L’univers éclaté de Mélissa Deschênes

Créer, c’est extraire du néant. Cette définition constitue le point de départ d’une incursion dans l’imaginaire de Mélissa Deschênes, une jeune artiste-peintre de 28 ans native de Pointe-au-Pic, dans la région de Charlevoix. Cette créatrice d’images, comme elle se définit si bien, peint depuis toujours. Cette passion l’a mené à l’étude des arts plastiques au niveau collégial et la raison l’a guidée vers les arts graphiques à l’Université.

Quitter son Charlevoix natal pour atterrir à Montréal à la recherche d’un emploi en graphisme a été une étape nécessaire pour Mélissa, car le marché du travail en région est terriblement restreint. « Ceux qui restent dans Charlevoix, ce sont en général ceux qui ont repris le commerce de leurs parents ou qui travaillent au casino de Charlevoix. » Elle ajoute, avec une pointe de découragement dans la voix : « Les régions ne font rien pour garder leurs jeunes ».

Malgré tout, Mélissa se porte avec vigueur à la défense de sa région : « Charlevoix, c’est le no man’s land du Québec. On n’en parle jamais ! Prends, par exemple, la météo. On parle de Québec et du Saguenay. Il existe un trou noir de 6000 kilomètres carrés. On nous inclut dans la région de la capitale nationale même si c’est pas du tout la même réalité ».

Choix stratégique, cette migration vers le sud n’est pas définitive. « Si j’arrive à vivre de mes toiles, dans 10 ou 15 ans j’y retourne ! », affirme-t-elle avec conviction. En attendant, Montréal lui offre ses attraits. « J’ai perdu beaucoup côté nature et paysage, mais j’ai gagné au plan culturel », résume-t-elle. Il y a le théâtre, la musique et, bien sûr, l’art visuel.

« À Montréal, la grosse mode, c’est d’exposer dans les lieux publics. Je trouve ça super, car monsieur et madame tout le monde, des gens pas nécessairement intéressés par l’art, peuvent voir nos oeuvres ». Ce type de visibilité cadre parfaitement avec le but poursuivi par Mélissa: rendre l’art accessible au plus grand nombre possible. Dans cette optique, le prix de ses toiles est peu élevé afin que n’importe qui ayant un coup de cœur pour une de ses oeuvres puisse se la procurer.

Ne pouvant vivre exclusivement de son art, Mélissa travaille à temps partiel comme graphiste. Bien sûr, elle aimerait mieux se consacrer entièrement à son art. Elle a d’ailleurs tenté l’expérience pendant 6 mois, période pendant laquelle elle a vendu le plus de toiles.

Actuellement, sa clientèle est principalement américaine. Mais elle a fait une percée montréalaise cet automne. Elle a exposé pendant près de 2 mois au théâtre du Rideau Vert grâce à sa collaboration avec Anthracite Diffusion.

L’artiste peintre dénonce la situation des arts visuels au Québec : « c’est un milieu clos accessible seulement aux initiés ». N’ayant jamais profité de subventions gouvernementales, puisqu’elle préfère se débrouiller seule, elle condamne un système qui accorde des subventions prioritairement à ceux qui en ont déjà eu, ce qui a pour effet de défavoriser les artistes émergents. « Plus tu as bénéficié de subventions, plus tu as de chances d’en avoir » résume-t-elle.

Son désir d’autonomie transparaît dans le choix des lieux où elle expose. « Je n’ai jamais exposé en galerie parce que je ne veux pas être obligée d’augmenter le prix de mes tableaux pour payer des intermédiaires. » Les galeries touchent habituellement autour de 50 % du prix de vente d’une toile, mais certains galeristes peuvent prendre jusqu’à 70 %. Mélissa préfère exposer dans des restaurants, des cafés ou des hôtels. Elle a d’ailleurs des expositions permanentes au Tapas Bar à Québec et à l’auberge Le Petit Prince à Montréal.

Autre élément dérangeant, selon elle, est le fait que les peintres décident eux-mêmes de la valeur de leurs tableaux et en fixent le prix. « Je considère que les prix de mes toiles valent le temps que j’y ai mis et le coût du matériel, mais tout cela est tellement abstrait. Je vends de l’imaginaire ! »

Mélissa apprécie tout de même le milieu des arts visuels montréalais. « C’est trippant ! Chacun va au vernissage de l’autre. On est tous différents. Il n’y a pas de compétition entre les peintres. » Elle est cependant convaincue que les artistes sont trop individualistes. « Il faut se regrouper pour faire bouger les choses. Il faut ramener l’art dans la rue, le démystifier. »

Cette jeune peintre considère son « art comme engagé, mais pas à temps plein. Parfois, je fais des affaires simplement pour m’éclater. D’autres fois, ce sont des sujets plus politiques ». Lorsqu’un événement la touche, elle s’en inspire. « Le 11 septembre 2001, j’ai peint quatre tableaux. » Des toiles qui constituent une sorte de témoignage. « C’est exactement comme lorsqu’on dit que les écrits restent », précise-t-elle. Une toile montrant les deux tours du World Trade Center a été exposée dans un restaurant de Québec. Un pompier de New York qui s’y était arrêté pour manger l’a fait enlever le temps de son repas. Mélissa est fière de cet impact.

Ses toiles reflètent ses questionnements, ses impressions, mais aussi ses convictions. « Je suis souverainiste. Il y a donc souvent des fleurs-de-lys dans mes affaires », souligne-t-elle. D’ailleurs, lors de l’élection de Jean Charest, elle a peint fleurdelysée désossée, une toile qui avec sa simplicité désarmante témoigne clairement de l’impact de cette élection sur la société québécoise.

Lorsqu’elle sort ses pinceaux, Mélissa n’a pas d’idée précise. « Quand je crée, je suis bien. J’ai le contrôle, mais en même temps je me laisse libre ». Pas d’idée de départ, pas d’esquisse, pas de barrières. Elle s’inspire même parfois des taches faites par inadvertance sur son canevas. Elle n’a pas de discipline fixe et affirme ne pas avoir de lien affectif avec ses œuvres. « Je suis détachée de mes tableaux. Mon imaginaire c’est du vent ! Je donne des titres seulement pour mes dossiers. Je ne garde pas non plus systématiquement de photos de mes toiles. »

Très instinctive, Mélissa Deschênes crée des univers colorés où la réflexion et l’esprit ludique se côtoient pour instaurer un équilibre personnel qui touche et émeut.