Le Canada régi par le complexe militaro-industriel

2018/11/23 | Par Pierre Jasmin

Le Devoir peut toujours compter sur un éditorialiste capable de sens critique : Pascal Élie

Cette semaine a été marquée, selon mon expérience de couverture du dossier militaire canadien, par un déficit de démocratie de fond du baril : nos médias ont relayé complaisamment les doléances du vérificateur général Michael Ferguson sans examiner plus loin leur bien-fondé.

Le Devoir, en qui on espère toujours[1], s’est signalé par une déplorable hypocrisie. Sous couvert d’un rapport de Marie Vastel, l’éditorialiste Manon Corneiller écrit : « Ferguson ne s’attarde pas à tout l’imbroglio toujours irrésolu du remplacement des vieux CF-18. Il se demande plutôt si le Canada pourra respecter ses engagements renouvelés auprès de l’OTAN et de NORAD malgré les risques associés à la flotte de CF-18. »

Remet-elle en question les dits engagements dénoncés par le Mouvement Québécois pour la Paix et par le collectif Échec à la guerre qui a dû payer des milliers de $ pour faire connaître le 3 novembre aux lecteurs du Devoir la position pacifiste de trente-trois organismes québécois ? Le Devoir a-t-il relayé nos dénonciations de l’OTAN et de Trump réclamant  une hausse de l’engagement militaire jusqu’à 3% de leur PIB des pays « alliés », alors que la Grèce a fait faillite en leur obéissant dans le passé, en dépit des avertissements de leur gloire nationale Mikis Theodorakis[2] ?

Photo de Harjit Sajjan par Kilpatrick de La Presse canadienne

Non, le Devoir a fidèlement rapporté les sages paroles de notre ministre de la Défense, à savoir  que le Canada n’investit pas suffisamment dans sa Défense, faisant référence sans doute aux opérations guerrières colonisatrices de sa mission pacificatrice héroïque en Afghanistan (qui a encore souffert cette semaine d’une attaque meurtrière des Taliban). On sait qu’il a refusé le document de juillet 2016 que j’avais rédigé pour les Artistes pour la Paix lors du réexamen de la politique canadienne de défense[3].

Et la suave éditorialiste revient à la déclaration de M. Ferguson à l’effet que « les investissements ne suffiront pas pour permettre au Canada d’avoir chaque jour un nombre suffisant d’appareils disponibles afin de répondre au niveau d’alerte le plus élevé du NORAD et d’honorer dans le même temps l’engagement du Canada envers l’OTAN ». Je crois entendre le ministre conservateur de la Défense sous Mulroney m’accusant, six mois avant la chute de Berlin, d’être responsable d’une éventuelle conquête du Canada par l’URSS (sic !), après qu’on ait fait dérailler ses plans d’acquérir d’onéreux sous-marins nucléaires réclamés par l’OTAN. Il serait amusant de s’enquérir quel est le seuil d’alerte élevé (re-sic !) qui met en péril la défense territoriale du pays…

Et voici la finale du brillant éditorial : « Une conclusion s’impose. On n’en serait pas là si le processus d’achat n’avait pas été influencé depuis 20 ans par toutes sortes de calculs politiques, s’il n’avait pas déraillé sous les conservateurs et s’il ne piétinait pas indûment sous les libéraux. » Quel courage dans la dénonciation qui se garde bien de préciser les calculs politiques du complexe militaro-industriel au service duquel elle met son titre accusateur : « Des CF-18 usés et peu de militaires pour les piloter »!

Au secours! Le Canada doit couper immédiatement TOUS LES TRANSFERTS AUX PROVINCES pour permettre à Trudeau d’honorer sa promesse de hausser le budget militaire de 73 milliards de $[4]! Avec en priorité l’achat à coups de dizaines de milliards de $ de meurtriers chasseurs-bombardiers (F-35?) et frégates militaires d’attaque, dont les médias ne parlent que pour critiquer le partage inégal économique entre provinces de Colombie-Britannique, de Nouvelle-Écosse et du Québec… Quand on parle de déficit démocratique!

Et les mêmes médias nous laissent dans l’ignorance des derniers plans guerriers du Pentagone, tels que révélés dans « Nuclear Posture Review 2018 », où la Chine et la Russie devenus les ennemis no 1 supplantent la menace terroriste et doivent être combattus par de nouvelles hausses réclamées par le secrétaire à la Défense Jim Mattis du budget militaire américain, pourtant déjà douze fois supérieur au budget russe (SIPRI).

Et pendant ce temps la planète croule sous les attaques d’un réchauffement climatique déréglé, accentué par la soif de pétrole des armées nord-américaines qui réclament des pipelines, en plus d’émettre des gaz à effets de serre en quantités délétères. Peut-on sérieusement espérer que le nouveau « conseil consultatif » désormais piloté à Ottawa par Steven Guilbeault en fasse sa première ou même sa dixième résolution?

 


[1] Le journal a accueilli avec courage en juillet dernier ma libre opinion suivante :

https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/532606/les-refugies-sont-victimes-du-militarisme

[2] Récompensé il y a bientôt vingt ans par un doctorat de l’UQAM à titre d’ « artiste pour la paix » par la rectrice Paule Leduc.