Une île, une ville, un ouapitte

 

À l'initiative du Festival des oiseaux, une consultation populaire se tient, ces jours-ci, afin de choisir un oiseau emblème pour Montréal. Jusqu'à maintenant, six candidatures ont été retenues pour remplacer le coq du Saint-Hubert BQQ 0 le chardonneret jaune, le faucon pèlerin, le grand héron, le merle d'Amérique, la mésange à tête noire et le petit-duc maculé.

Aucune de ces propositions aviaires ne répond à la première exigence de la fonction qui est celle d'être exclusivement un oiseau de ville. L'aut'journal propose donc un oiseau qui est une merveille d'adaptation urbaine 0 le ouapitte, qu'on connaît également sous son nom savant de wapittus urbanicus par opposition au wapittus sylvanicus, deux membres de la famille des échassiers à huppe, dont le plumage mataché est rehaussé par un col bleu de travail, en ville, et une bavette vert camouflage, en campagne.

Parfaitement adapté à son environnement, le ouapitte urbain a une patte plus longue que l'autre, celle de droite chez les mâles, et, de gauche, chez les femelles. Cette anomalie permet au ouappitte de longer les chaînes de rues avec une patte sur l'asphalte de la chaussée, et l'autre, sur le ciment du trottoir.

Dans la saison des amours, les mâles, qui couplent aux femelles du trottoir d'en face, doivent traverser les artères de la métropole, au risque de leur vie, et, on espère bien qu'après la reconnaissance du ouapitte comme oiseau emblème de Montréal, on ajoutera une vignette à son effigie sur les feux de circulation, entre celles qui protègent déjà le piéton et le cycliste, de la vindicte des automobilistes.

Travailleur de rue, compagnon des riches et des humbles, comparse des filles perdues et des mauvais garçons, le ouapitte fait le trottoir en permanence. C'est l'oiseau marcheur par excellence.

À toute heure du jour ou de la nuit, les citadins accusent sa présence au son caractéristique de son chant, qui marque chaque pas de sa démarche claudicante, en égrenant un chapelet de stie ! stie ! stie ! sourds et colériques. Nul montréalais ne peut demeurer insensible à cet oiseau grognon qui sait incarner avec autant d'éloquence la grogne qui est aux grandes villes ce que l'ivresse est aux profondeurs de la mer.