La destruction de milieux humides et hydriques

2024/04/12 | Par Marc Nantel

La saga de Northvolt a mis en lumière qu’il est possible sans BAPE et sans analyse approfondie de remblayer des milieux humides sans se soucier des impacts environnementaux. Il suffit de s’engager à compenser monétairement ces milieux. Comme si le versement d’une somme d’argent ou la promesse de réhabiliter un autre milieu pouvait remplacer la perte de la biodiversité.

En payant un dédommagement, la compagnie s’en remet au ministère pour réparer ou aménager de nouveaux terrains qui, en principe, devraient être de la même qualité que ceux détruits.

La destruction de milieux humides et hydriques (MHH), qui sont indispensables pour notre qualité de vie, a commencé au début de l’industrialisation. Ces milieux, dans les régions habitées bordant le fleuve Saint-Laurent, sont maintenant presque tous dénaturés.

Le gouvernement se penche depuis plusieurs années sur ce problème environnemental majeur. En 2017, il dépose une règlementation qui cherche à protéger les MHH. Le préambule de la loi est : l’État doit viser le « zéro perte nette » en matière de milieux humides.  Le plan d’action cherche à éviter, minimiser ou compenser la destruction de ces milieux. 

Malheureusement, depuis le dépôt de cette loi, le gouvernement ne cherche qu’à ajuster le tir afin de répondre aux objections des entreprises et des communautés qui désirent s’installer sur ces milieux. À titre d’exemple, des villes et villages de l’Abitibi ont crié haut et fort que les compensations exigées pour la destruction des milieux humides rendaient le développement des municipalités impossibles puisque l’Abitibi est «couvert de milieux humides et hydriques».

Ils ont eu gain de cause et des amendements ont été apportés à la loi. Le gouvernement a changé la pondération des critères de la formule mathématique afin de réduire les coûts au m² de façon substantielle. On verra plus loin comment la formule est appliquée.

Malgré la nouvelle règlementation, on ne peut que constater qu’il est très simple d’obtenir l’autorisation de détruire un site afin de permettre l’implantation d’une industrie. La compensation monétaire est la solution la plus souvent utilisée. On cherche à accommoder les promoteurs.
 

Qu’entend-on par milieux humides et milieux hydriques?

Les étangs, les marais, les marécages et les tourbières font partie des milieux humides.

• Ils jouent un rôle majeur dans le maintien de la vie en captant le CO2 dans l’atmosphère. Dans le contexte de la décarbonation de l’économie, il est donc primordial de conserver ces milieux.

• Ce sont des milieux riches en biodiversité. On y trouve plus de la moitié des espèces menacées ou vulnérables au Québec.

• Ils interviennent dans la gestion de la ressource en eau en alimentant les nappes d’eau souterraines et les cours d’eau.

• Ils régularisent le niveau d’eau à la suite des précipitations, ce qui diminue les inondations.

• Ils filtrent l’eau assurant ainsi une alimentation en eau de qualité.

• Lorsqu’ils ne sont pas saturés, ces écosystèmes limitent l’apport d’azote et de phosphore améliorant ainsi la qualité de l’eau des lacs et des cours d’eau.

Les milieux hydriques, quant à eux, sont constitués des rives, du littoral ainsi que des zones inondables et de mobilité des lacs et des cours d’eau. L’utilité de ces milieux est passablement semblable aux milieux humides.

• Ils dissipent la force des vagues et des marées ainsi que l’érosion des rives par le courant.

• Ils sont riches en biodiversité.

• Ils régulent l’eau en luttant entre autres contre les inondations.

• Ils purifient l’eau.

• Ils participent à la conservation du patrimoine naturel et génétique du territoire.

 

Calcul des compensations exigées

Je vais tenter de résumer le plus simplement possible comment le gouvernement calcule le montant exigé à titre de compensation (MC) pour la perte de MHH que doivent payer les promoteurs.

La formule :

MC = (CT + VT) X S = [(coût de base 24$/m² x facteur état initial MHH x facteur R) + VT ]

Premièrement, le coût de base au Québec du m² est actuellement de 24$. Il était de $20 au dépôt de la loi en 2017. 

Les coûts d’aménagements (CT) tiennent compte des coûts de base au m² (24$) multipliés par l’état initial du milieu (la valeur est de 1 si l’état initial est inconnu et plus bas si l’état initial est dénaturé) multipliés par la rareté du milieu (R) (en Abitibi ces milieux ne sont pas rares et à Montréal ils le sont).

On additionne ensuite la valeur des territoires (VT) aux coûts d’aménagements (CT) et on multiplie le résultat par la surface totale détruite (S).

Le prix du m² est donc largement influencé par la qualité du milieu détruit, le prix de la valeur marchande des terrains selon la région et la rareté des milieux humides.

Depuis l’implantation de la loi, voici les sommes récoltés dans la Vallée de l’Or (91,42% des territoires détruits l’ont été par l’industrie minière) et à Montréal. Dans la Vallée de l’Or, 1 112 393 m² ont été détruits et l’État a reçu en guise de compensation 3 052 873 $ soit 1,85 $ le m².  À Montréal, ce sont 217 000 m² qui ont été détruits et une somme de 7 977 471 $ a été perçue, soit 36,75 $ le m². À Montréal ce serait la qualité très mauvaise des milieux humides qui seraient l’élément majeur du faible coût le m².

Les compensations versées devraient être dissuasives et favoriser l’évitement et/ou la minimisation de la destruction des MHH. Force est de constater que ce n’est pas le cas.

En 2022 seulement, 2,6% des 100 millions de dollars recueillis ont servi au rétablissement des milieux humides ce qui est nettement insuffisant pour réparer ou naturaliser les milieux détruits. L’objectif de la loi n’a donc pas été atteint.

La stratégie gouvernementale dans ce domaine est plutôt un don financier déguisé remis aux promoteurs. L’État se retrouve à devoir réparer les milieux détruits et en assumer les coûts. Malheureusement, la valeur écologique des MHH est très peu prise en compte dans le calcul. On peut toujours acheter des milieux humides et les détruire en toute quiétude.

Northvolt bénéficie donc d’une politique avantageuse de compensation, car le milieu humide visé pour la construction de l’usine a déjà été détérioré. Pour des régions minières comme l’Abitibi, la loi ne crée pas d’entraves à l’industrie puisque la valeur marchande de ces milieux est très faible et ils sont très nombreux.