Le ministre qui recule par en avant

 

André Boisclair, ministre de l’Eau du Québec. Un dynamisme et une énergie, souvent attribués à son jeune âge, lui font abattre un travail impressionnant et donnent l’image d’un politicien efficace. Dans un premier temps, il surprend par la concision de ses propos, sa capacité d’écoute. Sa volonté d’inclure les intervenants du milieu de l’environnement dans sa démarche, au lieu de les considérer comme des ennemis, lui donne bonne réputation.

Un ministre surchargé de travail, sensible au plein-air, qui étend néanmoins des tapis environnementaux qu’il ne cesse, de se faire glisser sous les pieds !

Certains parlent de don, mais disons plutôt que la maîtrise de la langue que possède le ministre Boisclair lui a permis de sauver le Québec de l’exportation de l’eau tout en permettant aux exportateurs d’augmenter leur chiffre d’affaires.

À demi plein et à demi vide

En effet, la loi qui interdit l’exportation de l’eau en vrac augmente le volume des contenants de l’eau embouteillée de 17 à 20 litres sans limiter la quantité d’eau pouvant être exportée par contenants. La loi devra être revue dans cinq ans car, soutient-il, des discussions se poursuivent avec les gouverneurs des États situés au pied des Grands Lacs ! Voilà une affirmation qui laisse sous-entendre que les velléités d’exportation en vrac sont toujours là. En même temps qu’il souscrit à la limitation de l’exportation d’eau, il souscrit aussi aux visées du premier ministre à l’effet d’inviter des capteurs d’eau comme Parmalat, d’Italie, à s’installer au Québec pour exporter encore plus d’eau.

Un pas en avant, deux pas en arrière

Ce talent de la langue lui a aussi permis de doter le Québec d’un règlement sur l’eau potable à l’avant-garde nord-américaine et, du même coup, lui permet de reculer sur tous les aspects du règlement devant les tourbillons créés par les lobbyistes.

Le 28 juin 2001, un nouveau Règlement sur la qualité de l’eau potable était mis en vigueur au Québec. Tous s’en sont réjouis. Sous l’effet de l’annonce, autant les scientifiques que les environnementalistes. Chacun mit de l’eau dans son vin car, à l’étude attentive du règlement, ils n’étaient pas sans voir des ambiguïtés à éclaircir. Comme le dit Jacques Cordeau, du comité Eau secours 0 «Pourquoi se contenter d’avoir simplement transcrit les données de Santé Canada dans le règlement et pourquoi les normes de méthoxychlore, chlorophénols sont-elles si élevées ? » Mais bon, après une quinzaine d’années d’attente, qui donc allait cracher dans la soupe concoctée par ce nouveau ministre de l’Environnement et de l’Eau du Québec.

Quand les commerçants sont contents, le ministre est content

S’il y a un consensus à propos de la qualité de l’eau potable, c’est bien que ce sont les individus possédant des puits artésiens et les personnes étant desservies par les 1 200 réseaux d’aqueducs ne traitant pas l’eau qu’ils distribuent qui sont le plus à risque. De plus, il y a présentement une prise de conscience que le risque est plus élevé en campagne qu’en ville, et ce à cause de la pollution agricole. Prenons le cas Chaudière-Appalaches 0 nous apprenions, il y a quelques semaines, que « sur 300 puits échantillonnés, 45 % étaient contaminés ».

Depuis la publication de ce règlement sur l’eau potable, le ministre a cédé devant les commerçants qui se réjouissent des concessions obtenues sur les tests à faire ou sur la date de mise en vigueur du règlement. On parle ici des opérateurs de petits réseaux de distribution (privés et publics), des parcs de maisons mobiles, des campings, des camps d’été, des écoles en régions, des pourvoiries, des gîtes touristiques et des zecs.

En effet le règlement vient de subir des modifications importantes qui ont été mises en vigueur le 27 mars 2002.

Le ministre des calendes grecques

• Reportée à juin 2005 l’obligation de traiter les eaux de surface non filtrées – deux ans de plus que le règlement initial ;

• Reportée à juin 2004 l’obligation de former les opérateurs de réseau – deux ans de plus que le règlement initial;

• Reportée à juin 2007 l’obligation aux villes de 50 000 personnes et plus (Montréal, Gatineau, Québec, etc.) de se conformer aux règlements – cinq ans de plus que le règlement initial;

• Diminuée de huit à deux fois par mois pour les réseaux municipaux, privés, institutionnels et touristiques desservant entre 21 et 8 000 personnes la fréquence minimale d’analyse des bactéries.

La Commission sur la gestion de l’eau au Québec (le rapport Beauchamp) a recommandé une attaque beaucoup plus vaste que le simple renforcement du règlement sur l’eau potable. Malheureusement le ministre s’entête à vouloir y aller à la pièce, et les environnementalistes commencent à douter des calculs économiques du gouvernement.

L’eau sera potable dans deux ans

Toute cette tergiversation quant à l’application du règlement sur l’eau fait perdre des économies importantes au réseau de la santé. Imaginez le nombre de consultations médicales et de gastro-entérites qui pourraient être évitées ? De plus, il est difficile de croire que le gouvernement de dispose pas annuellement des 1 620 $ nécessaires aux écoles non reliés à un réseau d’aqueduc pour faire effectuer tous les tests nécessaires.

Dans une lettre au ministère, Réjean Beauchemin, de l’Association canadienne des laboratoires d’essais (ACLE), déclare 0 «Il est inconcevable que le ministère de l’Environnement songe à réduire la fréquence des contrôles là où il y a le plus de problèmes. La santé des jeunes dans les écoles et des familles dans les campings est menacée. » Suite à une intervention publique du ministre, Nathalie Drapeau, présidente du conseil d’administration de Réseau environnement, s’est écriée 0 « Vous allez peut-être attendre deux ans [pour implanter les nouvelles normes de formation], mais en attendant, on continue de boire de cette eau ! »

Sort-il autant de lapins qu'il a de chapeaux ?

Plusieurs disaient de l’ancien ministre à l’environnement Paul Bégin qu’il était fort sympathique à la cause de l’environnement mais n’avait pas le temps d’agir en profondeur, puisqu’il était aussi ministre de la Région de Québec et ministre du Revenu. À l’arrivée d’André Boisclair, les environnementalistes étaient ravis de voir ce jeune ministre mettre toute sa fougue à l’Environnement. Quelle déception lorsque ceux-ci découvrent maintenant toutes les affectations du député de Gouin…

• Député de la circonscription de Gouin depuis les élections générales du 30 novembre 1998;

• Ministre responsable de la Régie des installations olympiques depuis le 10 novembre 1999;

• Membre du Comité ministériel à la jeunesse depuis le 23 mai 2001;

• Membre du Comité ministériel de l’emploi, du développement économique et de la recherche depuis le 23 mai 2001;

• Membre du Comité des priorités depuis le 21 novembre 2001;

• Membre de la Sous-commission de la réforme parlementaire depuis le 30 janvier 2002;

• Ministre d’État aux Affaires municipales et à la Métropole, à l’Environnement et à l’Eau depuis le 30 janvier 2002;

• Ministre des Affaires municipales et de la Métropole depuis le 30 janvier 2002;

• Ministre de l’Environnement depuis le 30 janvier 2002;

• Leader parlementaire du gouvernement depuis le 30 janvier 2002;

• Président du Comité ministériel de la région de Montréal depuis le 6 février 2002;

• Ministre responsable de la Région de Montréal depuis le 30 janvier 2002;

• Membre de la Commission de l’Assemblée nationale depuis le 30 janvier 2002;

• Membre du Comité de législation depuis le 6 février 2002;

• Membre du Comité ministériel du développement social depuis le 6 février 2002;

• Membre du Comité ministériel des affaires régionales et territoriales depuis le 6 février 2002;

• Membre du Comité ministériel spécial pour la région Gaspésie Îles-de-la-Madeleine depuis le 6 février 2002;

À l’usage, tous sont à même de constater que le ministre aux multiples chapeaux ne marche pas sur l’eau, mais sur la route du compromis facile. Il recule sa bagnole dans le ruisseau et laisse filer la pollution. Est-ce par manque de volonté politique ou par manque de temps à consacrer au dossier de l’eau ?

Note au lecteur 0 afin de faciliter la lecture, chacune des références précises n'apparaît pas dans le texte. Elles proviennent du Bape, de Publication Québec, de la commission Beauchamp, du ministère de l'Environnement et de l'Eau et du site de référence d'Eau Secours – la coalition québécoise pour une gestion responsable de l'eau (www.eausecours.org).