Un procès d’intention

L’aparté

Un an après l’arrivée au pouvoir des libéraux-conservateurs de Jean Charest, on allait lui faire sa fête. Sauf que, à Montréal en tout cas, les convives ont été moins nombreux qu’espéré et la manifestation s’est vite étiolée. Pourtant, il ne faisait pas si froid.

Est-ce donc que, finalement, le gouvernement Charest ne serait pas si pire que ça ? Mais ça, c’est le truc des libéraux : on laisse entendre que ce sera la catastrophe, les coupures sauvages et, finalement, ce n’est pas si pire. C’est un nouveau mode de gestion dans le privé. Quand on appelle et qu’on tombe sur le «hold» avec du beau cité Rock-Matante en musique de fond, une voix suave nous annonce que le temps d’attente sera d’environ 9 minutes. On est prévenu, on s’installe avec sa tasse de thé, on commence le jeu des 8 erreurs dans le journal. Puis, au bout de 6 minutes, alors même qu’on n’a trouvé que 5 erreurs, on nous répond. Alors, on est tout content, on vient de sauver 3 minutes ! Sauf que voilà, si on nous avait annoncé un délai de 5 minutes et qu’on nous avait répondu au bout de 6, ah là là, quel scandale ça aurait été... C’est la gestion des attentes, dans tous les sens du mot.

Mais ça n’a pas l’air de marcher fort fort puisque les sondages révèlent qu’une large majorité de la population est très déçue de la performance du gouvernement. Même 25 % des électeurs ayant voté pour le Parti libéral regrettent leur vote. Ça, c’est énorme. Alors pourquoi n’y a-t-il pas plus de bruit et de fureur? Est-ce donc que le manifestant québécois moyen, après les méga-marches pour la paix, a la pancarte fatiguée et le soulier usé ? C’est possible mais j’en doute.

C’est que, voyez-vous, à la manif, on pouvait comprendre que les syndicats ne voulaient pas tellement de cette manifestation. Ils préféraient une méga-manif avec grosses grèves et tout pour le 1er mai, Fête du travail. Alors ils se sont un peu mobilisés mais pas trop. Pas que ce soit très grave comme décision mais ça démontre bien à quel point la gauche est encore loin de pouvoir gagner quoi que ce soit. Alors que la droite a un agenda bien précis, à gauche, on s’ostine pour prouver qui est le plus pur. Et on a souvent l’air plus content de trouver des traîtres que des leaders.

J’en veux pour preuve un article paru la semaine dernière dans le ICI, sous la plus d’un chroniqueur masqué. Il y parlait du passage de Paul Piché à Star Académie. Déjà, ce choix apparaissait fort discutable, ce avec quoi je suis plutôt d’accord. Mais le comble, c’est que Paul Piché y a chanté avec des académiciens « Y’a pas grand chose dans le ciel à soir » en censurant la phrase « J’suis ben écoeuré de me masturber ». Scandale. Un artiste qui est de toutes les causes accepte de changer son texte pour faire plaisir à l’Empire. Le reste de l’article était à l’avenant.

Ce qui m’a le plus étonné, c’est l’empressement que plusieurs dans mon entourage ont démontré à se dire complètement d’accord avec ce texte et à tomber sur la binne à Piché. Paul Piché a tout de même démontré au fil des ans qu’il n’avait pas peur de se mouiller, qu’il est un artiste conscientisé, ce qui est déjà mieux que la plupart de nos kid-kodaks sans foi ni loi autre que celle du marché. On peut remettre en question certains de ses choix, artistiques comme politiques, mais je n’arrivais pas à croire qu’il ait accepté d’émasculer sa chanson sans avoir pu vérifier auprès de lui ce qui s’était réellement passé.

Et bien, vérification faite, c’était une erreur. Comme ils étaient plusieurs à chanter en se partageant les lignes, Piché s’est trompé de ligne. Je n’ai aucune difficulté à le croire, mêmes nous, au sein des Zapartistes, nous nous trompons encore parfois dans des chansons chantées des centaines de fois dans la même version. Et l’éclat de rire qu’il a eu quand je lui ai raconté l’article me confirme que c’était bien là une tempête dans un verre d’eau vide.

Bon, il a tout de même accepté que son nom soit associé à Star Académie mais il faudrait arrêter de jouer à la chasse aux sorcières. Certains me considéreront peut-être naïf, mais au-delà de la crédibilité de l’explication de Paul Piché, il y a une chose qui me marque. C’est le plaisir que tout le monde a semblé prendre à le prendre en faute. L’espèce de «ah-aaaaaah» collectif qui s’échappait de l’article comme des réactions de ceux qui l’avait lu.

Il y en a, des traîtres à la cause, à toutes les causes, des anciens de Greenpeace devenus lobbyistes pour les OGM, des Claude Morin à deux faces, des Jean Lapierre opportunistes. Ce n’est pas ça qui manque. Mais si la Gauche veut recréer une coalition et espérer, sinon prendre le pouvoir, au moins arriver à l’influencer, il va falloir sortir de cette logique de purges et de procès en pureté. Sinon, la Gauche est loin d’avoir fini de se masturber... intellectuellement.

Texte lu à l’émission du 17 avril de Samedi et rien d’autre animée par Joël Le Bigot sur les ondes de Radio-Canada.