Pour la reconnaissance d’un métier dévalorisé

Selon les gestionnaires, couper les dépenses, c’est couper des employés

2016/11/15

Au cours des dernières semaines, les préposés aux bénéficiaires de 48 résidences privées pour personnes âgées, affiliés au Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 (SQEES-FTQ), ont entrepris des moyens d’action pour obtenir un salaire de 15 $ l’heure, refusé par l’ensemble des propriétaires. 

Au cours des dernières semaines, les préposés sont sortis des résidences pour manifester leur mécontentement face au déroulement des négociations pour le renouvellement de leur convention collective. Leur but : renseigner la population sur les conditions de travail injustes des travailleuses et des travailleurs prenant soin des aînés. 

« Jusqu’à maintenant, nous avons l’appui des médias et de la population », nous confie Richard Belhumeur, président du SQEES-FTQ. « Lorsque les gens réalisent le montant du salaire de ceux qui s’occupent de leurs parents, l’appui est immédiat », rajoute-il. 

Considérant que le salaire moyen des préposés se situe actuellement entre 10 $ et 12 $ l’heure, les demandes de hausse salariale ne semblent pas hors norme. Ces dernières, insufflées par la campagne aux États-Unis du Fight for 15 $, porté par le Service Employees International Union (SEIU) ont une résonnance internationale. 

Au Québec, autant les syndicats que les médias ou les centres de recherche évaluent les avantages de hausser le salaire minimum à 15 $ l’heure. L’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) a élaboré un nouvel indice, le salaire viable, qui sert à mesurer le minimum pour que le « salaire horaire permette à un salarié à temps complet une pleine participation sociale et une marge de manœuvre pour une sortie de la pauvreté ». 

Ce seuil est d’au moins 15,10 $ l’heure. En-deçà de ce seuil, les travailleurs deviennent des travailleurs pauvres, des working poors. 

L’institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) complète l’analyse en dressant un portrait plus général : « La faible progression des salaires est en partie responsable de la faible croissance économique ». En ce sens, l’État québécois a tout intérêt à encourager la hausse du salaire minimum. De plus, l’IRÉC voit évidemment dans cette mesure une façon de réduire les inégalités sociales. 

Mais, pour les préposés, ce combat pour le salaire est avant tout une lutte pour la reconnaissance d’un métier dévalorisé, reconnaissance qui passe par une juste rétribution par leur employeur. 

« Dans le réseau public, le salaire moyen des préposés se situe entre 19 $ et 21 $ de l’heure », nous explique Benoît Hamilton, conseiller aux communications du SQEES-FTQ. « Malgré le fait que les propriétaires disent investir dans les services, ils n’augmentent pas les salaires des préposés. C’est incohérent », de rajouter M. Belhumeur. 

Jean Bottari, militant pour l’amélioration des conditions de travail des préposés, confirme et précise : « Pourtant, depuis la loi 90, les préposés dispensent plus de services que les employés du secteur public ». Il rajoute que « ces services, ce sont des économies que réalisent les propriétaires des résidences qui, en plus, les chargent à la carte dans un cadre où les résidents paient des loyers pouvant atteindre 5 000 $ ». 

La seule raison qui explique que les employeurs ne donnent pas de meilleurs salaires, « c’est simplement parce que ce sont de mauvais administrateurs », finit-il par dire. 

Le président du SQEES-FTQ donne l’exemple suivant : « Au CHSLD privé Villa Belle Rive, l’offre salariale patronale de départ s’étale sur 5 ans, avec 0 % d’augmentation les trois premières années ». À cet endroit, les préposés sont payés au salaire minimum. 

Il poursuit : « Pourtant, pour la plupart des résidences, ce sont de grands groupes qui investissent massivement dans de nouveaux projets. Comme le Réseau Sélection, qui prévoit investir deux milliards d’ici 2019 dans la construction de nouvelles résidences ». 

Selon lui, cette disparité entre le public et le privé s’explique par la logique du profit, qui anime les propriétaires. « Leur philosophie, c’est que les ressources humaines, ce sont des dépenses. Pour qu’une entreprise soit rentable, les gestionnaires doivent couper dans les dépenses, et les employés font partie des dépenses. C’est du capitalisme. » 

Pourtant, les deux parties semblent identifier un problème d’attraction et de rétention des préposés. « Nous, nous offrons une solution, mais les patrons disent avoir les mains liées », nous explique M. Belhumeur. 

Pour cet article, l’aut’journal a tenté de joindre le président du Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA), Yves Desjardins, mais l’entrevue a été annulée sous prétexte que l’organisation ne veut pas avoir affaire avec notre journal. 

Pour l’instant, les employeurs refusent de déposer leur bilan financier au Syndicat pour faire la preuve de leur incapacité à payer davantage. 

La mobilisation actuelle est le fruit d’un travail qui a commencé en 2012. Sans parler de coalition, un pacte de solidarité existe entre les différents syndicats : « Les résidences accréditées à la CSN nous appuient », nous dit M. Belhumeur. 

Et, malgré le refus des propriétaires de faciliter la négociation, « l’objectif n’est pas de faire fermer des résidences », nous explique-t-il. À preuve, la grève du 11 mai a été décidée après une entente avec les employeurs pour que les services essentiels soient assurés. 

« Mais, c’est un avertissement. D’autres unités d’accréditation se dotent présentement de mandats de grève. La prochaine fois, si les demandes des travailleuses et des travailleurs ne sont pas satisfaites, nous allons étendre la grève et sa durée », avertit le président du SQEES-FTQ. 

Il termine en disant : « C’est un sujet qui nous touche tous, puisqu’avec le désengagement de l’État, tous devront éventuellement transiter par des résidences privées. Nous avons tout intérêt à ce que ces travailleurs soient rétribués à leur juste valeur ».