Au pain et à l’eau comme dans le bon vieux temps...

 

Au Canada, 96 % des travailleuses domestiques étrangères, en majorité philippines, sont victimes d’exploitations diverses, parfois extrêmes. Sous-alimentation, exploitation économique, surcharge de travail, harcèlement sexuel, intimidation et isolement forcé sont au nombre des abus décrits et décriés par Myriam Bals, chercheure et consultante en immigration, dans son livre intitulé Les domestiques étrangères au Canada, esclaves de l’espoir.

Ayant recueilli le témoignage de centaines de ces jeunes femmes, Myriam Bals relate ici les expériences parmi les plus dramatiques auxquelles personne ne peut rester indifférent.

C’est le cas de Suzy et Jenny, toutes deux philippines, venues au Canada pour exercer leur profession d’infirmière. Sans personne pour les informer de leurs droits, elles se sont retrouvées domestiques pour des employeurs sans scrupules. Pendant deux mois, toutes deux n’ont reçu comme seule nourriture que du pain et de l’eau, et elles durent travailler sept jours par semaine pour un salaire inférieur au salaire légal.

L’expérience de Sylvia, d’origine indienne, est tout aussi pathétique. Contrainte par ses employeurs à ne pas sortir de la maison sous prétexte de la protéger des dangers, elle fut ainsi coupée du monde pendant plusieurs années. En plus des menaces et d’intimidations, Sylvia n’a touché que 250 $ pour huit mois de travail, à raison de sept jours par semaine. Si ces expériences extrêmes ne peuvent être généralisées à l’ensemble des travailleuses rencontrées par l’auteure, il n’en reste pas moins que toutes travaillent approximativement 75 heures par semaine.

La complicité d’Immigration Canada

Myriam Bals pointe du doigt les règles du jeu trop restrictives imposées par Immigration Canada qui contribuent à perpétuer des situations d’abus. Parmi celles-ci, l’obligation pour les jeunes femmes de travailler pour un même employeur à temps plein pendant deux ans comme condition d’obtention du statut de résidente permanente. Chaque changement d’employeur et chaque mois perdu compromettent leurs chances d’obtenir la résidence permanente. Cette obligation décourage un grand nombre d’entre elles à quitter des situations d’abus ou encore à dénoncer leur employeur.

Chacun des acteurs concernés tire profit de ce système abusif. Les premiers bénéficiaires, les employeurs eux-mêmes, évitent ainsi des frais de garderie et de femme de ménage. Le gouvernement fédéral empoche des dollars pour l’octroi de permis de travail sans compter les économies qu’il réalise en soins spécialisés auprès de personnes malades, handicapées et âgées, services de plus en plus en demande dans le cadre du programme pour les aides familiaux résidents.

De son côté, le gouvernement provincial, qui partage avec le fédéral la responsabilité de sélectionner les candidates, se fait payer pour l’émission de certificats de sélection. Sans oublier les avocats sans scrupules qui profitent grassement de l’ignorance de celles qui tentent de contourner le système de sélection officiel en croyant pouvoir acheter leur permis de travail. Généralement, endettement et désillusion attendent celles-ci.

Résultat de plus de dix années de recherche et d’engagement personnel, le livre de Myriam Bals a le mérite d’être bien documenté et de présenter de façon exhaustive tous les aspects de la problématique. Si on peut lui reprocher son style un peu trop didactique, elle réussit tout de même à nous communiquer son indignation et à nous sensibiliser à une cause encore trop mal connue.

Myriam Bals, Les domestiques étrangères au Canada, Esclaves de l’espoir, Montréal et Paris, L’Harmattan, 1999, 239 pages.