« Selon que vous serez… »

2023/09/01 | Par Michel Rioux

Il arrive que certains évènements, plutôt anodins en apparence, se révèlent porteurs d’informations fort utiles quand il s’agit d’évaluer les valeurs profondes qui guident les choix d’une société.

Une récente correspondance de Revenu Canada ne m’a pas ouvert les yeux, non; elle m’a plutôt conforté dans une opinion que je me suis faite depuis longtemps: tout le monde n’est pas traité de la même manière dans une société qui carbure aux profits et où les plus gros sont l’objet d’attentions soutenues, quand ce n’est pas d’une obséquiosité suspecte aux yeux de ceux qui croient encore à l’égalité de traitement entre les personnes, quelle que soit leur condition.

Effectuant un retour d’un an, Revenu Canada m’informe que, pour l’année d’imposition 2021, un nouveau calcul fait en sorte qu’on me réclame un peu plus d’une centaine de dollars, à quoi s’ajoute une somme de 26,98 $ en intérêts accumulés. On m’accordait 21 jours pour régler ma dette, à défaut de quoi je n’ose penser à ce qui me serait arrivé en cas de non-paiement.

Comme tout bon contribuable, peut-être faible en maths, mais foncièrement honnête, je me suis acquitté de cette dette le jour même.

Mais, depuis, tout ce qui touche à la fiscalité canadienne m’intéresse au plus haut point. Et ce que je subodorais, sans trop m’y attarder, est devenu très clair pour moi. Eussé-je joué dans les grandes ligues, j’aurais sans aucun doute possible été traité avec beaucoup plus d‘égards. Les savants analystes nous expliquent en effet que celui qui joue avec son argent – le capital – (ou celui des autres, c’est selon…) voit la moitié de ses gains boursiers exonérée d’impôt, alors que celui ou celle qui bosse du matin au soir – le travail – (ou du soir au matin, c’est selon…) voit la totalité de ses allocations de subsistance touchée par l’impôt…

J’en ai eu une première preuve à la lecture d’un texte, dans Le Devoir, d’une sociologue de l’UQAM, Dahlia Namian : Ô Canada, ce paradis fiscal… Cette dernière rappelait qu’un homme d’affaires québécois, un dénommé Benoît Laliberté, devait plus de 55 millions $ en impôts, taxes et amendes depuis onze ans, tout en continuant tout bonnement à brasser des affaires.

Dans Le Journal de Montréal cette fois, c’est Michel Girard qui nous en mettait plein la vue. Il rappelait, ce que le commun des mortels vit douloureusement, qu’alors que les revenus d’emploi, de retraite et d’intérêts sont entièrement imposables, « seulement la moitié des revenus tirés des gains en capital est imposable ». On aura compris que ce n’est pas le travailleur à salaire ou la caissière qui peuvent profiter de ces largesses. Ce sont les contribuables riches.

« Selon les dernières données fiscales, a écrit Girard, à eux seuls 199 310 riches contribuables canadiens, dont 35 480 Québécois, ont ainsi empoché en 2020 des gains en capital de quelque 35 milliards $ totalement à l’abri de l’impôt. Ce qui représente un revenu non imposable d’environ 175 600$ par tête de riche contribuable. »

Il poursuivait en soulignant qu’il y a eu, en 2020, 1410 riches contribuables, dont 370 Québécois, qui ont trouvé le tour de ne pas payer un sou d’impôt sur des revenus de plus de 250 000$. Par « tête de riche contribuable », rappelait-il, on entend ceux qui ont déclaré un revenu de 250 000$ et plus. Revenu Canada a dénombré en 2020 un total de 373 110 contribuables canadiens dans cette catégorie de revenu, dont 65 380 Québécois.

Je ne suis pas arrivé à retrouver la source de cette information parue il y a quelques années. Mais je me souviens très bien d’un jugement de la Cour fédérale imposant à un contribuable ayant une énorme dette à l’endroit de Revenu Canada de payer chaque mois un montant ridicule pour l’effacer. Tellement ridicule qu’en se fondant sur la loi des probabilités, cette personne aurait continué de payer sa dette des décennies après son décès… Cela aurait dû me mettre la puce à l’oreille, car à l’instar du roi Balthasar, qui vit apparaître sur le mur les trois mots : Mane, Thecel, Phares, j’ai été trouvé trop léger, donc pas assez important, pour qu’on m’accorde les mêmes attentions et privilèges que ceux réservés aux très bien nantis!

« La vitesse de la lumière dans le vide, soit 299 792 458 m/s = 2,997 924 58 × 108 m/s (environ 300 000 km/s), ce qui correspond à un facteur c2 d'environ 9 × 1016 m2 s−2. » C’est la théorie de la relativité d’Einstein. Mais nul besoin d’y avoir recours pour comprendre ce qui se passe !

Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir…

C’est de La Fontaine. Non ! Pas le gars du pont-tunnel, toujours bloqué. Celui qui a écrit des fables qui se sont révélées avec le temps pas mal proches de la réalité.

On le disait fabuliste, mais il ne fabulait pas, le gars!