États-Unis : Le mouvement syndical au bord du précipice

Livre : Des syndicats domestiqués. Répression patronale et résistance syndicale aux Etats-Unis

L’idéologie néolibérale a vu le jour aux États-Unis et a pu s’y développer et se répandre dans le monde à cause de la faiblesse du mouvement syndical américain. C’est la thèse de Rick Fantasia et Kim Voss dans leur excellent petit ouvrage qui vient d’être traduit en français sous le titre Des syndicats domestiqués, Répression patronale et résistance syndicale aux États-Unis.

Les auteurs expliquent les racines historiques de la faiblesse actuelle du mouvement syndical américain – à peine 14 % de la main-d’œuvre est syndiquée – mais aussi structurelles. Presque un tiers de la main-d’œuvre, expliquent-ils, est employé temporairement, en leasing, en sous-traitance, à temps partiel ou à son compte.

Dans l’introduction, ils soulignent l’importance mondiale du mouvement syndical américain.

« La presse et l’imaginaire populaire américains considèrent que les États-Unis sont supérieurs à l’Europe de l’Ouest dans un certain nombre de domaines : les Américains, dit-on, possèdent le niveau de vie le plus élevé du monde, ont droit aux soins médicaux les meilleurs, fournissent le travail le plus productif, et ainsi de suite. De telles affirmations ont pour but de promouvoir le néolibéralisme américain et de l’ériger en modèle pour le reste du monde.

« Elles sont pourtant, en grande partie, fondées sur des illusions. En fait, ce qui distingue réellement les États-Unis de l’Europe de l’Ouest n’est ni le marché de l’emploi florissant ni la haute productivité souvent cités mais, au contraire, l’absence de protection sociale (sécurité sociale, garde des enfants, congés parentaux payés, etc.), le surmenage et une scandaleuse inégalité constitués en normes.

« Ces aspects réels et spécifiques de la société américaine sont aussi et surtout le résultat de la faiblesse historique du syndicalisme qui s’est cristallisé, depuis la Seconde Guerre mondiale, en une série d’organisations fermées, regroupant des travailleurs syndiqués pour des raisons corporatistes, et non pas un large mouvement représentant la classe ouvrière dans son ensemble.

« C’est cette faiblesse qui explique l’émergence du néolibéralisme comme discours politique dominant et qui a permis au capitalisme américain de s’imposer au reste du monde. Dans l’utopie néolibérale, il n’y a pas de place pour les syndicats et la survie d’un mouvement syndical aux États-Unis est devenue un réel et grave problème. Comme le capitalisme et le syndicalisme américain sont liés par une relation de dépendance mutuelle, la tentative même de destruction des seconds par le premier a produit une extraordinaire contre-offensive qui ouvre un univers de nouvelles possibilités sociales. Les enjeux sont donc immenses, et ce, pas seulement pour la société américaine, mais aussi pour le reste du monde. »

Cette vision pessimiste est tempérée par les importants mouvements de syndicalisation dans le secteur des services qui ont eu lieu ces dernières années à Los Angeles et Las Vegas et dont les auteurs décrivent les péripéties. Cela les amène à poser la question essentielle : « Il ne fait aucun doute que quelque chose d’important se passe aux États-Unis et qu’il faut s’y intéresser. S’agit-il cependant du réveil du mouvement syndical après un long sommeil ou du dernier sursaut d’un dinosaure sur le point de disparaître ? »

Rick Fantasia et Kim Voss, Des syndicats domestiqués. Répression patronale et résistance syndicale aux Etats-Unis. Éditions Raisons d’agir. 2003. 175 pages.