Accélération des changements naturels … et politiques

2019/05/10 | Par Pierre Jasmin

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Conférence de presse du New Deal vert.

1- Des néodémocrates verts aux élections d’octobre?

L’Île-du-Prince-Édouard a élu fin avril en première canadienne une opposition forte du Parti Vert. En Colombie-Britannique, sur l’île de Victoria, contre Jason Kenney devenu premier ministre en Alberta avec l’argent des pétrolières en vue d’agrandir le pipeline Transmountain au détriment de notre planète, l’élection fédérale partielle du 6 mai témoigne d’un formidable esprit de résistance en bousculant les alignements traditionnels : les Verts d’Elizabeth May[i] ont gagné 38% des votes exprimés, les Cons et le NPD ayant reçu respectivement 24 et 23% des suffrages, tandis que les Libs terminaient bons derniers des grands partis avec à peine 11%. S’il est vrai qu’une élection partielle libère l’expression d’électeurs non préoccupés de porter au pouvoir (ou bloquer) un grand parti, l’ampleur de la défaite libérale surprend dans une province qui a élu en tête aux dernières élections 17 libéraux, dont l’ex-ministre de la Justice Jody Raybould-Wilson. Si la politique était plus proactive, Parti Vert et NPD s’allieraient à Jody et à l’ex-ministre Jane Philpott dans un NPDVert, en union stratégique de bien commun anti-pétrolier avec le Bloc Québécois.

Au Québec, aussi le six mai, « une soixantaine de groupes d’horizons divers affirment qu’il est devenu urgent d’agir pour contrer la crise climatique et invitent les gouvernements à sortir de leur torpeur dans les plus brefs délais ». Dans une série de conférences de presse à travers le Canada, ces organisations de scientifiques, d’Autochtones (la militante anichinabée Carole Brazeau, pas sur la photo), de professionnels de la santé (le docteur Éric Notebaert avec ses lunettes rouges), d’étudiants, d’artistes (Dominic Champagne à droite), de syndicats et d’environnementalistes tels le professeur de climatologie Damon Matthews, le documentariste Will Prosper et sa fille (à gauche) lancent un appel à un « New Deal » vert. D’autres étudiantEs se mobilisent, indignés d’un examen au secondaire contenant une question du ministère suggérant de s’«adapter» aux changements climatiques, au lieu de « lutter contre ». Car la question de l’urgence bien exprimée par la DUC[ii] se constate de plus en plus : inondations, incendies de forêt, vagues de chaleur, fonte du pergélisol en Arctique, autant de signes de la catastrophe en devenir que l’humanité n’a plus les moyens d’ignorer. Le Pacte est signé au Québec par 273 000 personnes!  Messages qu’un  rapport de l’ONU publié le même jour rend exemplaires, voire visionnaires.

 

2- L’ONU appelle à des « changements transformateurs »

Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier.

Le dangereux déclin de la nature :
Un taux d’extinction des espèces « sans précédent » et qui s’accélère

« La réponse mondiale actuelle est insuffisante: des « changements transformateurs» sont nécessaires pour restaurer et protéger la nature. Les intérêts particuliers doivent être dépassés pour le bien de tous. C’est l’évaluation la plus exhaustive de ce type: un million d’espèces sont menacées d'extinction.

“La nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l'histoire humaine - et le taux d’extinction des espèces s’accélère, provoquant dès à présent des effets graves sur les populations humaines du monde entier”, alerte le nouveau et historique rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, approuvé lors de la 7ème session plénière de l'IPBES, réunie du 29 Avril au 4 mai à Paris.

« Les preuves accablantes contenues dans l’évaluation globale obtenues à partir d'un large éventail de domaines de connaissance, présentent un panorama inquiétant », a déclaré le président de l’IPBES, Sir Robert Watson. « La santé des écosystèmes dont nous dépendons, ainsi que toutes les autres espèces, se dégrade plus vite que jamais.».

Le rapport est le document le plus exhaustif réalisé à ce jour. S’agissant du premier rapport intergouvernemental de ce type, il s’appuie sur l’évaluation historique des écosystèmes pour le millénaire (Millenium Ecosystem Assessment) de 2005 et introduit de nouveaux moyens d’évaluation des preuves. Élaboré par 145 experts issus de 50 pays au cours des trois dernières années, avec des contributions additionnelles apportées par 310 autres experts, le rapport évalue les changements au cours des cinq dernières décennies et fournit un aperçu complet de la relation entre les trajectoires de développement économique et leurs impacts sur la nature. »

 

3- Il y a vingt-sept ans, tels des canaris dans une mine[iii]

Est-ce encourageant ou plutôt décourageant d’observer qu’en 1990, l’Institut des sciences de l’environnement (ISE) fondé 2 ans avant le Sommet de Rio (ONU), par l’écologiste Pierre Dansereau, lançait dans la déclaration de Vancouver un signal d’alarme retentissant dans le milieu universitaire, mais aussi dans les milieux sociaux progressistes? Les Artistes pour la Paix lancent l’Enquête populaire pour la paix et la sécurité conjointement avec cinq responsables politiques (trois issus des grands partis, dont Douglas Roche du parti progressiste-conservateur[iv] le regretté professeur Jules Dufour de l’UQAC et Konrad Sioui[v]. L’enquête qui recueille plus de six cents mémoires à travers le Canada, établit que la sécurité mondiale passe par des militaires moins guerriers, tels les Casques Bleus, équipés pour aider les populations inondées ou victimes des changements climatiques (déjà dénoncés par le GIEC dès 1988). L’enquête s’intitulait : À l’heure des grands changements dans le monde: pour une nouvelle conception de la sécurité. Son rapport[vi] affirme que « la politique canadienne doit aborder tous les aspects de la sécurité et garantir, dans le présent comme dans le futur, de combler les besoins fondamentaux des citoyens : nourriture, abris, soins médicaux, éducation, droits de la personne, harmonie sociale, paix, ainsi qu’un environnement naturel dans un état acceptable. La sécurité canadienne dépend de la sécurité des autres États et de toute l’humanité, personne ne peut être en sécurité s'il y en a parmi nous qui ne le sont pas ». Et notre murale autochtone (dont j’ai introduit la photo, félicité par le Premier ministre Jean Chrétien, dans la version en français du rapport final de l’Enquête) montre clairement les droits innus violés par les essais des avions à basse altitude de l’OTAN au Nitassinan. Cette murale peinte au mois d’août 1990, en pleine crise d’Oka (Kanesatakeh), même si elle montrait des protestataires autochtones arrêtés pour leur résistance aux autorités, est restée intacte pendant près de deux décennies coin Berri et Cherrier, illustrant ainsi l’esprit non raciste des Montréalais. Soucis pour l’environnement et respect des Premières Nations vont de pair avec la défense des grands principes de l’ONU contre les militarismes de Trump, de Trudeau et de l’OTAN.

 

 

[i] En juillet 2007, lors du Congrès international Pugwash en Nouvelle-Écosse, j’avais échoué à la convaincre de s’allier avec le NPD, avant l’élection partielle de Thomas Mulcair à Outremont.

[iii] L’expression « un canari dans une mine» fait référence à une ancienne pratique de mineurs qui apportaient des canaris dans les mines de charbon. Très sensible aux émanations de gaz toxiques, le petit oiseau jaune servait de détecteur (un peu comme les lanceurs d’alerte, tel l’agronome Louis Robert au Québec ou les Julian Assange, Chelsea Manning et Edward Snowden dénonçant l’invasion de nos vies privées par les services secrets USA : budget 2018 estimé à 81.5 milliards de dollars). Lorsque le canari s’évanouissait, les mineurs se dépêchaient de sortir de la mine afin d’éviter une explosion ou une intoxication imminentes. On ne peut pas sortir de notre planète…

[iv] Douglas Roche a reçu le 25 avril dernier de la part de l’International Peace Bureau et de Pugwash Canada le prestigieux Sean McBride Award du nom du créateur d’Amnistie Internationale.

[v] Toujours à la tête de la nation huronne-wendat, Konrad Sioui a défendu cet été la pièce Kanata de l’APLP de l’année, Robert Lepage, récompensé par le président André Michel. Le 10 mai en après-midi, ce dernier propose à l’ATSA Quand l’Art passe à l’Action la recette innue de bannique.