Surprise! Le Canada s’anglicise

 

La population de langue française à l’extérieur du Québec bascule vers la disparition

La Commission Larose a tenu la question des minorités francophones à l’écart de ses journées thématiques au profit d’interrogations sur l’état de la population anglophone au Québec. Les commissaires ont préféré rencontrer en petit comité le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, M. Georges Arès. Celui-ci en a profité pour lancer un « C’est vraiment dégueulasse ! » aux chercheurs qui constatent la disparition rapide des minorités trop éloignées du Québec. Au lieu de tirer sur le messager, il vaudrait mieux viser l’assimilation et ses causes, raisons premières de cette peu réjouissante perspective.

J’ai montré dans ma chronique d’avril comment le pouvoir d’assimilation de l’anglais compense la sous-fécondité de la population anglophone, si bien que les jeunes enfants sont à peine moins nombreux que les jeunes adultes. Le taux de remplacement des générations anglophones est de 91 % au Québec et de 93 % dans le reste du Canada. La population de langue anglaise se porte donc fort bien, au Québec comme ailleurs. Et la migration de Québécois de langue anglaise vers d’autres provinces n’entame en rien la population de langue anglaise du Canada dans son ensemble.

Les générations ne se remplacent plus

Parmi la population de langue française à l’extérieur du Québec, l’assimilation à l’anglais produit l’effet contraire. Elle compromet de façon définitive le remplacement des générations. Comme résultat, la population de langue maternelle française a plafonné, tandis que celle de langue d’usage française baisse de façon continue (voir notre tableau). Ce qui contribue à pousser la population de langue française du Canada dans son ensemble vers le déclin.

Le déficit de la population de langue d’usage française vis-à-vis de celle de langue maternelle, partout visible dans notre tableau, provient spécifiquement de l’adoption de l’anglais comme langue principale à la maison par de nombreux francophones minoritaires. Les deux dernières lignes du tableau montrent que ces pertes par voie d’assimilation à l’anglais ne cessent de croître.

Le plafonnement des effectifs selon la langue maternelle et la baisse de ceux selon la langue d’usage s’expliquent en fait par l’effet conjugué de la sous-fécondité et de l’assimilation. Les francophones anglicisés élèvent le plus souvent leurs enfants en anglais. Ceux-ci sont alors de langue maternelle anglaise. Et la fécondité francophone est très insuffisante depuis 1976. Sous-fécondité et assimilation agissent donc désormais de concert. Et la relève ne cesse de fondre.

Une relève en chute libre

Cela ressort clairement du profil selon l’âge de la population francophone hors Québec (voir notre figure). Le nombre de jeunes enfants au bas du profil représente seulement 54 % du nombre de jeunes adultes au milieu. Pareil taux de remplacement équivaut à un déficit entre les générations de 46 %. Autrement dit, les jeunes enfants francophones sont grosso modo moitié moins nombreux que la génération de leurs parents.

C’est pourquoi le plafonnement actuel de la population de langue maternelle française préfigure une baisse imminente. En effet, son profil selon l’âge est celui d’une population qui, après plus de deux siècles de croissance, penche vers sa disparition. Cette tendance mine déjà les effectifs selon la langue d’usage. À moins d’un apport migratoire aussi important qu’imprévu, la population francophone hors Québec ne peut que basculer vers le déclin.

Le déficit par province

Le déficit entre les générations est important parmi chaque minorité provinciale. Son ampleur varie en fonction du déficit « biologique » et, surtout, du taux d’anglicisation. Celui-ci est à son plus faible au Nouveau-Brunswick. C’est la sous-fécondité qui explique la majeure partie du déficit actuel de 36 % entre les générations francophones dans cette province. Le nombre d’enfants ne cesse de se réduire et la minorité de langue française a cessé de croître.

L’assimilation est plus élevée en Ontario. Par conséquent, le déficit entre les générations francophones est de 44 %. La population de langue maternelle française ne progresse plus. Celle de langue d’usage française s’est réduite de 13 % depuis 1971.

Partout ailleurs, l’assimilation est encore plus élevée et le déficit entre les générations est de 50 % ou plus. Les minorités en cause sont en voie de disparition. Depuis 1971, la population de langue d’usage française a baissé de 56 % à Terre-Neuve, de 31 % à l’Île-du-Prince-Édouard, de 24 % en Nouvelle-Écosse, de 42 % au Manitoba, de 63 % en Saskatchewan et de 21 % en Alberta. Celle de la Colombie-Britannique a parfois quelque peu augmenté au gré des apports migratoires, mais elle n’a pas d’enracinement démographique. Le taux d’assimilation des jeunes adultes francophones nés dans la province atteint tout près de 90 %.

L’assimilation augmente jusque dans la capitale

On pouvait espérer que la Loi sur les langues officielles du Canada réduise l’assimilation, du moins dans la région de la capitale canadienne. Il n’en est rien. Au contraire, le taux d’anglicisation des jeunes adultes francophones dans le nouveau « Greater Ottawa » est passé de 22 % à 40 % en l’espace de 25 ans. Il augmente d’ailleurs de plus en plus vite (voir notre figure). Le déficit actuel entre les générations francophones y est également de 40 %. Et la population de langue française de la nouvelle capitale du Canada est en déclin.

Mettre fin au préjudice démographique

L’anglicisation croissante des francophones minoritaires ne compromet pas seulement l’avenir de la population de langue française au Canada anglais. Elle annule aussi le maigre profit démographique réalisé jusqu’ici au Québec en matière de francisation des allophones. En effet, au niveau de l’ensemble du Canada, le taux de remplacement des générations francophones n’est que de 79 %, ce qui équivaut à leur taux de remplacement « biologique ».

Ainsi, la majorité canadienne de langue anglaise est seule à tirer de l’assimilation des allophones un profit net qui compense en grande partie sa sous-fécondité. Voilà pourquoi il est souvent question du vieillissement de la population canadienne, largement de langue anglaise. Mais jamais de son éventuel déclin. Et voilà pourquoi la perspective est tout autre pour la population de langue française du Canada. Après quatre siècles de croissance, c’est le déclin ou, si l’on veut, la disparition tendancielle qui lui pend au nez.

Devant pareille perspective, la Commission Larose n’a pas à se préoccuper outre mesure de l’avenir de la population anglophone. En revanche, le nombre d’enfants francophones se trouve en chute libre partout à l’extérieur du Québec. Et l’anglicisation exerce jusque dans la capitale fédérale une pression de jour en jour plus forte.

Le messager n’y est pour rien 0 de toute évidence, la solution au préjudice démographique dont souffre la population de langue française au Canada, relativement à celle de langue anglaise, se trouve au Québec. Pour compenser autant que possible la sous-fécondité francophone, les règles du jeu devront changer de sorte que, du moins au Québec, l’assimilation appuie le remplacement des générations francophones au même degré que celui des générations anglophones. Assez perdu de temps ! Il incombe à Ottawa et à Québec de se concerter d’urgence dans le but d’intensifier la francisation des immigrants allophones à Montréal.

La Commission Larose compte déposer son rapport le 31 mai. Réservera-t-il une place centrale aux inquiétudes fondées quant à l’avenir démographique de la population de langue française ? Visera-t-il la cause première de la faiblesse du français au Canada et au Québec sur le terrain crucial de l’assimilation linguistique, soit le refus fédéral d’accorder au peuple acadien/canadien français/québécois sa juste part de soleil ?

Où sont passés les enfants ?

Entre-temps, la Commissaire aux langues officielles du Canada publie un rapport qui nous apprend l’inévitable 0 maintenant qu’il existe enfin un réseau complet d’écoles françaises à l’extérieur du Québec, où sont les enfants pour les remplir ? Comme solution, elle propose de combler l’effectif avec des petits « ayants droit »… anglophones. Variation cocasse sur un thème à la mode voulant que l’avenir du français soit l’anglais.

Cela reviendrait à transformer graduellement les écoles françaises en écoles d’immersion. L’avenir du français à l’extérieur du Québec doit-il aboutir ainsi à celui d’une langue seconde pour une population toujours plus anglicisée ? Beau débat en perspective parmi les communautés francophones et acadienne du Canada ! Sinon, Lord Durham peut dormir sur ses deux oreilles.