs d’énergie pour soutenir l’efficacité énergétique et,  enfin la gestion de la part québécoise des investissements fédéraux dans l’économie propre.

Au total, nos propositions conduisent à un financement annuel moyen (sur 15 ans) de près de 880 millions $ pour TEQ.

La filière éolienne au Québec a été implantée au tournant du 21e siècle, sur la base d’un modèle de développement distinct de celui qui a présidé à l’essor de l’hydro-électricité au Québec. Ce modèle a en effet réintroduit la possibilité d’une production énergétique d’envergure à des fins lucratives, possibilité qui avait pourtant été éliminée avec la deuxième nationalisation de l’hydro-électricité lors de la Révolution tranquille.

Ce modèle a cependant été assorti d’objectifs de politique industrielle et de développement régional, qui lui ont donné une certaine légitimité sociale. Bien qu’il soit avéré que les meilleurs gisements éoliens exploitables se trouvent au nord du Québec, à proximité des lignes de transport d’Hydro-Québec, les quatre appels d’offres réservés à l’énergie éolienne qui ont été ouverts entre 2003 et 2013 ont d’abord ciblé la Gaspésie. En plus d’attribuer des contrats fermes d’achat d’énergie éolienne, ces appels d’offres ont principalement visé à obtenir des effets structurants sur le développement économique de cette région. Il faut cependant souligner, sur la base des faits constatés, que ces effets structurants n’ont constitués que la mince contrepartie d’une perte de contrôle public de la filière, puisque Hydro-Québec a été retiré du jeu. Il faut en effet rappeler que les deux premiers appels d’offres, qui ont jeté les bases de la filière en totalisant à eux seuls près de 3000 MW de capacité installée, ont été remportés par des promoteurs privés, principalement des multinationales de l’énergie dont les sièges sociaux se situent à l’extérieur du Québec.

Il importe donc de repenser le modèle de développement de cette filière, ainsi que de sa contribution à la transition énergétique du Québec, en remettant Hydro-Québec au cœur de son déploiement et en renonçant à la production énergétique à des fins lucratives. De plus, la conception de nouveaux projets de parcs éoliens devra privilégier des projets de substitution énergétique dans des régions et des sites industriels éloignés, qui ne sont pas connectés au réseau intégré.  

La biomasse forestière résiduelle (BFR) est appelée à se démarquer essentiellement dans les systèmes de chauffe. Agissant comme source de substitution aux énergies non renouvelables et polluantes comme le mazout lourd et léger, la biomasse forestière peut rapidement devenir une solution de court terme et permettre des actions rapides en faveur de la transition énergétique.

La dernière politique énergétique promet une augmentation de 50% de la biomasse dans le portefeuille énergétique québécois. Pour que la biomasse forestière parvienne à atteindre cet objectif, il faut une approche de financement innovatrice et capable de soutenir une stratégie d’envergure. Elle doit reposer sur une vision intégrée embrassant l’ensemble des enjeux de la gestion de la chaîne d’approvisionnement, de la matière brute jusque vers la matière finale permettant le chauffage. Il faut tenir compte d’une caractéristique spécifique de la biomasse: en comparaison des autres sources énergétiques composant le portefeuille québécois, les enjeux de financement de la filière portent moins sur le prix de la molécule que sur les besoins en immobilisation requis pour la mise en place des infrastructures de traitement et de combustion propre à la BFR. Les modes de financement actuels, axés sur la réduction des gaz à effet de serre, ne permettent pas le déploiement des moyens nécessaires au soutien de la filière. Présentement, seul le fonds biomasse développé par le FQCF et Fondaction peut le permettre. Pour éviter ces obstacles, une approche intégrée de la production d’énergie doit être réalisée et le modèle d’ESCO (Energy services COmpany) est un moyen original de pouvoir limiter les risques de la chaine d’approvisionnement pour la clientèle. Elle est complémentaire du financement des immobilisations et de la mise en œuvre d’un contrat de Tarif d’achat garanti (TAG).

Dans le cadre le cette mise en œuvre, l’État a un rôle primordial. Il doit à la fois être un exemple dans la mise en œuvre de politiques et de plans d’action adaptés à la filière,  coordonner les actions de structuration de cette filière à travers une planification intégrée de ses actions et développer des dispositifs de financement institutionnels adaptés afin de minimiser les risques.

Le rapport complète son tour d’horizon en s’attardant aux enjeux liés aux biocarburants. Des propositions complémentaires visant cette fois à remplacer la consommation de carburants fossiles par des carburants alternatifs sont énoncées. La démonstration se déploie sur cinq  axes :

  1. L’adoption d’une règlementation et d’un encadrement institutionnel approprié, de sorte à s’assurer que l’essence vendue au Québec soit composée en plus grande partie de biocarburants;
  2. La mise en œuvre d’une stratégie de développement d’une grappe bioindustrielle pour créer  le contexte favorable à  l’implantation d’une industrie de la chimie verte ;
  3. La création  d’une chaîne d’approvisionnement fiable en matières premières biosourcées et la mise en place d’une politique d’approvisionnement à l’échelle du Québec pour réguler la concurrence croissante pour  l’accès aux matières premières en région ;
  4. La valorisation des surplus énergétiques comme actif pour la transition, en particulier en jetant les bases d’une stratégie de développement à grande échelle d’une filière de l’hydrogène sur l’horizon 2030, entre autres par le biais d’une production de méthane par méthanation et d’hydrogène par électrolyse ;
  5. La structuration d’une offre de financement adapté à la filière.