Rendre accessibles nos trésors du 7e art

2024/05/15 | Par Orian Dorais

À l’approche de notre Fête nationale, j’ai eu envie de parler de préservation du patrimoine, et plus précisément de la sauvegarde d’œuvres marquantes du cinéma québécois. À la mi-avril 2024, la cinéaste Myriam Verreault poussait un cri du cœur, sous la forme d’une publication Facebook dénonçant la quasi-disparition de son premier long-métrage À l’ouest de Pluton (2009), coréalisé avec Henri Bernadet.

La réalisatrice, qui a déjà fait l’objet d’un article dans nos pages, soulignait que son film n’est désormais plus disponible sur les plateformes de streaming, ce qui, pratiquement, le relègue aux oubliettes. Tout au long du printemps, la sortie de Verreault a animé les conversations dans le milieu audiovisuel, car plusieurs cinéastes vivent la même situation qu’elle. Même le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, s’est prononcé sur le dossier. Coup d’œil sur la situation avec Myriam Verreault.

Orian Dorais : « À l’ouest de Pluton » est maintenant presque introuvable, qu’est-ce qui vous a mis la puce à l’oreille de cette situation?

Myriam Verreault : Le film est sorti il y a quinze ans et je n’ai jamais été complètement satisfaite de sa distribution. Au moins, pendant un temps, il était disponible sur ITunes et AppleTV, ce qui lui garantissait une présence minimale en ligne. Mais, il y a déjà plusieurs mois, j’ai été alertée du fait qu’il avait été retiré des plateformes Apple. J’ai essayé de le trouver ailleurs, sans succès.

Quand un programmateur m’a demandé de faire une vidéo d’introduction parce qu’il comptait organiser un visionnement du film, je lui ai demandé où il l’avait trouvé. Réponse : il allait le projeter à partir de son DVD personnel ! C’est absurde qu’il doive utiliser une vieille copie physique, alors que j’ai en ma possession une version restaurée et non compressée d’À l’ouest de Pluton.

Elle a été faite par Téléfilm Canada en 2019 et, si je me fie aux normes de l’organisme Éléphant, elle aurait pu coûter autour de 50 000$ à produire. Donc, les contribuables ont payé des dizaines de milliers de dollars pour créer une version restaurée… que les plateformes de streaming n’ont jamais daigné mettre en ligne et qui est aujourd’hui presque inaccessible au public.

J’ai décidé d’en assurer bénévolement la diffusion. C’est devenu une sorte de baroud d’honneur pour moi. J’ai transféré le fichier restauré de mon disque dur à mon Drive et ai créé un lien pouvant être partagé à tous. Cela représente des heures de travail non rémunéré. Dans le statut Facebook qui a déclenché toutes ces discussions, j’ai annoncé que j’enverrais le lien à quiconque me le demanderait par courriel. À ce jour, j’ai reçu près de 1000 requêtes.

Après ma publication, j’ai aussi appris que plusieurs cinéastes sont dans le même bateau que moi. Anaïs Barbeau-Lavalette avec Le Ring (2007), Francis Leclerc avec Mémoires affectives (2004), André Turpin avec Un crabe dans la tête (2001) et même François Girard avec Le violon rouge (1998), qui a été nominé aux Golden Globes en 2000!

O.D. : C’est généreux de votre part de partager ainsi un lien privé vers votre long-métrage… mais n’est-ce pas illicite ?

M.V. : En théorie, c’est du piratage, parce que je ne détiens ni la propriété intellectuelle ni les droits d’exploitation d’À l’ouest de Pluton. Mais il y a, en ce moment, un système qui prend en otage plusieurs films québécois, parce que les entreprises qui ont les droits sur nos œuvres ne s’assurent pas qu’elles soient disponibles en streaming. Aujourd’hui, c’est essentiel d’avoir une présence en ligne pour exister!

Donc, entre le piratage et la prise d’otage, je préfère encore le piratage. À l’époque, on pensait qu’Internet allait pérenniser l’accès à nos longs-métrages, alors que c’est l’inverse qui se produit. Avec la disparition des clubs vidéos, les DVD et les Blu-ray de nos films ne circulent plus, nous sommes complètement dépendants des plateformes numériques.
Si les films ne se retrouvent pas sur l’une d’entre elles, l’accessibilité est presque réduite à zéro. Et même si les productions se retrouvent sur le web, elles sont cachées sous des milliers de titres américains. Mais, pour À l’ouest de Pluton et bien d’autres, on n’en est même pas à l’étape de se démarquer.

O.D. : Comment se fait-il qu’autant de productions d’ici se retrouvent dans les limbes?

M.V. : La vente des Films Séville et de Christal Films au groupe torontois Entertainment One a été un coup dur, parce que ces deux boîtes étaient responsables de la distribution de plusieurs longs-métrages québécois. Entertainment One a, à son tour, été vendu à la société Hasbro, qui détient aussi Mattel, la compagnie qui produit les Barbies. Entre ses produits Barbie et les films québécois en sa possession, je vous laisse deviner ce qui va intéresser Hasbro.

L’ancien catalogue d’Entertainment One va probablement être cédé à l’entreprise Lionsgate, mais, chez Lionsgate, en Californie, ça ne leur dit rien À l’ouest de Pluton… Il est important que la propriété intellectuelle soit entre les mains de propriétaires québécois, qui comprennent l’importance culturelle de ces films.

L’ancien président de Séville, Patrick Roy, possède encore les droits d’exploitation de certains titres, mais avec sa nouvelle société de distribution, Immina Films, il doit gérer plusieurs sorties par année. Dans ces conditions, il est difficile de s’occuper de la préservation de longs-métrages sortis il y a quinze-vingt ans, d’autant plus qu’il faut parfois négocier avec Lionsgate. Mais il faudra bien s’occuper de ce dossier un jour.

O.D. : Avez-vous des pistes de solution?
M.V. : Il y en a plusieurs. Au Québec, beaucoup d’institutions (Québec Cinéma, Télé-Québec, Tou.TV, la BAnQ, etc.) pourraient mettre l’épaule à la roue pour s’assurer de récupérer la propriété intellectuelle des films. On pourrait en appeler à la bienveillance de certaines entreprises étrangères pour récupérer les droits à bas prix. Même s’il fallait débourser plus, je crois que ça en vaut la peine. Il n’y a pas un nombre infini de longs-métrages détenus par des intérêts américains, on pourrait récupérer l’ensemble assez rapidement.

En fait, la propriété intellectuelle de tous les films québécois qui ne sont plus exploités commercialement devrait revenir au public. Je rêve d’un catalogue public. Pour le rendre accessible à tous, nous pourrions doter la cinémathèque québécoise d’un volet en ligne.

En ce moment, la cinémathèque a une mission d’archivage (chaque fois que je finis un projet, il faut faire un dépôt légal auprès de cette institution) et de diffusion, dans sa salle de cinéma à Montréal. Mais il faudrait passer par Internet pour rejoindre les spectateurs dans le reste du Québec. Je rêve d’une plateforme gérée par la cinémathèque et dédiée au cinéma de répertoire, comme le chaine Criterion aux États-Unis, qui donnerait accès à presque toute la cinématographie québécoise.

Et si des organismes fédéraux, comme l’ONF et Radio-Canada, ou des OSBL, comme Éléphant, voulaient se joindre au projet, tant mieux ! Chose certaine, il faut agir pour rassembler tous nos trésors du Septième art et les rendre accessibles.