L’AFL-CIO tend la main aux journaliers travaillant au noir

50 % sont fraudés par leur employeur et 18 %, violentés

La nouvelle a surpris tous les commentateurs américains, qu’ils soient de gauche ou de droite. Dans un accord historique signé le 9 août dernier, la principale centrale syndicale américaine, l’AFL-CIO, tend la main à un groupe de travailleurs qui, malgré son immense poids démographique, demeurait presque ignoré par le mouvement ouvrier aux États-Unis : les centaines de milliers d’immigrants clandestins travaillant au noir.

Plusieurs travailleurs américains accusaient jusqu’ici les travailleurs illégaux de nuire aux conditions de travail en tirant les salaires vers le bas. Mais dans un communiqué, le président de la centrale syndicale, John Sweeney, vient d’établir clairement l’orientation que compte prendre son organisation, soit « promouvoir et faire respecter les droits en milieu de travail pour tous les travailleurs, syndiqués ou non-syndiqués, immigrants ou non-immigrants ».

Le groupe auquel l’AFL-CIO s’est associé, le Réseau d’organisation national des travailleurs journaliers, est un regroupement de « centres de travailleurs » ou « workers centers ». Ces 140 centres implantés dans 80 villes américaines servent de lieu de regroupement pour les travailleurs journaliers non-syndiqués, dont la plupart sont des immigrants issus des minorités visibles, incluant un fort pourcentage d’immigrants illégaux.

En janvier dernier, une étude conjointe des universités de Californie, de Los Angeles et de l’Illinois a révélé qu’à chaque jour, aux États-Unis, 117 600 travailleurs journaliers répertoriés se présentent à plus de 500 sites d’embauche, sans savoir ce que le lendemain leur réserve. L’étude démontrait que près de la moitié des journaliers avaient été fraudés par leur employeur et que 18 % d’entre eux rapportaient des cas de violence de la part des patrons.

Les centres de travailleurs offrent aux journaliers une structure à l’intérieur de laquelle ils peuvent se rencontrer et fixer des normes et des conditions minimales pour leur travail, même en l’absence de syndicat. Par exemple, dans la ville de Angoura Hills en Californie, ils se sont entendus pour qu’aucun d’entre eux n’accepte de travailler pour un salaire inférieur à 15 $ l’heure.

Divers services sont aussi offerts par ces centres, comme des cours d’anglais, des conseils juridiques, du crédit et l’accès à des soins de santé. « En fait, les centres de travailleurs sont un des éléments les plus dynamiques du mouvement ouvrier aujourd’hui, même s’ils n’ont généralement pas été liés au mouvement syndical », a déclaré le président de l’AFL-CIO, John Sweeney, cité par le New York Times.

L’accord entre les deux parties stipule que les centres de travailleurs pourront avoir des observateurs sans droit de vote sur les conseils exécutifs des « conseils du travail » de l’AFL-CIO, des regroupements régionaux de syndicats, semblables aux conseils régionaux de la FTQ ou aux conseils centraux de la CSN au Québec.

Les travailleurs journaliers ne deviendront pas membres des syndicats et ne paieront aucune cotisation. « Nous n’apportons pas d’argent, nous n’apportons pas de membres, a déclaré Pablo Alvarado, président du Réseau d’organisation national des travailleurs journaliers, en entrevue au New York Times. Mais nous apportons quelque chose de très important : de très humbles et très vulnérables travailleurs qui disent “ je dois être payé davantage pour ce que je fais ” ».

Figure importante du mouvement de défense des immigrants sans statut, Pablo Alvarado, 38 ans, est un Salvadorien d’origine arrivé aux États-Unis en traversant à pied et clandestinement la frontière mexicaine. Il a aujourd’hui sa « carte verte » de résident permanent, mais se souvient très bien de ses années comme travailleur illégal. Dans une entrevue qu’il accordait au journal français Le Monde en 2004, il décrit cette « vie faite de peurs, d’incertitudes ». « Le matin, vous ne savez pas si vous allez trouver un boulot, puis si vous allez être payé, ou si vous serez arrêté par un officier de police, qui va vous demander vos papiers, dit-il. Vous ne pouvez pas emmener vos enfants à l’école, parce que vous n’avez pas le droit de conduire une voiture. Si vous avez une urgence médicale pour un enfant, vous devez appeler quelqu’un d’autre pour l’amener à l’hôpital ! Vous n’avez pas le droit d’ouvrir un compte en banque – même si vous contribuez à l’économie américaine –, alors vous devez encaisser vos chèques auprès de ces caissiers qui vous prélèvent un pourcentage. De tous les côtés, vous êtes exploités... »