NON ! Parce que personne n’en parle

Verrez-vous un détenu réhabilité à Tout le monde en parle ?

Pourquoi des détenus sont-ils libérés avant la fin de leur sentence ? Est-ce la bonne question à poser ? Ne faudrait-il pas plutôt se demander : qu’est-ce qu’on fait avec un détenu durant son séjour en prison ? Peu importe s’il est libéré au sixième, au tiers ou au deux tiers de sa sentence, que se passe-t-il entre son entrée et sa sortie ?

Un détenu libéré au terme de sa sentence, s’il n’a suivi aucun programme, aucune activité, ça ne fait pas de lui un individu moins ou plus dangereux que lorsqu’il est entré. Le système des libérations conditionnelles et les sorties temporaires ont été conçus pour permettre à la personne incarcérée une transition entre la prison et la communauté et n’ont pas pour objectif libérer des places en prison. C’est fondamentalement sur ce point que notre système carcéral se distingue d’autres systèmes ailleurs dans le monde.

À l’émission Tout le monde en parle, vous ne verrez jamais un détenu dont la libération conditionnelle a contribué à sa réhabilitation, parce que, justement, personne n’en parle. À entendre, au cours de cette émission, M. Yves Thériault, auteur du livre Tout le monde dehors, on croirait que tous les détenus sont des prédateurs sexuels et que la prison, telle une machine, fabrique et garantit la réhabilitation d’un détenu uniquement lorsqu’il est libéré au terme de sa sentence!

Puisqu’il a écrit un livre sur le sujet, Thériault doit savoir que des études prouvent le contraire! Les libérations conditionnelles contribuent à la réinsertion parce qu’elles permettent un encadrement et donc un retour graduel au sein de la société. M. Thériault sait sûrement que les prédateurs sexuels ne sont pas acceptés ni tolérés par la population carcérale. Un pédophile n’aimerait pas goûter à leur justice.

Paul Valéry a écrit que « La politique est l’art de se servir des gens », mais nul besoin d’être comme certains politiciens pour exploiter l’ignorance. Il suffit d’écrire un livre et lui donner un titre aussi frappant qu’un missile, Tout le monde dehors. Pourquoi pas plutôt Plus personne en-dedans ?!

Apparemment, Yves Thériault s’est bien servi des médias pour ne pas rater sa cible. C’est-à-dire nos cœurs, encore ébranlés par l’assassinat d’un jeune par un prédateur sexuel. La sortie de Tout le monde dehors a permis à des journalistes d’exposer sur la place publique leur propre ignorance sur le système correctionnel du Québec. Certains ont cultivé la confusion avec du sensationnalisme.

L’assassinat d’Alexandre Livernoche par un prédateur sexuel n’a pas fini de nous émouvoir. Mais, l’émotion est vendeuse. D’une tribune à une autre, Thériault répète à qui veut l’entendre qu’il s’agit de la sécurité de sept millions de Québécois ! Nous sommes sensibles, oui, mais pas cons. Au risque de choquer Monsieur Thériault, j’apporte à sa connaissance que certaines personnes incarcérées sont moins dangereuses pour la société, que la prison dans laquelle ils se trouvent.

Des petits criminels devenus des grands à cause de leur passage en dedans, quel titre vendeur, on pourrait donner à un livre relatant leur histoire ? Tout le monde en-dedans ? Ridicule. Sauf quand ça pète à tous les 6 ou 7 ans, la prison n’intéresse personne. Pour les détenus les plus vulnérables, la prison s’avère une école de crime. Certains en font une école de la vie et n’y reviennent plus.

Pour d’autres, la prison représente une sombre salle d’attente. Certains en sortent moins indemnes que d’autres. C’est pourquoi il faut questionner la prison dans son ensemble, reconnaître ce qui s’y fait de bon (parce que tout n’est pas noir) au lieu de s’attarder sur un seul aspect, comme par hasard, celui qui la rend moins pire que d’autres prisons dans le monde.

Aussi frappant soit-il, le titre du livre d’Yves Thériault, est plus vendeur que révélateur. Néanmoins, si la sortie de Tout le monde dehors réussissait à libérer bientôt les 5 millions nécessaires pour entamer la réforme des Services correctionnels attendue depuis des années, la sortie de ce livre (plus que le livre lui-même) aurait quand même servi à quelque chose! Mais personne ne devrait voir dans cette réforme un remède miracle pour les détenus très dangereux qui constituent moins que 1 % de la population carcérale du Québec. Prévenir l’imprévisible, aucun système ni personne n’en est capable quand il s’agit de prédateurs sexuels et de violents chroniques. Dans leur cas aussi, les sentences ont une fin.

La réinsertion sociale des personnes incarcérées ne consiste pas à donner une première ou une deuxième chance aux personnes contrevenantes. Ce n’est pas une affaire de pitié, de compassion ou de faveur à leur égard. C’est dans l’intérêt de la société, économiquement et socialement, d’abaisser le taux de récidive dans les prisons. Une libération conditionnelle est un moyen parmi d’autres; quelques erreurs, même graves, ne devraient pas la remettre en question. C’est l’administration des libérations conditionnelles qu’il faut questionner ainsi que le processus de nomination des commissaires.

Je côtoie l’univers carcéral depuis 15 ans en réalisant l’émission Souverains anonymes. Dans le cadre de cette activité communautaire, j’écoute, je regarde, j’observe et je note ce proverbe de chez-moi Quand l’oeil ne voit pas, le coeur ne souffre pas.