Il n’y pas grand-chose d’aussi révolutionnaire encore aujourd’hui que l’aspiration à l’égalité pour remettre en question les pouvoirs établis. En est pour preuve la réaction à la déclaration d’un Legault comme quoi tout le monde (en pensant d’abord aux députés) devrait avoir de quoi nourrir ses enfants. Est immédiatement apparu l’immense écart entre le revenu attribué par notre société démocratique aux gens ordinaires et celui attribué aux députés. En effet qu’y a-t-il de plus caractéristique des inégalités de traitement que s’accordent eux-mêmes les députés que les augmentations qu’ils viennent de se voter?
Aussitôt, un courant d’opinion défavorable à ce geste s’est exprimé au nom de l’égalité entre citoyens, fûrent-ils investis du pouvoir. C’est en effet l’égalité entre tous qui est invoqué pour désapprouver la décision de la CAQ et de ses députés de rendre plus riches, plus riches que la moyenne, les représentants du peuple. Cette égalité au nom de laquelle on a délogé les rois, faisant en sorte que la reproduction des régimes oligarchiques, sous quelque forme que ce soit, suscite le mécontentement parmi ce peuple dont on sait qu’il juge sévèrement les priviléges que s’attribuent ceux qui prétendent le gouverner.
C’est en effet un privilège hors du commun que de voir en une seule année, et par un simple claquement des doigts pour voter, son salaire augmenter de 30% tout d’un coup sans que rien ne laisse paraitre une augmentation conséquente de la charge de travail.
Certains diront que ça alimente le cynisme. Je dirais plutôt que si le mécontentement se maintient, et je compte sur les oppositions sociales-démocrates au parlement pour le faire, le remise en cause du pouvoir, des attachés de pouvoir, sera d’autant plus radicale.
Après l’affrontement avec le Front Commun, quelle qu’en soit l’issue, qui oubliera ce camouflet aux simples règles de l’égalité que sera cette augmentation scandaleuse qui a choqué même les plus habituels indifférent au régime ?
La décision était sur toutes les lèvres et elle a ébranlé les derniers doutes sur la sincérité de Legault et de ses 89 députés lorsqu’ils invoqueront le bien commun pour se justifier. Il s’agit en effet d’accentuer les privilèges de quelques-uns avec les fonds publics que l’on devrait d’abord consacrer à réduire la pauvreté. Même si ce n’est pas un enjeu très populaire, la ponction sur les revenus de l’État est assez substantielle pour choquer les consciences.
C’est donc dire comment l’égalité joue un rôle de barème essentiel pour jauger ce qu’il y a de juste et d’injuste dans une société. Même les plus populistes se targuent de la promouvoir pour justifier leurs contradictions. Il n’y a pas de règlements, de lois, de directives qui ne soit jugé par les critères qu’ils respectent ou ne respectent pas de l’égalité. Le pouvoir y est toujours apprécié selon qu’il la valorise ou tente de la camoufler par ses arrêtés.
Tous les aspects de la vie politique ou sociale sont mesurés à l’aulne de l’égalité et le jugement est sévère si les règles y dérogent ou manquent à ses lois. C’est ce qui en accentue la portée quand il s’agit de juger d’un pouvoir. Elle peut être invoquer à tout motif qu’elle n’est pas respectée. Le moment venu du tribunal public, c’est encore elle que l’on appelle à la barre pour peser du jugement moral d’une action quelconque.
Malgré ce qu’en disent les analystes, les pires manquements à l’égalité collent aux basques des politiques et il y aura toujours prétexte d’un rappel lorsque viendra une campagne électorale où l’on y référera pour justifier d’autres promesses. Celles que l’on n’a pas engagées et qui cachent les intentions d’en camoufler de nouvelles seront jugées aux mérites.
Somme toute, l’égalité reste, depuis ses objectifs de mobilisation populaire contre le monarque, une valeur partagée par les Québécois qui n’oublient pas les dérogations que l’on affiche à son endroit. Et c’est ce qui en fait une de référence les plus subversive dans notre société. On peut toujours en appeler de l’égalité pour plaider n’importe quelle cause qui a une certaine portée politique. Legault s’en souviendra et balbutiera des excuses bidon pour ne pas s’en être soucier à temps.
