Le travail autonome, tout un contrat !

 

Vient de paraître aux éditions Écosociété Devenir son propre patron ? - Mythes et réalités du nouveau travail autonome du journaliste Jean-Sébastien Marsan. Travailleur à la pige depuis 1994, il rend compte de ce phénomène relativement nouveau puisqu'il apparaît au début des années 1990, en pleine récession économique. Le travail autonome devient la panacée incontournable selon les spécialistes de l'entrepreneurship dont le discours idéologique n'a qu'un seul but 0 le salut par la création de sa propre entreprise.

Tout le monde peut devenir travailleur autonome, c'est facile ! Du moins, c'est le discours entrepreneurial, conforté par les nouvelles règles du marché qui proclame « reine » la libre entreprise. Ce discours encouragé par des programmes gouvernementaux – qu'on pense au plan Paillé de 1994 à 1998 – qui visent à inciter le chômeur à devenir son propre patron. Jean-Sébastien Marsan ouvre la boîte de Pandore et révèle les mythes et les réalités qui entourent le travail autonome.

Confusion dans les termes

Les six mythes et réalités que sous-tend le nouveau travail autonome présentent souvent une contradiction dans les termes. Premier mythe 0 le travailleur autonome crée son propre emploi et il est son propre patron. Selon l'auteur 0 « Le mot emploi est synonyme de lien d'emploi avec un employeur, un statut assorti de protections sociales et juridiques. »

Un autonome n'a donc pas d'emploi. « Il gagne sa vie en proposant ses produits et services, en obtenant, çà et là, des contrats, des clients », poursuit-il. Il a, par conséquent, plusieurs patrons, sans les avantages que procure le fait d'être employé. On ne peut être à la fois employé et patron, «deux réalités bien différentes », constate Marsan.

Il propose donc de troquer les expressions « créer votre propre emploi » et « soyez votre propre patron » par quelque chose comme0 « Mettez-vous à la disposition de consommateurs et d'entreprises qui pourraient éventuellement avoir besoin de ce que vous offrez sur le marché. Quand bon leur semblera. » Et voilà pour la réalité !

Suivent les cinq autres mythes qu'il formule ainsi 0 le travailleur autonome est un entrepreneur; les nouveaux travailleurs autonomes choisissent librement de le devenir; le travailleur autonome a toujours existé et c'est la liberté; les autonomes sont plus responsables, créatifs et productifs que les salariés; et le dernier 0 le Québec comptera un million de travailleurs autonomes en l'an 2000. Tous sont démontés de la même façon et revisités à la faveur d'une vision plus juste de la réalité.

Portrait du travailleur autonome

Selon Jean-Sébastien Marsan, le travailleur autonome qui détient la clé du succès est un homme de la génération des baby boomers, car son réseau de contacts est bien assis sur sa réputation et son expérience. Par contre, les femmes et les jeunes, pour qui la précarité et autres conditions difficiles mènent à l'insécurité financière, s'en sortent beaucoup plus mal.

Christine Chénard, couturière, jeune maman d'un bébé de huit mois croyait qu'avec beaucoup de courage et de détermination (bébé, ménage et 60 heures de travail par semaine), elle arriverait à bâtir son atelier de couture à la maison, malgré le manque de soutien informatique pour sa gestion et la dépendance face à son conjoint pour prendre le relais de garde du bébé. La tâche démesurée vient à bout de ses forces et, trois ans plus tard, elle doit fermer boutique. Retour à la case départ !

La culture du travailleur autonome

Un aspect important et intéressant développé par Marsan concerne la culture individualiste du travailleur autonome. Chez lui, le travail devient un mode de vie, un passeport vers l'intégration sociale, mais aussi paradoxalement que cela puisse paraître, il est réduit à l'esclavage de la liberté. Le travail à produire et la recherche incessante de nouveaux contrats grugent le temps et l'espace qui devraient être réservés à la vie sociale et familiale.

En définitive, l'intérêt suscité par cet essai critique est que l'auteur démontre le travail autonome tel qu'il est – c'est-à-dire « qu'il cause beaucoup plus de problèmes qu'il n'en résout ». Bien qu'il ne donne aucune solution miracle, il reconnaît qu'il est « urgent de civiliser le marché d'échanges de biens et de services développé par les nouveaux travailleurs autonomes ».

L'écriture est limpide et concise, et les cas présentés illustrent de façon criante l'ampleur de l'imposture. Un portrait sombre certes, mais l'auteur termine sur une note optimiste en faisant le souhait que le travailleur autonome s'inscrive dans une société solidaire de ses travailleurs, « un idéal soutenable si l'on préserve les emplois de qualité et si les autonomes peuvent jouir des avantages du salariat 0 revenu décent, reconnaissance sociale, protections légales, filet de sécurité sociale tissé serré ».