Répètent les canards, les perdrix et les sarcelles !

L’économie va bien ! Pour qui ? Pour qui ? Pour qui ?

L’économie va bien. Elle va bien pour qui ? Les 10 % des revenus les plus élevés ont vu leur part passer de 31,7 % à 35,7 % du total déclaré de 1990 à 2002 tandis que les 50 % de revenus plus faibles ont vu leur part baisser de 19 % à 16,9 %1. La raison : la hausse chez les familles à revenus plus élevés accompagnée d’une stagnation chez les familles à revenus faibles. Il pourrait en être autrement, par exemple le coefficient d’inégalité (Revenu d’une famille au 90e centile / Revenu d’une famille au 10e centile) est à 3,99 au Canada contre 2,95 en Suède. Dans ces conditions, rien de plus normal que de réaffirmer le principe de l’impôt progressif.

En regardant le tableau qui suit, le plus scandaleux est-il que les 50 % des contribuables aux revenus les moins élevés ne gagnent que 16,9 % des revenus déclarés, ou que les 10 % aux revenus les plus élevés, qui gagnent 35,7 % des revenus, paient 52,6 % des impôts ? Ceux qui, comme Jean Charest, Bernard Landry et Joseph Facal présentent les riches comme des victimes surtaxées finissent par justifier l’évasion fiscale déjà peu enquêtée et rarement sanctionnée chez les riches.

En somme, ils disent aux moins nantis « vous avez intérêt à ne pas asticoter les riches ». Nous avons intérêt à tolérer l’omerta bancaire, l’usage des paradis fiscaux, des fraudes légalisées dont l’exemple vient de haut avec les bateaux à Martin qui a pu éviter par ce moyen 100 millions$ d’impôts entre 1995 et 2002.

D’abord, une évaluation globale de l’importance relative des prélèvements des moins nantis en proportion de leurs revenus annuels exigerait que l’on examine ce qui est perçu à partir d’autres assiettes « fiscales » qui prélèvent aveuglément sans référence à la situation économique, comme les taxes à la consommation, les cotisations sociales, les immatriculations, les impôts fonciers et scolaires répercutées dans les loyers, les tarifications de services publics, comme les transports en commun, les dividendes à l’État répercutés dans le prix de l’électricité, etc. On découvrirait qu’ils contribuent proportionnellement souvent plus que le gratin. Étant donné que les montants payés à ces divers chapitres sont difficiles à établir par un individu, en disant aux 33 % de moins nantis québécois qu’ils ne paient pas d’impôts sur le revenu, on leur laisse croire qu’ils jouissent de la bienveillance des riches, qu’ils ont intérêt à ne pas contester étant déjà dans le meilleur des mondes.

Nos vigilants protecteurs des riches se plaisent à noircir continuellement la situation québécoise. Pourtant, les statistiques fiscales fédérales de 2002 nous disent que si 33 % des Québécois ne paient pas d’impôts sur le revenu, 31 % n’en paient pas en Ontario, 30 % en Alberta, 32 % partout au Canada.

Ces plaidoyers contre l’impôt progressif font que nos gouvernements privilégient de plus en plus la tarification des services publics, qui n’entrent pas dans les statistiques fiscales, mais qui constituent bel et bien des taxes et des impôts très régressifs. Ils s’apprêtent d’ailleurs à instaurer un système encore plus régressif en transférant ce pouvoir fiscal aux entreprises privées via les PPP, sinon les privatisations, qui iront jusqu’à refuser le service aux contribuables non rentables devenus consommateurs. Des pays offrent l’exemple d’un système plus répartitif, comme le Danemark : l’impôt progressif sur le revenu y est de loin la principale recette fiscale. En revanche, les Danois n’ont pratiquement pas de cotisations sociales.

Obtenir un haut revenu et ne payer aucun impôt est une chose possible au Canada. En 2002, 4740 individus ont déclaré au fisc des revenus fiscaux de plus de 100 000 $ et n’ont payé aucun impôt fédéral sur le revenu. Confondant toujours assiette fiscale et proportion numérique des contribuables, nos champions des riches en rajoutent en disant qu’au Québec, seulement 110 068 individus gagnent plus de 100 000$ l’an. Ils formeraient 2 % des 5,6 millions de contribuables et acquitteraient 11 % de tous les impôts (impôts sur le revenu seulement, ce qu’ils omettent de dire), soit 1,9 milliards $ sur des impôts totaux québécois de 16,5 milliards $... Nous découragerions les mieux nantis de travailler, d’investir …ou de déclarer leurs revenus.

Attendez avant de fondre en larmes. Il y a beaucoup plus que 110 068 individus qui gagnent 100 000$ et plus par année au Québec, car les statistiques fiscales s’en tiennent uniquement au revenu fiscal « déclaré ». En effet, le revenu fiscal exclut les revenus expatriés dans les paradis fiscaux, les revenus dissimulés, les gains latents matérialisés mais non encaissés sur les capitaux et les options d’achat d’actions détenues, les revenus fractionnés avec d’autres membres de la famille, etc.

La charge fiscale se déplace du capital vers le travail et des entreprises vers les ménages. Les statistiques fiscales du Québec pour l’année 2002, ventilées selon la principale source de revenu des contribuables, permettent de constater que plusieurs détenteurs de capitaux et de nombreux gens d’affaires n’ont payé aucun impôt sur le revenu en 2002.

Une proportion de 54 % de détenteurs de capitaux et de gens d’affaires ayant déclaré en 2002 un revenu fiscal total de 12,1 milliards $ n’ont payé aucun impôt sur le revenu. On fait payer le prix de ces allégements, de ces exonérations aux travailleurs. Les Don Quichotte des bien nantis ne vous parlent jamais des 138 547 entreprises québécoises, soit 52 % du total de 268 278 entreprises, qui ont réalisé 9,2 milliards$ de profits nets en 1999 sans payer aucun impôt sur le revenu au Trésor québécois. N’allez pas suggérer d’instaurer un impôt minimum pour ces compagnies…Ils vous diront que nous ne sommes pas souverains en matière fiscale et que nous risquons les délocalisations vers des pays fiscalement plus accueillants.

La prochaine fois qu’on argumentera en votre présence que les pauvres et les vieux ne paient pas d’impôts sur le revenu, exigez qu’on vous parle de l’ensemble de l’assiette fiscale et demandez le portrait complet de ceux qui sont exemptés d’impôts par la passoire, par le permis de frauder.