Les forêts primaires vont être faites !

Si dans 7 ou 8 ans, le gouvernement québécois ne bouge pas

En conférence de presse, le 3 mai 2004 à Montréal, des scientifiques et des militants écologistes, dont Richard Desjardins, se sont exprimés sur l’avenir de la forêt en interrogeant le rôle de la Commission Coulombe.

Cette Commission d’étude sur la gestion de la forêt publique québécoise a pour mandat de préserver la forêt boréale en établissant un véritable réseau d’aires protégées au Québec. Pour se faire, elle doit réaliser des consultations régionales afin de dresser un portrait de la situation économique, environnementale et sociale de la forêt boréale au Québec. Les travaux de la commission devraient permettre de faire un constat de la réalité et obliger le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour modifier sa politique envers les industries forestières.

Avec leur campagne, Aux arbres citoyens, les scientifiques et les militants écologistes du Fonds mondial pour la nature, du Réseau québécois des groupes écologistes (RQGE), de la Société pour la nature et les parcs du Canada (SNAP) et de l’Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN) aspirent à ce que le Québec devienne un modèle en ce qui a trait à la protection du patrimoine naturel. Pour atteindre leur objectif, les quatre organismes travaillent en étroite collaboration avec les communautés, les Premières Nations, l’industrie et le gouvernement québécois.

Mais en attendant, Richard Desjardins s’offusque du manque d’initiative pour arrêter le désastre écologique: « il reste seulement 14 % des forêts primaires et les compagnies bûchent encore dans ces 14 % là. Si dans 7 ou 8 ans, le gouvernement québécois ne bouge pas, les forêts primaires vont être faites ». Étant donné la gravité de la situation, les écologistes n’ont pas d’autres choix que de participer aux travaux de la Commission. En effet, en détruisant la forêt, on détruit aussi des espèces animales et végétales et la qualité de vie des populations locales. La Commission Coulombe est donc condamnée à innover pour le bien-être de la forêt.

Le recul de la superficie de la forêt touche directement les populations, car l’industrie forestière modifie considérablement le paysage. Henri Jacob, responsable du dossier forêt au RQGE, confirme cette réalité : « la coupe de bois s’est accélérée puisqu’on coupe aujourd’hui trois fois plus que ce qu’on devait, ce qui ne permet pas d’avoir une repousse en conséquence. Auparavant, on coupait selon la capacité forestière existante et maintenant c’est la loi du rendement accrû ».

La production de bois représente plus de 22 milliards de dollars dont 15 milliards sont exportés alors que les travailleurs forestiers sont mal payés, œuvrent dans des conditions précaires, sans code de travail pour les protéger. Selon les écologistes, la Commission Coulombe se doit aussi de dénoncer cette situation afin de rétablir des conditions de travail respectables, ce qui permettra une meilleure gestion de la forêt.

Pour Louis Bélanger, président de la commission forêt de l’UQCN, la protection de la forêt passe par un nouveau contrat social. En effet, la forêt est la dernière industrie à ne pas être soumise aux études d’impact. Pourtant, Louis Bélanger affirme qu’une analyse pourrait permettre d’obtenir plus de bois tout en préservant la faune et le paysage, ce qui favoriserait aussi l’essor des communautés forestières.

À titre d’exemple, il évoque la forêt de l’Aigle qui se situe près de Maniwaki, dans la région de l’Outaouais : « Celle-ci est gérée par une corporation de partenaires locaux afin de mettre en valeur l’ensemble des ressources. C’est l’un des rares projets de forêt communautaire ou habitée ». Il poursuit en relatant une autre expérience réalisée dans l’ancien parc des Laurentides. « L’aménagement polyvalent a permis de recréer des peuplements d’arbres d’une densité exemplaire et des espèces vulnérables comme la martre d’Amérique, sont réapparues ». La biodiversité a donc été conservée tout en accroissant le travail de coupe de 40 %. Ainsi, la gestion de la forêt par des populations locales est possible et l’écoforesterie est envisageable avec d’excellentes retombées économiques.

Néanmoins, le gouvernement québécois ne manifeste pas beaucoup d’enthousiasme envers la Commission Coulombe. Il ne dévoile pas la moindre information sur la dynamique écosystémique des forêts. Luc Bouthillier, professeur en politique forestière à l’Université Laval, explique que « la transparence du gouvernement impliquerait de rendre des comptes sur le calcul de la redevance des droits de coupes, sur les activités commerciales des contrats d’approvisionnement et d’aménagement forestier (CAAF). Pourtant, si le gouvernement se décidait à rendre publique une stratégie sur les aires protégées dans la politique forestière et la biodiversité en dehors des aires protégées, cela permettrait une meilleure participation citoyenne dans une nouvelle foresterie ».

Luc Bouthillier souligne la nécessité d’intégrer une gestion des ressources. « Actuellement, on ne peut pas expérimenter de nouvelles formes de foresterie à cause des normes ». Louis Bélanger ajoute qu’ « au Manitoba et à Terre Neuve, il y a des études sur l’impact de l’industrie forestière et les entreprises ne sont pas mortes pour autant. Je ne vois pas pourquoi on n’en aurait pas au Québec. Ce processus civilise l’industrie ».

Les attentes face aux études de la Commission Coulombe tournent autour de cinq thèmes : L’écologie avec la mise en place d’un réseau d’aires protégées, d’un processus décisionnel transparent et d’une gestion écosystémique. Les pratiques forestières sont également au centre des préoccupations avec l’obtention d’une certification environnementale des pratiques forestières. Les communautés locales et les Premières Nations doivent être prises en compte en obtenant le partage des ressources et des retombées économiques. Enfin, la gouvernance est primordiale pour faire respecter les mesures, notamment avec l’étude d’impact réglementée et obligatoire et une vérifiation indépendante.

Toutefois, la méfiance est de mise quant aux résultats escomptés de la Commission car, comme le souligne Richard Desjardins : « Une enquête publique certifie la véracité des témoignages puisque les personnes ont l’obligation de témoigner sous serment, tout en leur garantissant leur job. Dans le cas d’une commission, les personnes interrogées n’ont pas cette exigence, ce qui enlève toute crédibilité aux résultats ». C’est d’ailleurs pour cette raison que les quatre organismes voulaient obtenir une enquête publique, mais le gouvernement a fait le choix d’une Commission pour réaliser l’étude.