Point de vue syndical sur l’inflation

2023/06/14 | Par Luc Allaire

« L’OCDE fait une analyse erronée de ce qui cause l’inflation », c’est en ces termes que Liz Shuler, la présidente de l’AFL-CIO – le plus grand regroupement syndical aux États-Unis – a décrit l’analyse économique de l’OCDE lors de la Réunion du Conseil de l’OCDE (1) au niveau ministériel qui se tenait à Paris les 7 et 8 juin sous le thème « Assurer un avenir résilient : des valeurs communes et des partenariats mondiaux ».

Selon Liz Shuler, qui est aussi présidente de la Commission syndicale consultative de l’OCDE, mieux connue sous son acronyme anglais TUAC, les gouvernements membres de l’OCDE continuent de mal évaluer les causes de l’inflation qui serait due, selon eux, à une demande excessive entrainant une surchauffe du marché du travail.

Cibler les profits

Au contraire, dit-elle, les causes de l’inflation que nous vivons depuis la pandémie résultent des problèmes liés à l’offre causés par une rupture des chaines d’approvisionnement et un réajustement des prix à la suite de la pandémie.

Les faits, explique-t-elle, racontent une tout autre histoire que celle proposée par l’analyse économique de l’OCDE. S’il y avait vraiment une surchauffe des marchés du travail qui atteignait la limite de l’offre du travail, il y aurait une hausse des salaires réels et une très faible augmentation du nombre d’emplois.

Au contraire, on constate une diminution des salaires réels et une augmentation du nombre d’emplois. La spirale inflationniste que nous connaissons depuis la pandémie n’est pas due à une hausse des salaires, mais à une hausse des profits.

La Confédération syndicale internationale n’hésite pas à décrire l’inflation actuelle comme étant une « greed inflation », une inflation due à la cupidité des capitalistes. On est loin de l’analyse de Pierre Poilièvre qui parle de « Justinflation », prétendant que l’inflation au Canada est due aux dépenses excessives du gouvernement canadien.

En tentant de comprimer la demande globale pour s’attaquer au goulot temporaire de l’offre, les décideurs politiques commettent une erreur qui pourrait s’avérer très coûteuse, car ceci pourrait entrainer une récession. À travers le monde, les séries sans précédent de hausses des taux d’intérêt imposées par les banques centrales continuent d’affaiblir l’économie et auront des effets négatifs significatifs.

Si les États ajoutent des mesures d’austérité fiscale au resserrement monétaire, comme certains le recommandent, ils répéteront les erreurs commises lors de la crise financière de 2008 et accentueront la récession. Si les banques centrales continuent leurs actions contre une inflation de l’offre, les chances que l’économie rebondisse rapidement après la récession seront minces. Le danger est tel qu’un resserrement monétaire et une récession pourraient déclencher un nouvel effondrement des marchés financiers.

Éviter une deuxième récession majeure

Afin d’éviter une nouvelle récession et afin de s’attaquer aux causes réelles de l’inflation, les organisations syndicales membres du TUAC exhortent l’OCDE et les décideurs politiques à :

  • Cesser immédiatement la hausse des taux d’intérêt ;
  • Investir dans des structures d'approvisionnement plus sûres et résilientes ;
  • Promouvoir le dialogue social et la négociation collective afin de permettre aux salaires réels de rattraper leur retard tout en empêchant les banques centrales de mettre en péril la croissance et l'emploi ;
  • Mettre en place des contrôles sélectifs des prix pour éviter les hausses abusives ;
  • Taxer les bénéfices excédentaires pour décourager les hausses de prix injustifiées des entreprises ;
  • Utiliser des objectifs flexibles de stabilité des prix comme fourchette cible plutôt qu'un simple point numérique donnant moins de flexibilité à la politique monétaire.

Avenir énergétique : une présentation amusante

La Réunion du Conseil de l’OCDE s’est terminée par une plénière sur l’avenir énergétique. Cette session était animée par Grant Shapps, secrétaire d’État pour la sécurité énergétique et zéro émission (Secretary of State for Energy Security and Net Zero) dans le gouvernement conservateur du Royaume-Uni.

Faisant preuve d’un optimisme inouï, il a déclaré que nous sortirons victorieux de la lutte aux changements climatiques comme nous sommes sortis victorieux de la crise de l’énergie de 1973. Soulignant ce 50e anniversaire, il a présenté des statistiques selon lesquelles les emplois dans le secteur de l’énergie propre représentent actuellement plus de la moitié de la main-d’œuvre employée dans le secteur énergétique. En 2030, cette proportion sera de 80 %, a-t-il dit. Ces emplois seront principalement dans les secteurs de l’éolien et du nucléaire.

À ceux qui s’inquiètent du carbone dans l’atmosphère, Grant Shapps répond que le Royaume-Uni captera des millions de tonnes de carbone qui seront enfouies dans la mer du Nord. Le gouvernement britannique a en effet annoncé un investissement de 20 milliards de livres sur vingt ans dans la capture de carbone et détaillé ses plans pour accélérer le développement du nucléaire, dans le cadre de son objectif de neutralité carbone en 2050.

L’objectif est de stocker de 20 à 30 millions de tonnes de CO2 par an d'ici 2030, soit l'équivalent des émissions de 10 à 15 millions de voitures. Sous un ton jovial, Grant Shapps a dit que cela représente le poids de 1,5 milliard d’éléphants bien nourris.

La présentation du secrétaire d’État britannique a certes été amusante, mais bien peu convaincante.

Cette réunion de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) regroupe principalement des ministres des Finances, mais aussi des ministres de l’Environnement des pays membres de l’OCDE. Sont aussi invitées les organisations syndicales membres de la Commission syndicale consultative de l’OCDE mieux connue sous son acronyme anglais, TUAC, ainsi que des représentants des entreprises.

Légende photo :

Luc Allaire faisait partie de la délégation de la Commission syndicale consultative de l’OCDE (TUAC) à la Réunion du Conseil au niveau des ministres.