Au Québec, on pratique la clause du sur-place

L'ONU confie l'eau à la chambre de commerce des multinationales

Après une année de sensibilisation de la population mondiale et des dirigeants des pays qui siègent à l'ONU quant à l'importance de l'eau douce sur la planète, nous voilà à faire le bilan d'une année onusienne consacrée à l'eau.

L'Organisation des nations unies se dit déçue par rapport à ses objectifs qui déjà, au départ, furent évalués par plus d'un comme étant beaucoup trop ambitieux. Demander à 96 pays de trouver les 180 milliards de dollars nécessaires en 2003, puis 180 milliards tous les ans pendant 10 ans, relevait du rêve le plus fou. Surtout lorsque l'on sait qu'au cours des dix dernières années, les pays africains n'avaient investi que 4 milliards dans leurs propres réseaux hydriques.

Même en cette année consacrée à l'eau douce, seulement quatre des vingt pays les plus pauvres du continent africain ont identifié l'accès à l'eau potable comme une des stratégies nationales nécessaires à leur développement.

À l'opposé, pour démontrer que c'est possible, la Tunisie a réussi à équilibrer le budget de son ministère consacré à l'eau en augmentant les contributions des touristes et des entreprises pour assurer un service d'aqueduc et d'égout sans frais aux plus pauvres. Il y a des exemples encourageants mais la corruption et le népotisme, selon « Transparency International », ralentissent l'effort humanitaire lorsqu'il y en a un.

Il est assez prévisible que lorsque l'on confie à la « chambre de commerce des multinationale de l'eau » le mandat de se pencher sur la question de l'eau dans le monde, l'on y trouve peu de solutions humanitaires. C'est ce qui s'est passé. Pour tenter d'économiser, l'économiste mondial Riccardo Petrella affirme que « l'ONU a sous-traité au Conseil Mondial de l'Eau le soin de faire le débat mondial sur la question ». Il n'a été question que de gros sous. « Confions le tout au secteur privé, de dire le président du Conseil, chargeons tous les coûts de l'eau à tous les individus (incluant nos frais d'emprunt aux banques, nos frais d'administration, les faramineux salaires de nos cadres et les dividendes qu'exigent les actionnaires). Pour ceux qui ne pourront se payer l'eau, les gouvernements devront trouver des façons de les subventionner » !

Au Québec, on pratique la danse du « sur-place », bien que du côté de la sensibilisation de la population, c'est une réussite totale. Déjà, à l'aube de 2003, le fait que le gouvernement du Québec adopte une « Politique nationale de l'eau » et investisse quelques millions de nos taxes dans une grande campagne médiatique a servi à convaincre la population de la pertinence et de l'urgence de protéger l'eau.

Ce geste nous a plongés dans l'atmosphère de l'Année internationale de l'eau douce. Cette politique fut intégrée au discours politique des cinq principaux partis en lice aux dernières élections. Dans toutes les régions du Québec, des conférences, des activités éducatives et même des luttes citoyennes pour la protection de l'eau occupèrent le champ médiatique durant presque toute l'année. De l'eau potable à l'eau de baignade, du commerce de l'eau à la pollution de l'eau. Le focus était hydrique.

Pourtant, pendant que de plus en plus de bénévoles, groupes, associations de lacs et rivières naissent pour protéger l'eau ou la revitaliser, le gouvernement hésite à y mettre les fonds nécessaires. Par exemple, les villes qui doivent se conformer à un nouveau règlement sur la qualité de l'eau potable et des eaux usées peinent à trouver des fonds. En effet, le gouvernement préfère pousser la sous-traitance de la gestion de l'eau vers le privé, tarifer la population et reporter les dates d'échéance que d'avancer les fonds nécessaires.

Mais dans la pratique, pour avoir de l'eau douce, ce n'est pas tout qu'elle ne soit pas salée, ferreuse ou corrosive. Il faut qu'elle soit dépolluée. Il est navrant de constater que le gouvernement tarde à obliger les entreprises à ne pas polluer ou à payer pour la dépollution. Il n'y a qu'à Montréal où les entreprises doivent se conformer à une réglementation digne de ce nom. Et encore, il n'y a que 75 entreprises qui s'y conforment et certaines menacent de déménager hors de l'île de Montréal, là où un tel règlement n'existe pas.

Du côté de la pollution agricole, le gouvernement déclare un moratoire sur l'élevage porcin, alors qu'il continue d'accorder des certificats permettant aux élevages bovins de produire plus de phosphore et d'encourager la gestion du fumier solide en fumier liquide, ce qui augmente les volumes de lisiers et la pollution de l'eau. Sans oublier la mise au rancart du programme de tests de puits artésiens, et le fait que le ministère de l'Environnement gagne encore la palme du ministère le moins bien financé.

En conclusion, côté sensibilisation, l'année internationale de l'eau douce a servi de tremplin médiatique à l'idée qu'il faille protéger l'eau. Dans la pratique quotidienne, les entreprises privées et le gouvernement ont fait des affaires comme à l'habitude et l'octroi de permis de polluer émis par le gouvernement du Québec n'a pas diminué. Rien de bien enivrant à l'horizon. Sauf cette volonté, comme le dit Martine Ouellet, vice-présidente d'Eau Secours! « de poursuivre le travail de sensibilisation et de vigie politique nécessaire pour s'assurer que nous ne serons par la dernière génération à bénéficier de l'eau propre essentielle à la vie. »

Note au lecteur : Afin de faciliter la lecture, les références précises n'apparaissent pas dans le texte. Elles proviennent des agences de presse, du rapport de l'ONU sur l'Année internationale de l'eau, du Conseil mondial de l'eau, du Ministère de l'environnement du Québec, et du site de référence d'Eau Secours! - La Coalition québécoise pour une gestion responsable de l'eau à : www.eausecours.org