Un bien étrange procès

 


Notes détruites... bandes vidéos perdues... des flics qui se contredisent...



Lapierre et Maynard questionnent plusieurs éléments du procès au terme duquel ils ont été condamnés à six mois de prison pour complot. Leur arrestation, la fabrication de preuves par les policiers, la collaboration de l'appareil judiciaire à cette mise en scène. Revoyons les principaux éléments du dossier que Lapierre et Maynard ont déposé aux journalistes.

L'arrestation

Une première vague d'arrestations, impliquant six accusés a eu lieu le 30 septembre 1993, soit dix-sept jours après les événements. Ce n'est que six semaines plus tard, soit le 22 octobre, que Lapierre et un autre syndicaliste ont été arrêtés. Et, contrairement à ce qui se fait habituellement en pareil cas alors qu'on envoie des assignations à comparaître, les syndicalistes ont été arrêtés et détenus en prison jusqu'à leur comparution. À signaler surtout 0 AUCUN des individus casqués qui ont défoncé la porte n'a été poursuivi en justice ! On a clairement visé la structure syndicale et ses dirigeants.

Fabrication de preuve 0 le cas Lajoie

C'est à partir du témoignage de l'agent de filature Mathieu qu'a été constitué l'essentiel de la preuve contre Lapierre et Maynard et contre le col bleu Normand Lajoie. Parlant des constatations de l'agent Mathieu, le juge Boisvert écrit 0

Ils voient des hommes descendre des véhicules et traverser la rue St-Antoine pour adresser la parole aux occupants d'un véhicule de marque Crown Vitoria immatriculé FZF-1599, stationné du côté nord de la rue. Un occupant du Crown Victoria en descend et traverse avec le groupe du côté sud alors que le Crown Victoria quitte les lieux. Près du convoi, huit à neuf personnes discutent et semblent attendre quelque chose. L'agent Mathieu identifie un seul de ces individus, soit l'accusé Normand Lajoie.

Voyons d'abord comment les agents de filature procèdent. On a appris au procès qu'ils sont en communication constante par walkie-talkie avec le poste central et que toutes leurs conversations, leurs observations sont enregistrées et consignées dans un rapport. Évidemment, il y a des risques à ce que tout soit enregistré ainsi en direct, aussi les policiers peuvent, à la fin de l'opération, corriger leur rapport d'activités, c'est-à-dire enlever des observations qui pourraient être gênantes ou en rajouter d'autres pour appuyer une thèse. Ils peuvent donc modifier la réalité.

Dans son rapport d'activités, l'agent Mathieu avait identifié certains individus, dont le syndicaliste Lajoie, et des plaques d'immatriculation. Pour s'assurer que ces identifications n'avaient pas été ajoutées au rapport après coup, la défense a demandé lors du procès à ce que soit produites les bandes d'enregistrement de l'opération et les notes personnelles que l'agent Mathieu avait admis avoir prises. Mais, ô surprise, l'agent Mathieu dit avoir détruit ses notes et il en est de même pour les enregistrements !

Des flics se contredisent

L'affirmation de l'agent Mathieu au procès à l'effet qu'il aurait vu M. Lajoie s'emparer d'un bélier dans un camion de location Monkland et s'élancer à l'assaut des portes de l'hôtel de ville sont contredites par le témoignage de l'agent Ross qui prenait place avec lui dans la même voiture lors de la filature.

Alors que l'agent Mathieu affirme être sorti de la voiture et avoir pu identifier, à l'aide de jumelles d'approche, Lajoie qui n'aurait pas porté de casque protecteur près du camion, l'agent Ross, dans son témoignage, affirme quant à lui que Mathieu ne serait pas sorti de la voiture, ne se rappelle pas qu'il ait eu en sa possession des lunettes d'approche et soutient qu'il était impossible d'identifier qui que ce soit près du camion parce qu'ils portaient tous un casque protecteur !

Le juge a considéré que tant d'invraisemblances soulevaient un doute raisonnable et a acquitté le syndicaliste Lajoie.

Cependant, malgré les invraisemblances et les contradictions de l'agent Mathieu, le juge Boisvert ne rejette pas l'ensemble de son témoignage. Ce témoignage est contredit par le rapport d'activités qu'il a rédigé le soir même. C'est le rapport qui est erroné ! Le témoignage de Mathieu est contredit par celui de l'agent Ross qui, lui, corrobore le rapport d'activités. C'est le témoignage de Ross qui est écarté !

Un témoignage qui pose problème

Dans son témoignage, l'agent Mathieu déduisait que Lapierre et Maynard s'étaient trouvés dans une voiture bleu foncé de marque Crown Victoria immatriculée FZF-1599-8, stationnée sur le côté nord de la rue St-Antoine au coin de St-Urbain, et avaient discuté avant la manifestation avec les casseurs au nombre desquels il identifiait Normand Lajoie.

Ce témoignage-clef pose plusieurs problèmes. 1. Dans le rapport, Mathieu situait la voiture du côté sud de la rue St-Antoine, mais cela n'aurait pas été crédible, parce que la plaque n'aurait pas été visible de l'endroit où il prétendait l'avoir vu ; il a donc changé sa version. 2. La Crown Victoria portant ce numéro de plaque et qui appartient au CUPE (Canadian Union of Public Employee) est de couleur verte. 3. Un autre Crown Victoria, appartenant au SCFP, qui aurait pu être présent sur les lieux, est de couleur bleu pâle et non foncé et n'a pas le numéro de plaque correspondant. 4. L'agent Ross, dans son témoignage, reconnaît avoir vu des autobus scolaires et un camion de location Monkland au coin des rues St-Antoine et St-Urbain, mais PAS DE CROWN VICTORIA !

Lapierre et Maynard réfutent ce témoignage-clef qui avait pour objectif de les relier à un complot avec les gens casqués. Ils affirment n'avoir jamais été présents au coin des rues St-Antoine et St-Urbain. Selon eux, c'est le gérant de la sécurité de la Ville, Claude Champagne, qui connaissait le numéro de plaque d'immatriculation du Crown Victoria du conseiller au SCFP, Michel Poirier, dans lequel ils prenaient place ce soir-là, qui a refilé cette information à l'agent Mathieu qui l'a intégrée par la suite dans son rapport d'activités pour fabriquer la preuve qui lui manquait.

Déboutés en appel

Lapierre et Maynard auraient pu en appeler du jugement à partir de ces technicalités. Mais ils ne voulaient pas qu'il reste l'ombre d'un doute, aussi en ont-il appelé sur le fond. Et ils ont été déboutés. C'est pour cette raison qu'ils ont choisi de présenter cette défense devant le grand public. Nous devions cela au monde syndical, à nos confrères et consoeurs et à nos familles , disent-ils.

Les cas Dastous et Maynard

Claude Champagne, le gérant de la sécurité de la Ville, s'est acharné pendant trois ans contre le militant syndical Jean Dastous. Il a déclaré le reconnaître sur les vidéos de la firme de sécurité C.V.S. même si plusieurs personnes, tant des employés que des représentants de la ville, ont dit que ce n'était pas lui. Ce n'est que lorsqu'ils ont vu que la défense s'apprêtait à faire témoigner M. Brunet, le gérant en titre de M. Dastous, qui avait affirmé avec certitude que ce n'était pas Jean Dastous qu'on voyait sur le vidéo, que la Couronne s'est décidé à aviser la Cour qu'elle ne croyait pas avoir en mains la preuve nécessaire pour faire déclarer Dastous coupable des infractions reprochées.

Le cas Denis Maynard

Dans les jours qui ont précédé la manifestation, Denis Maynard était à Québec à préparer le congrès du Conseil provincial du secteur municipal dont il était le président. Il n'est revenu à Montréal que le matin du 13 septembre pour participer aux assemblées. Aucune preuve n'a été déposée quant à sa participation à la préparation d'un complot. Pour le Syndicat des cols bleus, il est clair qu'il a été condamné parce qu'il était secrétaire-trésorier du syndicat.

Collusion entre le politique et le judiciaire

Fait troublant, le principal témoin à charge de la Ville était le gérant de la sécurité, M. Claude Champagne, qui siègeait également sur le comité de négociations de la Ville ! En fait, tout le processus disciplinaire dans ce dossier a été pris en main par le comité patronal. Politique et justice ont été entremêlées tout au long du procès. Pourtant, la division des pouvoirs entre le politique et le judiciaire est censé être la clef de voûte de notre système démocratique.

Cassettes disparues

La preuve vidéo produite en preuve était un montage fait à partir d'enregistrements de l'agence d'investigation C.V.S. embauchée par la Ville. Curieusement, lorsque les avocats de la défense ont demandé à voir les bandes originales à partir desquelles le montage avait été fait, ils se sont fait répondre qu'elles avaient DISPARU ! Soulignons que, selon le témoignage du sergent Réjean Fiset au procès, l'identification des accusés a été faite à partir d'un montage des séquences vidéos.