La façon de gouverner ne fait rien à l’affaire

Si l’Alberta était un pays, il serait le deuxième plus riche de l’OCDE

*Lorsqu’il est question de notre économie, la comparaison avec l’Alberta n’est jamais très loin.

Cette province est très riche et ses politiques s’inspirent du capitalisme sauvage. Il s’agit de l’exemple idéal pour nous inciter à délaisser nos programmes sociaux.

Il ne faut toutefois pas être dupe. La richesse de cette province dépend de ses gigantesques réserves de pétrole et de gaz naturel et n’a rien à voir avec sa façon de gouverner. Ses réserves de pétrole sont estimées à 175 $ milliards de barils, ce qui en fait la deuxième plus importante réserve au monde, derrière l’Arabie Saoudite avec 260 $ milliards de barils.

Le gaz naturel et le pétrole constituent plus de la moitié des exportations de l’Alberta. La province pompe 2,5 millions de barils de pétrole chaque jour dont 80 % sont raffinés aux États-Unis. Ses activités d’extraction comptent pour 23,3 % de son produit intérieur brut. En comparaison, au Québec, la production, le transport et la distribution d’électricité représentent 3,8 % du PIB. Ce sont les précieuses ressources naturelles qui font de l’Alberta un vrai Klondike. Même l’économiste très capitaliste Pierre Fortin reconnaît que c’est la flambée des prix des produits pétroliers qui explique la richesse de l’Alberta. Dans un article qu’il vient de signer dans L’Actualité, il rappelle que le prix du baril de brut a explosé, passant de 10 $ en 1998 à plus de 60 $ depuis peu.

Si l’Alberta était un pays, il serait le deuxième plus riche de l’OCDE, derrière le paradis fiscal qu’est le Luxembourg. Avec la méthode de la parité des pouvoirs d’achats, qui tient compte du niveau des prix, l’OCDE calcule que le Luxembourg a un PIB par habitant de 57 700 $US, l’Alberta 45 500 $US, contre 39 700 $US pour les États-Unis qui arrivent tout juste après cette province. Le Canada est le neuvième pays le plus riche de l’OCDE avec un PIB par habitant de 31 400 $US. Enfin, le Québec (27 525 $US), se compare à l’Italie (27 700 $US), à l’Allemagne (28 600 $US) et à la France (29 600 $US).

Avec une telle richesse, l’Alberta a les moyens de devenir le paradis de la social-démocratie où il y aurait gratuité scolaire, un système de santé public de qualité et où la pauvreté serait éradiquée. La province préfère plutôt diminuer les impôts qu’elle perçoit, payer sa dette et retourner des chèques à ses concitoyens. Mais surtout, elle laisse les pétrolières s’en mettre plein les poches sans prélever sa juste part de revenus.

Le gouvernement albertain perçoit des redevances sur l’extraction du pétrole et du gaz naturel. Ces redevances s’élèvent à 9,6 milliards $ pour l’année fiscale 2004-2005 et comptent pour plus du tiers de ses recettes budgétaires qui sont de 28,8 milliards $. Ces redevances ont permis à Ralph Klein de rembourser la dette provinciale, de taxer les entreprises à un taux infime de 8,2 %, de se passer de taxe de vente comme la TVQ, et de posséder des fonds de placements avoisinant les 30 milliards $. Ces redevances sont importantes et semblent être élevées, mais ce n’est pas le cas.

Le groupe environnementaliste albertain Pembina a révélé dans une excellente étude menée par cinq universitaires que ces redevances sont plus faibles qu’ailleurs. L’étude démontre qu’entre 1995 et 2002, la Norvège a tiré 14,10 $CAN de redevances par baril, contre 11,70 $CAN pour l’Alaska, tandis que l’Alberta s’est contentée de redevances équivalentes à 4,30 $CAN par baril. (Pour faciliter la comparaison, l’ensemble de l’extraction pétrolière et gazière a été ramenée en équivalent de baril de pétrole.) Même si les redevances constituent le tiers du budget albertain, elles sont trois fois plus faibles qu’en Alaska et en Norvège.

Un taux aussi faible est difficile à comprendre, d’autant plus que ces pétrolières n’ont pas le choix de négocier avec le gouvernement albertain pour faire affaire sur son territoire. Ce taux explique toutefois en partie les profits monstres des pétrolières tant décriés par le professeur Lauzon. Canadian Business démontre d’ailleurs que sur les 20 entreprises canadiennes cotées en bourse qui ont réalisé les plus importants bénéfices l’année dernière, huit sont des pétrolières installées en Alberta.

Si les redevances de l’Alberta sur ses ressources pétrolières et gazières étaient équivalentes à celles de l’Alaska, elles auraient représenté 26,2 $ milliards en 2004-2005, soit 700 $ millions de plus que les dépenses de la province durant cette année fiscale, qui se sont élevées à 25,5 $ milliards ! Ceci peut sembler difficile à croire, mais il s’agit de la réalité économique de la deuxième réserve mondiale de pétrole.

En ayant pris connaissance de la richesse de cette province, il est choquant de constater que le taux de pauvreté des familles albertaines est de 15,6 %, soit à peu près le même que celui de l’ensemble des familles du Canada. Toute cette richesse ne sert donc pas à diminuer la pauvreté. Il est aussi inacceptable que les frais de scolarité soient de près de trois fois plus élevés en Alberta qu’au Québec, étant en moyenne de 4940 $ pour un étudiant de premier cycle universitaire pour l’année scolaire 2004-2005, contre 1888 $ au Québec.

Si le gouvernement albertain voulait abolir complètement les frais de scolarité, il n’aurait qu’à faire passer les redevances de 4,30 $ par baril à 4,60 $. Il dégagerait ainsi les 700 $ millions nécessaires à cette mesure. Enfin, plutôt que d’améliorer son système de santé public, l’Alberta travaille à le privatiser. Le 9 novembre dernier, le journal Le Droit d’Ottawa titrait à ce sujet : « L’Alberta prêt à privatiser la santé ».

Il est important de distinguer d’une part la richesse de l’Alberta, qui s’explique par ses ressources naturelles, et d’autre part ses politiques économiques conservatrices. Leur lien est à sens unique : c’est sa richesse qui lui permet de ne plus avoir de dette et de ne presque pas taxer ses citoyens, et non l’inverse. D’ailleurs, c’est à cause de ses politiques de capitalisme sauvage et c’est dû au fait qu’elle se prive volontairement de redevances que l’Alberta est encore comparable aux autres provinces. Si elle gérait ses ressources de façon intelligente et solidaire, cette province serait le paradis en Amérique du Nord, en offrant des services publics universels de qualité, tout en maintenant une taxation inférieure à la moyenne canadienne.

*Économiste à la Chaire d’études socio-économiques de l’UQÀM