Le Québec sait-il assez parler anglais?

2008/02/25 | Par Bernard Desgagné

Lorsque les libéraux de Jean Charest ont décidé que l’anglais devait être enseigné à partir de la première année, c’était parce qu’ils croyaient que les Québécois ne savaient pas assez parler anglais.

Aujourd’hui, Pauline Marois nous dit qu’elle diffère d’opinion sur les modalités d’enseignement, mais qu’elle pose le même diagnostic : l’école québécoise n’inculque pas assez l’anglais aux jeunes. Qu’en est-il exactement?

Les Québécois francophones, cinq fois plus bilingues

Les langues sont des savoirs complexes que l’on ne maîtrise qu’en s’exerçant à longueur de journée. C’est pourquoi les langues ne s’apprennent pas seulement à l’école, mais aussi dans toutes les sphères de la vie.

L’omniprésence de l’anglais au Québec en facilite grandement l’apprentissage hors de l’école. Ainsi, on constate que la majorité linguistique du Québec est cinq fois plus bilingue que la majorité linguistique du Canada anglais.

Parmi les jeunes adultes québécois de langue maternelle française, le taux de bilinguisme est de 53 %. Dans la région de Montréal, il dépasse 60 %. À Gatineau, il atteint 80 %. La connaissance de l’anglais au Québec est beaucoup plus répandue que les diplômes universitaires.

Quelle que soit l’analyse qu’on fasse du rendement de l’école québécoise, le résultat final est un taux très élevé de bilinguisme. Le Canada anglais ne semble souffrir ni intellectuellement ni économiquement de son taux d’unilinguisme de 93 %.

Pourquoi le Québec souffrirait-il d’un taux d’unilinguisme de 47 % parmi la jeune génération? Y a-t-il vraiment un problème nécessitant un renforcement de l’enseignement de l’anglais?

Être servie en anglais à Québec

Dans un reportage diffusé le 5 février 2007, un journaliste de Radio-Canada, Yannick Bergeron, a demandé à une collègue de Toronto de s’adresser à une quarantaine d’endroits dans la très française ville de Québec pour demander à y être servie en anglais.

Dans chaque cas, on a trouvé quelqu’un sachant parler anglais, jusque dans une caisse populaire de Charlesbourg. Où est donc ce manque criant de connaissance de l’anglais? S’agirait-il d’un faux problème?

La question de l’égalité des chances

Mais certains pensent qu’il s’agit plutôt d’une question d’égalité des chances. Les Québécois qui ne parlent pas anglais seraient relégués au rang de chair à canon du combat linguistique. L’anglais ouvrirait des portes, et la connaissance d’une deuxième langue rendrait plus intelligent. Est-ce bien vrai?

Jusqu’à maintenant, on a dit peu de choses des francophones unilingues du Québec, sinon qu’ils viendraient de régions reculées qui, aux yeux de certains, n’auraient pas encore vu la lumière.

Or, 49 % des Québécois âgés de 15 ans et plus n’ont jamais étudié au cégep. Doit-on s’attendre à ce que des décrocheurs ou des personnes peu scolarisées possèdent une langue seconde?

S’ils ont de la difficulté dans les matières scolaires, faut-il leur dire : vous ne savez ni lire, ni écrire correctement votre langue maternelle, vous avez peine à compter et les sciences sont un mystère pour vous, mais vous allez apprendre l’anglais, car c’est votre seule planche de salut?

La musique, les arts plastiques, aussi bénéfiques que l’anglais

La connaissance de l’anglais ne rend pas plus intelligent que n'importe quelle autre connaissance.

Encore récemment, un linguiste de l’Université d’Ottawa, M. Pierre Calvé, colportait dans les journaux les balivernes antédiluviennes de Wilbert Penfield sur les prétendus bienfaits neuronaux du bilinguisme, bienfaits qu’aucune étude n’a jamais démontrés.

La musique, les arts plastiques, les sciences et les mathématiques sont aussi bénéfiques pour le cerveau humain que les langues étrangères.

Mieux encore, l’une des variables les plus étroitement associées à la capacité d’apprendre une langue étrangère est la maîtrise de la langue maternelle.

Les Québécois qui parlent bien français apprennent plus facilement l’anglais, et cet apprentissage se fait plus efficacement vers la fin de l’adolescence ou à l’âge adulte, n’en déplaise à Mme Marois.

Faut-il s’acharner à faire apprendre l’anglais ?

Certaines personnes sont douées pour les langues, et d’autres, qui peuvent être douées pour autre chose, ont une intelligence verbale très ordinaire. Faut-il s’acharner pour que tout le monde parle anglais?

Des Québécois ont-ils déjà souffert de ne pas savoir parler anglais? Sans doute, mais c’est probablement beaucoup plus attribuable à l’incapacité de la nation québécoise d’imposer le français partout qu’à une nécessité fondamentale d’apprendre l’anglais.

Quand, par exemple, un francophone unilingue veut obtenir un poste ou une promotion dans l’administration fédérale, où le travail se fait 88 % du temps en anglais, il est certain que l’unilinguisme peut être un désavantage.

Néanmoins, cette obligation de bilinguisme est le résultat de l’asservissement de la nation québécoise au sein du régime fédéral. Mettons fin à cet asservissement, et l’anglais perdra son lustre artificiel.

Il existe de bons systèmes de traduction

Les échanges commerciaux, scientifiques et culturels avec les autres peuples de la terre peuvent nécessiter la connaissance d’autres langues — pas seulement de l’anglais —, mais le Québec pourrait très bien s’organiser, comme d’autres pays largement unilingues, pour créer des interfaces avec le reste du monde grâce entre autres à un bon système de traduction.

Il peut aussi faire rayonner la langue française à l’étranger en l’enseignant et en la diffusant. Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir d’attraction du français dans le monde.

La différence avec les Scandinaves et les Néerlandais

Certains diront que d’autres petits peuples sont encore plus bilingues que les Québécois et qu’ils arrivent très bien à conserver leur langue nationale. Ce serait le cas par exemple des Scandinaves et des Néerlandais.

Il y a toutefois trois différences importantes entre eux et les Québécois : 1) les langues de ces peuples sont très peu parlées dans le monde hors du territoire national; 2) ces peuples sont souverains; 3) ils ne souffrent pas, sur leur territoire, de la forte concurrence d’une autre langue.

Les néerlandophones qui, aux Pays-Bas, n’hésitent pas à apprendre l’anglais sont à l’inverse passablement hostiles à l’usage du français en Flandre parce qu’au sein de la fédération belge, leur langue nationale est menacée par la concurrence du français.

Faisons un marché avec les intégristes du bilinguisme. Lorsque tous les jeunes qui sortiront des écoles, des cégeps et des universités du Québec auront une connaissance « parfaite » de la langue française, quelle que soit leur origine ou leur langue maternelle, nous accepterons d’envisager la possibilité d’en faire de « parfaits » bilingues.

Allophones et anglophones doivent savoir parler français aussi bien que tous les autres Québécois. Ils ont les mêmes droits et les mêmes devoirs que tous envers la langue française, langue de tous les Québécois.

Le français doit être partout au Québec la langue du travail, des loisirs et de la vie en général. Malheureusement, nous sommes encore très loin du compte.

Le bilinguisme se porte très bien au Québec. Le grand chantier linguistique du Québec doit être celui de la langue française.

Bernard Desgagné est traducteur et enseignant. Il a vécu 14 ans au Manitoba, où il a enseigné dans des écoles d’immersion française et où il a été conseiller pédagogique au ministère de l’Éducation. Il est aujourd’hui traducteur.