Retour sur la revanche des berceaux palestiniens

Dans le dernier numéro de l'aut'journal est paru un extrait de mon livre La Force du nombre, un récit rapporté d'un voyage à Gaza.

L'extrait a été publié sans présentation aucune, sans que l'on sache qu'il était question d'une minuscule bande de terre en train de s'autoétrangler avec ses nombres, ni pourquoi j'y suis allée questionner la raison de ces nombres. L'extrait retenu par l'aut'journal a donné l'impression à quelques lecteurs que je me pose en féministe-enragée-et-méprisante devant une société machiste contre laquelle je porte des accusations. Je ne saurais dire à quel point j'en fus attristée. D'autant que le véhicule dans lequel mes mots se sont inscrits est un journal qui met ses engagements politiques dans les mêmes sillons que les miens, un journal qui dénonce les injustices.

Je suis allée à Gaza pour raconter ce qui n'est jamais montré aux bulletins télévisés. Je suis allée voler les histoires d'enfants qui croupissent dans leur merde (au sens littéral) dans des camps de réfugiés surpeuplés, bombardés chaque nuit au vu et au su de la communauté internationale, mais dans un silence médiatique, les histoires de mères anémiques qui vivent de mendicité, de familles qui renouent avec les tentes de 1948 tandis que l'armée rase deux maisons par jour. La Force du nombre est un témoignage des cris de centaines de milliers de réfugiés ne jouissant d'aucune forme de protection contre les agressions armées dans les camps de l'ONU.

Mon récit dénonce avant tout la façon dont le voile est mis sur l'œil des caméras de télé, et vilipende le choix des mots dans les médias qui travestit tant les réalités. Et pour dire cette Palestine que les journalistes fuient, préférant le confort de Jérusalem-anti-balles, je me suis servie de l'histoire de mon père. J'ai utilisé sa détresse, son geste-kamikaze et les tortures qui lui ont été infligées – par des suppôts de la C.I.A. – pour déconstruire les préjugés que les gens ont de plus en plus envers les Palestiniens depuis la multiplication des kamikazes.

J'ai décrit le vertige incurable de mon père devant l'incapacité de nourrir sa légion d'enfants, ordonnée par l'Église. Une fois en Palestine, j'ai questionné les désespoirs des pères devant cette pareille incapacité généralisée de nourrir leurs enfants, mais en montrant bien le vrai responsable de cette situation. J'ai questionné la raison de leur nombre (le plus haut taux de croissance du monde) afin de peindre des détresses individuelles qui poussent au même ultime acte final, dans cette prison mise à feu et à sac par l'armée israélienne.

S'il est une chose que je n'ai jamais faite en Palestine-by-the-sea, c'est bien de juger, car je suis du même sang qu'eux : je suis du « sang des nombres ». Ma quête était celle de comprendre. Cela fait 40 ans que j'essaie de comprendre le geste-kamikaze de mon père. Et il y avait, à Gaza, une réponse qui m'attendait.

La force du nombre, Pauline Gélinasr, Lanctôt éditeur, 2003