Festival Vues d’Afrique

2008/04/04 | Par Benoit Rose

Dans les médias nord-américains, le point de vue africain sur le monde fait cruellement défaut. De leur vaste continent, les Africains eux-mêmes ont une vision en partie déformée par les agences de presse et les médias occidentaux, qui leur offrent à voir les réalités locales et planétaires avec des yeux du Nord.

Trop souvent, le facteur ethnique est le plus évoqué pour expliquer les conflits sociaux, politiques ou militaires africains. Dans un entretien récent au quotidien français Le Monde, René Otayek, auteur et directeur d’un Centre d’études d’Afrique noire à Bordeaux, parle de paresse intellectuelle. « Le mettre en avant, écrit-il, c’est se couler dans le moule d’une Afrique mystérieuse, le continent des ténèbres […]. C’est une grille d’analyse indissociable d’une vision misérabiliste, primitiviste et archaïque de l’Afrique. »

Pour le chercheur Christian Coulon, collègue d’Otayek, analyser par le prisme ethnique constitue une « vision immédiate qui satisfait une partie de l’opinion occidentale, car elle renvoie à une image de l’Afrique sinon primitive, du moins en retard. C’est l’explication la plus facile, ajoute-t-il, celle qui demande le moins d’efforts. » En caressant la paresse, les intérêts occidentaux et les idées préconçues, nos médias nous offrent un point de vue réducteur et très peu instructif.

C’est ce genre de vision du continent africain qui a pu surgir lors de la récente crise au Kenya. C’est du moins ce que déplore John Barbieri, fondateur de la coalition américaine Peace with Truth and Justice in Kenya. Le journal Alternatives publiait récemment la traduction d’un de ses textes dans lequel il fustige le journalisme international. « La crise au Kenya doit être couverte de long en large, écrit-il, mais elle doit être expliquée correctement en intégrant le contexte historique et le point de vue des habitants. »

« L’opinion de la population doit être rapportée, mais elle ne doit pas être présentée de façon sensationnaliste comme c’est souvent le cas à la télévision, ajoute-t-il. On entend d’ailleurs rarement les gens s’exprimer. La narration paraphrasée est omniprésente. Pourquoi ne pas utiliser plus souvent des sous-titres? »

Qui plus est, et pour plusieurs raisons, nos salles de cinéma présentent rarement des films africains qui pourraient nous éclairer, nous familiariser avec les nombreuses visions et aspirations d’un continent oublié. Quelles voix n’entendons-nous pas? Quels échos africains restent dans l’ombre de la marche mondiale?

Vues d’Afrique

C’est là que peut intervenir Vues d’Afrique. Pour une 24e année, soit du 10 au 20 avril 2008, le festival permet de pallier un peu au manque en présentant ses journées du cinéma africain et créole. Du Maghreb à l’île de la Réunion, en passant par le Burkina Faso, plus d’une centaine de fictions et de documentaires prennent l’affiche pour montrer et dire l’Afrique.

Le parrain de l’édition de cette année, le réalisateur montréalais d’origine sénégalaise Musa Dieng Kala, présente en primeur son documentaire Dieu a-t-il quitté l’Afrique?. L’homme est retourné dans son quartier natal de Dakar pour suivre le quotidien de cinq jeunes adultes décidés à émigrer en Occident. Un film qui parle de l’indifférence internationale, du désengagement des dirigeants et d’une société vidée de ses ressources.

C’est le film franco-algérien Délice Paloma (2007) de la réalisatrice Nadir Mokneche qui ouvrira le festival, le 10 avril prochain, au Cinéma Impérial. Cette fiction raconte l’histoire d’une femme en quête d’ascension sociale dans une Algérie en pleine mutation.

La clôture sera assurée quant à elle par le film Faro, la reine des eaux (2007) de Salif Traoré, une collaboration Québec-Canada-France-Mali. Ce film nous raconte le retour au bercail d’un jeune ingénieur africain, confronté aux traditions et aux croyances ancestrales des habitants de sa région natale. « Ce film, je le veux comme un message pour dire que l’Afrique doit se pencher sur ses préjugés », affirmait Traoré l’an dernier.

Rétrospective Ousmane Sembène

La Cinémathèque québécoise présente de son côté la rétrospective Ousmane Sembène, pionnier du cinéma africain décédé l’an dernier. Né au Sénégal en 1923, c’est Sembène qui a tourné le premier long métrage africain en 1966 après avoir étudié le cinéma à Moscou. « Élève rebelle, autodidacte, maçon, mécanicien, ancien combattant, docker, écrivain prolixe, cinéaste engagé, sont autant de balises sur son itinéraire », dépeint Jean Ouédraogo dans son hommage à l’homme de combat.

En plus de l’œuvre de Sembène, la Cinémathèque nous offre un portrait documentaire signé Ngugi wa Thiongo et Manthia Diaware, et intitulé Sembene : The Making of Africain Cinema (1994), dans lequel le principal intéressé parle de sa carrière et de sa vision du septième art. Les deux cinéastes l’ont suivi chez lui, sur des lieux de tournage et au festival de Ouagadougou.

Le cinéaste égyptien Youssef Chahine, qui a remporté un prix pour l’ensemble de son œuvre au festival de Cannes en 1997, présente son film Le chaos, coréalisé avec Khaled Youssef. « Un amour contrarié dans un climat de violence sociale et d’oppression policière », qui se déroule dans Choubra, un quartier cosmopolite du Caire.

Oriane Brun-Moschetti et Leïla Morouche présentent leur documentaire Algérie Tours/détours, une collaboration franco-algérienne. Accompagnées du cinéaste militant René Vautier, les jeunes réalisatrices françaises sillonnent le pays en recréant le dispositif de projections itinérantes des « ciné-pops », que Vautier avait mis en place au lendemain de l’indépendance. Projetant des films sur la guerre d’Algérie, elles discutent avec les spectateurs de la situation politique, de l’histoire, de la jeunesse, de la femme…

Regard sur l’Afrique du Nord

Près de la moitié des œuvres posent cette année un regard sur l’Afrique du Nord et notamment sur le Maroc, d’où chaque année de nombreux Africains tentent de rejoindre l’Espagne en traversant le Détroit de Gibraltar. Le coordonnateur à Vues d’Afrique Damien Chalaud affirme que beaucoup de films s’inscrivent dans une démarche de réappropriation du passé, tandis que d’autres plongent davantage dans des univers mystiques entre le réel et la fiction.

Des bouquets de courts métrages africains ont aussi été concoctés pour le festival : par exemple, le 11 avril, le Cinéma Beaubien présente six courts, dont Carcasse (13 minutes), où des ouvriers se font greffer des outils à la place des bras dans un futur proche, et Le Café des pêcheurs (23 minutes), où dans le nord du Maroc, des pêcheurs passent leur temps à contempler leurs barques, jusqu’à ce que l’un deux décide de prendre la mer.

Le sujet le plus souvent traité dans les œuvres demeure « les contraintes faites aux femmes », qui donne son nom au colloque qui se tiendra le mardi 15 avril en compagnie de la Première Dame du Burkina Faso, Mme Chantal Compaoré.

Pour d’autres images d’ici et d’ailleurs sur l’Afrique et les pays créoles, consultez la volumineuse programmation. Les projections ont lieu à Montréal, au Cinéma du Parc, au Cinéma Beaubien, à l’Office nationale du film et à la Cinémathèque québécoise.

Le festival Vues d’Afrique, du 10 au 20 avril 2008.