Masques, cagoules, et démocratie : légitimité et légalité

2019/05/03 | Par Yves Claudé

Photo : Attaque du théâtre Plaza à Montréal, par des groupes masqués, le 26 novembre 2016 © Yves Claudé
 

L’auteur est militant antiraciste et antifasciste

Depuis une vingtaine d'années au Québec, on peut observer dans les manifestations, des scènes de violences organisées par des groupes d'individus masqués ou cagoulés. Ce fut le cas, entre autres, lors du Sommet des Amériques à Québec en 2001, et dans certaines manifestations de la grève étudiante de 2012. C'est alors que la question de la légitimité de la dissimulation du visage dans l'action politique a été posée, en même temps que celle de l'impunité relative d'actes criminels perpétrés dans un certain anonymat.

La stratégie de « Black Bloc » (groupe compact d'individus masqués) mise en scène par certains groupes organisés en 2012, utilisant les manifestants pacifiques comme bouclier humain pour affronter la police, a nui à l'image du mouvement étudiant, et a été l'occasion de la promulgation à Montréal du règlement P-6, qui interdisait le port de masques et obligeait à fournir un itinéraire lors des manifestations. Ce règlement a été invalidé en 2016 par la Cour supérieure du Québec.

 

Légitimité et légalité

La question de la légalité de la dissimulation du visage dans les manifestations étant judiciairement réglée, revenait à la surface de la conscience collective et des interrogations médiatiques, celle de la légitimité. En effet, les violences rituelles des réseaux anarchistes et maoïstes, programmées lors des émeutes annuelles du 15 mars et du 1er mai à Montréal (et à d'autres occasions...) ont pu passer pour des espaces d'un défoulement carnavalesque, utiles comme soupape dans une société sous pression, mais les coûts humains, matériels et financiers ont commencé à susciter de sérieuses résistances chez les citoyens de la ville.

 

Des pratiques d'émeute au terrorisme  

La banalisation de la violence dans une sous-culture anarchisante, portée par un effet de mode dans la jeunesse étudiante, a progressivement pris des formes à la fois plus graves et diversifiées, impliquant des réseaux clandestins avec des acteurs plus âgés et aguerris. Des cagoulards ont commencé à attaquer des commerces de nuit, à effectuer du vandalisme et du sabotage industriel, dans des stratégies de terrorisme de basse intensité, de plus en plus sophistiquées.

Parmi les plus récentes actions nocturnes, l'attaque d'une firme d'architectes, du vandalisme sur des résidences et véhicules de citoyens, etc... Ces actions criminelles sont, encore actuellement, commanditées, revendiquées et outillées techniquement, via une entité virtuelle « cagoulée », anonymisée et délocalisée à l'étranger, le site « Montreal-Counter-Information ». La virtualité masquée et les techniques de dissimulation devraient-elles garantir l'impunité ?

 

Le lynchage en bandes organisées

En mars 2017, ce qui prenait antérieurement la forme de lynchage d'individus isolés, dans des actions ponctuelles, s'est transformé en une stratégie de contrôle des rues par la violence, pour « interdire » des manifestations de groupes adverses, en l'occurrence, La Meute, qui faisait alors sa première sortie publique.

Le 20 août 2017, c'est dans la ville de Québec que cet interdit de manifester à l'encontre de La Meute a encore été lancé par des groupes d'« antifas », masqués et cagoulés, alors que la question de la violence politique a de nouveau surgi. Des scènes de saccage et de vandalisme dans la capitale nationale ont à la fois étonné et choqué, tout autant que l'extrême brutalité du lynchage de citoyens isolés, marqués au visage à la peinture noire pour être ensuite bastonnés par les cagoulards.

Le 11 avril 2018 à Montréal, c'est aussi une réunion de membres du parti politique français La République en marche (LREM) qui a subi les assauts violents d'une milice cagoulée.

 

De la nécessité d'une « digue » politique et légale !

Face aux débordements actuels et futurs d'une mouvance fascisante, qui avance masquée, tout en laissant de flagrants indices sur son passage (comme cette bannière proclamant « Mort à la démocratie ! Vive l'anarchie ! », lors de la manifestation anarcho-islamiste tenue à Montréal le 7 octobre 2018), apparaît la nécessité d'une « digue », politique et légale !

Les récentes menaces de violence contre une librairie montréalaise, qui avait osé inviter Mathieu Bock-Côté à un débat, ont suscité des réactions qui témoignent d'un consensus social de plus en plus évident pour mettre fin à l'impunité des masqués et cagoulés.

De plus, une manifestation familiale en faveur du projet de loi 21 de la laïcité, qui doit se tenir ce samedi 4 mai à Montréal, a été l'objet d'une autre « interdiction » de la part d'une coalition de groupes cagoulés, réputés pour leur violence, se revendiquant outrancièrement de l'« anarchisme » et de l'« antifascisme ». Quelle sera l'issue de la confrontation organisée par ce qu'il faut bien qualifier de milices ?

La dissimulation du visage dans l'action politique est une question de légitimité, et il est vrai qu'elle ne se pose pas de la même manière dans tous les contextes, dans une société où la liberté d'expression est verrouillée par une dictature, ou dans une société démocratique et de droit – certes imparfaite – comme la société québécoise.

Mais il est temps d'agir, avant de se trouver dans une situation telle que celle qui affecte la capitale de la France, avec la violence extrême des groupes adeptes du « Comité invisible » (cf. le manifeste « L'Insurrection qui vient »). C'est pourquoi nos représentants à l'Assemblée nationale ont le devoir de prendre leurs responsabilités, politiquement en condamnant les violences masquées, et en établissant une digue légale, qui pourrait – si les technicalités juridiques le permettent – prendre la forme d'un article proscrivant masques et cagoules dans les manifestations, parmi les dispositions du projet de loi 21. Comme toute législation, celle-ci serait à appliquer avec discernement. Elle aurait par ailleurs été précédée par la motion déposée à l'Assemblée nationale le 20 septembre 2017 (suite aux violences dans la ville de Québec), « condamnant la violence sous toutes ses formes et le port de masques dans les manifestations ».

Dans une démocratie, la violence politique est illégitime, en particulier celle qui met en péril la liberté d'expression et de manifestation, c'est ce que nos élus doivent avoir le courage d'affirmer haut et fort, et d'inscrire dans le code de vie légal de la Société québécoise !