Le droit à l’avortement est toujours dans le coma

On procrée moins, on avorte moins

Le 18 mars dernier, la Fédération du Québec pour le Planning des naissances (FQPN) organisait une journée de réflexion à Montréal sur la montée de la droite et le droit à l’avortement.

Selon les organisatrices de l’événement, l’avortement suscite encore la méfiance et l’incompréhension dans notre société. Le sujet est controversé, ce qui explique que la jurisprudence canadienne soit très discrète sur le sujet. C’est en 1969, soit un siècle après la loi de 1869 qui criminalise l’avortement au Canada, que des amendements ont permis la pratique de l’avortement thérapeutique et la diffusion des moyens de contraception.

Mais il a fallu attendre 1988 pour que la Cour suprême déclare inconstitutionnel l’article du Code criminel qui rend l’avortement illégal en invoquant les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés. Présentement l’avortement est décriminalisé au Canada, mais il n’existe pas de loi validant ce droit. À tout moment, le gouvernement canadien peut adopter une loi pour criminaliser à nouveau l’avortement.

Une crainte tout à fait justifiée si on observe la politique engagée par le président américain George W. Bush. Au tout début de son premier mandat, il propose au Congrès, qui l’adopte en octobre 2003, une loi interdisant une procédure d’avortement effectuée au deuxième ou au troisième trimestre de grossesse.

Plus récemment, en février 2006, la nomination du juge conservateur Samuel Alito à la Cour suprême permet d’assurer les positions conservatrices du Parti républicain. Le juge Alito s’est déjà distingué en soutenant notamment une loi de la Pennsylvanie imposant à une femme d’informer son mari avant un avortement. Le texte a par la suite été rejeté par la Cour suprême.

Au Canada, l’élection du gouvernement minoritaire conservateur rend inconfortable beaucoup de femmes sur ses intentions politiques concernant le droit à l’avortement. L’organisme Action Canada pour la population et le développement (ACPD) a dressé une liste des membres du nouveau cabinet Harper selon leurs opinion sur l’avortement. Le groupe dénombre 12 ministres anti-choix, 10 ministres pro-choix parmi les 27 ministres désignés.

« Quant aux cinq autres ministres, dont Stephen Harper, ils n’ont pas exprimé publiquement d’opinion sur la question », a précisé Johanne Fillion la porte parole d’Action Canada. Elle souligne que « sans nécessairement faire passer une loi contre le droit à l’avortement, le Parti Conservateur peut faire régresser les droits des femmes en retirant des financements aux cliniques, en refusant l’homologation de nouveaux produits contraceptifs et la reconnaissance de la nature médicale de l’avortement, en évitant de s’assurer que les provinces offrent des services d’avortement ».

Le recours à l’avortement reste encore mal perçu par beaucoup de Canadiens. Souvent banalisés dans les médias, les rapports établis sont souvent erronés et couvrent un discours de la droite conservatrice. « L’avortement est fondamental et non négociable », a répété Louise Desmarais, chercheure féministe. Elle poursuit : « La presse a suivi la question de l’avortement de manière religieuse et régulière, en manipulant l’opinion publique ».

A cet effet, elle recense les propos de différents journalistes qui ont écrit sur le sujet, comme Laura-Julie Perrault. « Au Québec, écrit cette dernière, une grossesse sur trois se termine par un avortement » (La Presse, 12 février 2005), propos repris par André Pratte dans un texte intitulé « Le problème de l’avortement » (La Presse, 19 février 2005). Selon Louise Desmarais, ce dernier décrit l’avortement comme « un problème de santé publique » ce qui le présente comme effrayant. Les mêmes inquiétudes réapparaissent, quelques mois plus tard, avec la parution du Manifeste pour un Québec lucide, dans lequel André Pratte mentionne le choc démographique et ses conséquences économiques pour le Québec. Faut-il établir un lien entre les deux articles ? Louise Desmarais le suppute.

En ce qui concerne les indicateurs utilisés dans les enquêtes sur l’avortement, la féministe montre du doigt le danger des chiffres et des interprétations que nous en faisons. Pour elle, les avortements n’ont pas augmenté de manière sensationnelle puisqu’ils n’ont pas toujours été recensés. Dans un article (« Avortons-nous trop ? » La vie en rose, 2005), Louise Desmarais explique que les indices utilisés portent à croire que les Québécoises avorteraient de manière démesurée, avec 40 avortements pour 100 naissances en 2003. Sur la base de ces statistiques, le Québec devance l’Ontario et les États-Unis, qui comptabilisent respectivement 32 et 34 avortements pour 100 naissances. Mais ces statistiques sont trompeuses, compte tenu du faible taux de natalité au Québec avec 1,48 enfant par femme.

Elle conclut que la réalité serait bien différente si on considérait le nombre d’avortements pour 1000 femmes en âge de procréer. Avec cette méthode, on atteindrait 19 avortements pour 1000 femmes, et nous serions précédés de la Suède et des États-Unis avec 20 et 21 avortements.

Dire aujourd’hui que l’avortement est l’une des causes de la baisse démographique est une absurdité puisqu’il n’y a aucun rapport causal. Comme le rappelle Louise Desmarais « et si l’enjeu était d’abord économique » avant d’être moral ?

La féministe souligne que le discours anti-choix tente de culpabiliser les femmes pour la dénatalité commencée en 1970 au Québec. Et le propos n’est pas particulier au Québec. Éric Zemmour, écrivain et journaliste politique au quotidien Le Figaro, vient de publier « Premier sexe », un livre dans lequel il affirme que les femmes ne devraient pas avoir le droit d’avorter car on risque de voir disparaître la population européenne d’ici 50 ans.