Gilles Garand

 


Un patrimoine vivant



Quel curieux réflexe de dépendance nous a fait gaver au milieu du vingtième siècle cette expression américaine fourre-tout à la mode 0 « party » ? Alors même que nous disposons d'un terme tellement plus riche de sens et d'histoire, tiré de nos traditions de soirées mémorables de musiques, de danses et de résistance 0 la veillée. Veillée, un mot, s'il en est, qui résume bien toute la vie de Gilles Garand...

J'ai rencontré ce grand militant et musicien du peuple, en prison, à la fin des années soixante-dix. Il était venu y faire un spectacle avec son groupe d'alors, les Ruines Babines. Ce fut, au travers nos racines, un voyage unique dans le temps d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs, un véritable choc de liberté pour ces spectateurs prisonniers que nous étions tous. Un public averti en matière de chaînes, s'il en fut !

J'ai revu Gilles sur scène, avec son fils et complice, Alexandre, et son groupe Perdu l'nord il y a quelques années lors d'un des meilleurs spectacles bénéfices de l'aut'journal... Avec la même énergie, la même détermination, la même urgence.

Entre ces deux moments magiques séparés par deux décennies, il y a eu, dans la vie de l'artiste et militant, la mise sur pied d'un syndicat québécois de la musique traditionnelle (une première en Amérique du Nord) et combien d'autres luttes ouvrières accompagnées, animées, soutenues à bout d'âme et de conviction par cet organisateur et conseiller syndical qui vient de prendre sa «retraite » avant l'heure.

Pourquoi ce départ ? « Pour boucler la boucle, pour poursuivre ce que j'ai commencé il y a plus de vingt ans, pour pouvoir consacrer cinquante heures par semaine à cette urgence de la mémoire et du patrimoine vivant qui prennent le bord », me lance-t-il d'une seule traite.

Il ne parle pas, il déboule. Il reformule les mots, les triture, les refait. À la CSN, c'était l'artiste terrain de la formule imagée, du slogan choc, de la rime bien frappée, du rythme. Un multiplicateur de sens. L'idée du « patrimoine vivant », c'est de lui, j'en suis sûr. Une expression bizarroïde, s'il en est. Mais combien pleine de sens.

La Grande Rencontre, l'événement porte-étendard de la musique et de la danse traditionnelles d'ici, en lien privilégié avec la francophonie et les luttes communautaires de la terre, fêtera cette année son dixième anniversaire, les 14, 15 et 16 juin.

Son bilan impressionnant n'a pas l'air pourtant d'étonner plus qu'il ne faut son principal instigateur lorsqu'il en fait état en long et en large 0 la participation de près de mille artistes et artisans. C’est l'équivalent d'une centaine par Grande rencontre, qui ont participé à plus de 500 événements variés (spectacles, ateliers, veillées, animations). Sans oublier la création du trophée Aldor – en l'honneur d'Aldor Morin, harmoniciste du Monument National – remis à une dizaine de récipiendaires depuis 1993.

Cette année, comme à l'habitude, les chapiteaux et les scènes au grand air occuperont tout l'espace disponible de la Place du marché Maisonneuve à Montréal (rue Ontario, à l'est du boulevard Pie-IX.) transformée pour l'occasion en Village des arts de la Veillée.

Au nombre des invités de la Place, des habitués, La bottine souriante (dont ce sera le spectacle de clôture de sa tournée vingt-cinquième anniversaire), les Charbonniers de l'Enfer, le violoneux gaspésien Édouard Richard et des groupes de la relève dont les Genticorum, La Part du Quêteux. De même qu'une délégation importante d'artistes du Poitou, la région invitée cette année après la Bretagne, l'Acadie, la Louisiane.

Cette année, l'innovation de l'événement sera La nuit du conte, qui donnera la parole jusqu'au petit jour aux raconteurs du Poitou et du Québec, entre autres à Jocelyn Bérubé, Claudette L'Heureux et Jean-Marc Massie.

Retraite, vous avez dit ?