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Quotas obligatoires  

Depuis les dernières élections provinciales, il y a eu un important recul du nombre des femmes élues. Il y a eu recul également de la représentation des  femmes au Conseil des ministres à l’Assemblée nationale. Cette situation  préoccupe beaucoup la journaliste et auteure d’essais féministes Pascale Navarro. Devant l’urgence de la situation, elle part en campagne pour convaincre, d’abord les femmes, qu’il est temps de passer à la parité.

Son plaidoyer est convaincant : « Que ce soit au Québec ou au Canada, les gouvernements non paritaires ne suscitent pas assez d’indignation. (…)  Il s’agit pourtant d’un enjeu majeur de justice et d’égalité de notre démocratie. L’inégalité de représentation ou l’absence de parité entre les hommes et les femmes crée un profond déficit démocratique ».

Elle rappelle que les pays d’Amérique latine – pourtant souvent des dictatures et plutôt machistes – se sont donné des obligations à la parité. « Aujourd’hui, en 2015, deux pays seulement, le Guatemala et le Venezuela, n’ont pas de quotas ou de mesures obligatoires ». C’est mieux que tout ce que l’on fait dans tout l’Occident !

L’expérience des pays scandinaves mérite notre attention. « En Suède, premier pays à avoir élu un gouvernement paritaire (en 1986), ce sont les partis qui se donnent l’obligation de présenter des femmes et des hommes à égalité. »  Les résultats se passent  de commentaires !  En Suède, les femmes occupent l’espace politique à hauteur de  44 %.
 
Pourquoi et comment le Québec a-t-il perdu des acquis prometteurs, notamment avec le Premier ministre Jacques Parizeau ? Un véritable allié des femmes, selon sa ministre Louise Beaudoin. Le premier à créer un Conseil des ministres paritaire et à se prononcer pour l’équité salariale. Jean Charest n’a-t-il pas fait un pas dans ce sens quelques années plus tard ?

Pascale Navarro  souligne encore que le Québec compte au moins un parti, Québec Solidaire, qui évolue en mode paritaire avec une direction bicéphale. Et l’auteure de plaider enfin pour la parité et la mixité sur le chantier du Plan Nord : « Une occasion toute désignée de faire preuve de leadership en matière de développement égalitaire. »  En espérant que quelqu’un l’entende, à Québec !

Femmes et pouvoir : les changements nécessaires. Plaidoyer pour la parité, Pascale Navarro, Leméac, 2015

Voltaire à la rescousse

Au secours VOLTAIRE ! Contre l’obscurantisme ambiant, j’appelle le Philosophe des Lumières à la rescousse ! Les pires craintes de déroute dans le milieu de l’éducation depuis la rentrée scolaire 2015 sont confirmées. En dépit des promesses oiseuses du ministre de l’Éducation François Blais, ces mesures d’austérité, qui ne devaient pas trop affecter les écoles, les privent de leurs bibliothèques. Rien que ça ! On les vide pour en faire des classes. 

On n’est pourtant pas en déficit de livres. Parait même qu’on en a des tout neufs ! Ce ne sont donc pas les livres qui manquent, mais l’espace pour loger les écoliers. Et qu’est-ce qu’on fait des livres ? Aidés de parents secourables, les enseignants mettent les livres en boites pour les ranger bêtement dans les sous-sols. Pas de danger de contamination pour les jeunes lecteurs !

Les livres à l’abri n’empêcheront pas l’ancien ministre Bolduc de dormir, ni l’actuel, ni leur gouvernement libéral qui cultive l’obscurantisme. Mais les parents ? Les enseignants ? Personne n’a donc  pensé à faire courir les livres le long des murs des classes et des couloirs ? Et même des gymnases... s’il y en a !

Constat désespérant d’une époque désespérante. Mais voilà qu’apparaît dans nos librairies un auteur depuis longtemps en allé, Voltaire, et des textes, pondus  il y a plus de trois cents ans, qui s’ajustent à l’actualité contemporaine comme si De l’horrible danger de la lecture venait d’être écrit : « Cette facilité de communiquer ses pensées – par l’imprimerie – tend évidemment à dissiper l’ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés. (...) Il se pourrait dans la suite des temps, que de misérables philosophes, sous le prétexte spécieux, mais punissable, d’éclairer les hommes et de les rendre meilleurs, viendraient nous enseigner des vertus dangereuses dont le peuple ne doit jamais avoir de connaissance. Et, de peur que la tentation diabolique ne leur prenne de s’instruire, nous défendions aux pères et aux mères d’enseigner à lire à leurs enfants. Et, pour prévenir toute contravention à cette ordonnance, nous leur défendions de penser, sous les mêmes peines ».

Le lecteur pourra, en outre, se délecter de textes savoureux dont Le Dialogue du chapon et de la poularde qui ne manquera pas d’amuser les amateurs de volailles et autres bestioles.

Voltaire. De l’horrible danger de la lecture et autres invitations à la tolérance, Voltaire, Gallimard, 2015

Le dernier des rouges

S’attaquer à la biographie d’Honoré Beaugrand n’est pas une mince affaire. Pour Jean-Philippe Warren, cet homme fascinant, flamboyant même – qui se définit lui-même comme un natural-born kicker – a eu une vie  tumultueuse. Peut-être serait-il plus juste de parler des multiples vies d’Honoré Beaugrand tant il a exploré des métiers opposés à partir d’humble pâtissier jusqu’à la consécration comme maire de Montréal, en passant par l’enrôlement militaire au Mexique pour y défendre sa chère France, l’édition et le journalisme, ses véritables passions !

Le journalisme de combat, s’entend, comme cela se pratiquait à l’époque, et qui a fait la marque de commerce et la fortune du prestigieux éditeur du quotidien La Patrie, dont le premier numéro est paru le  24 février 1879. Qui est Honoré  Beaugrand ?

Physiquement d’abord, il est beau et grand, d’où Beaugrand. Quant au caractère, bien trempé, voyons ce qu’en dit  son biographe, : « Beaugrand n’est pas du genre à cacher ses convictions ou à les diluer dans l’eau de rose. (...) il pourfend les monarchistes et les ultramontains avec une raideur qui ne cesse de surprendre le lecteur contemporain. (…) Ce diable d’homme confond en effet tous les préjugés que nous pourrions entretenir au sujet d’une société canadienne-française immobile et repliée sur elle-même. (L’une des figures les plus attachantes et pourtant les plus méconnues du début du XIXe siècle.) »

Une biographie très documentée, touffue même, divisée en sept  chapitres qui résument la trop brève  vie d’Honoré Beaugrand, décédé à  l’âge de 58 ans. Mais allez comprendre pourquoi, il n’y a pas de chapitre consacré au journaliste alors que ce fut son occupation principale partout où il a élu domicile ?

Que ce soit à Fall River, à Boston et à  Montréal où, à chaque fois, il a fondé un journal pour défendre ses idées républicaines, rassembler ses compatriotes exilés aux États pour des raisons économiques et mener ses batailles contre les conservateurs de tout acabit. En 1897, il participe à la fondation d’une loge maçonnique radicale.

Si Jean Drapeau a eu son Expo ’67 et ses Olympiques ’76, le maire Honoré Beaugrand  s’est réjoui des Fêtes du troisième Carnaval d’hiver en 1885), qui ont marqué de manière fastueuse le début de son règne. L’établissement d’une politique de santé publique devient une priorité quelques jours après son assermentation. Le nouveau magistrat fera face à une épidémie de variole qui lui  a valu le surnom de « roi picote » pour sa défense de la vaccination obligatoire. Des années après son départ de l’Hôtel de Ville, écrit Jean-Philippe Warren, « des citoyens affirmeront qu’il a été, et de loin, le meilleur maire que Montréal ait jamais connu ».

Honoré Beaugrand. La plume et l’épée (1848-1906), Jean-Philippe Warren, Boréal, 2015