Legault tourne les yeux ailleurs … et pour cause

2023/09/22 | Par Guy Roy

L’insensibilité des milieux politiques traditionnels, dont Legault se prétend le leader, envers les couches populaires démunies est illustrée par l’endroit où se trouvait le premier ministre lors du Sommet sur l’itinérance organisé par les municipalités. Il était aux Hautes Études Commerciales (HEC) à inaugurer un nouvel édifice dans lequel son gouvernement a investi 108 millions de dollars. Les HEC sont l’École supérieure qui forme le gratin du milieu des affaires. C’est dire où logent les priorités de Legault dont les conseillers n’ont pas entendu, ou voulu entendre, l’appel des maires à la suite des révélations sur les 10 000 itinérants de la ville des Montréal, sans compter ceux des régions, laissés pour compte, jetés à la rue par les lois du marché dans l’immobilier. 

Il y a bien quelques critiques au Sommet, mais aucun journaliste n’a attiré l’attention sur ce choix malheureux de Legault de se retrouver avec les milieux d’affaires plutôt qu’aux côtés des maires qui prenaient la parole ensemble pour demander des fonds pour le logement qui permettraient de soulager les quelques 68 ménages qui ont appelé, dans la dernière semaine, un centre d’aide aux itinérants à Montréal parce qu’ils sont menacés de perdre leur loyer dans l’immédiat. 

En plus de se mettre la tête dans le sable après l’appel à l’aide des maires, Legault, qui se targue de servir les Québécois, choisit bien ceux à qui il va procurer les subventions pour leur reproduction et la consolidation de leur hégémonie sur la société : les gens d’affaires ou plus réalistement les capitalistes québécois. Ça donne un sens spécial à ce que Legault considère comme des Québécois.  

Loin des couches populaires qui subissent les exactions du capitalisme, Legault va son chemin, indifférent, malgré un discours contraire, au sort des plus misérables de notre société. Il continue ce qu’il a commencé avec le règne de 90 députés et se fout éperdument des 10 000 itinérants de Montréal. Il a beau se montrer indigné et, en beau parleur, s’apitoyer sur leur sort, ses gestes et ses choix laissent croire que son penchant pour le milieu des affaires est là pour rester. 

Alors qu’il faudrait nationaliser le parc immobilier possédé par de riches propriétaires pour rendre plus accessibles les logements qui se font rares, il débloque 15 millions pour que les itinérants passent l’hiver. Sans plus. Aucun plan pour le logement comme le laissent entendre les maires pour une solution plus durable à la crise. Aucune réponse à la hauteur des besoins criants. 

Les maires gardent espoir, mais c’est un espoir bien mince qui est reporté à la mise à jour du budget en novembre jusqu’à ce que le ministre Girard reçoive la directive de Legault d’ouvrir les goussets, le temps que d’autres itinérants d’ici novembre joignent la cohorte des sans-abris. Celui-ci, sensible à une opinion publique chauffée à blanc par les maires et le milieu du communautaire, finira peut-être par céder. Mais sa principale crainte semble être plus du côté des grèves du secteur public dont le poids politique sera plus grand que celui des maires qui n’ont que les citoyens qui les ont élus à invoquer pour construire un rapport de force suffisant. Souhaitons qu’ils et elles ne s’en contentent pas et continuent la pression. 

Sûrement qu’un réinvestissement massif dans le secteur public permettrait de mettre en place des services aux itinérants dignes de ce nom. Mais les maires demandent plus : ils et elles veulent des logements. Le plus pressant voudrait que l’on interdise carrément les logements de courte durée de type "airbnb", mais est-ce que ce serait suffisant ? Personne ne voit plus loin que le minimum à faire pour une issue raisonnable à la crise. Mais à considérer la nationalisation, et la construction massive conséquente de logements à bon marché, exclus des lois implacables du marché libre qui poussent les gens à la rue, on pourrait envisager une solution durable aux conséquences d’un libre marché capitaliste qui gangrène ce secteur depuis des années. 

Il faudrait un coup de barre dont Legault lui-même est incapable à cause de son penchant pour le milieu des affaires dont il vient de donner une autre démonstration éloquente. Mais si les maires, eux et elles, voyant plus loin que les lois du marché actuelles, envisageaient des solutions avant-gardistes, un plan pour trouver une solution qui n’en soit pas une très rapprochée, ou à courte vue qui sera dépassée dans quelques années, serait mis à l’ordre du jour et qui constituerait une alternative viable au libre marché dont les preuves sont faites qu’il est tout à fait impuissant à répondre aux besoins des familles québécoises montréalaises ou autres. 

Mais la social-démocratie ambiante a-t-elle les capacités politiques de voir justement des solutions socialistes qui soient autre chose que des imprécations en faveur des malheureux que le sort accable ? Les maires et mairesses ont-ils-elles un jugement de plus grande portée que ce pour quoi ils-elles ont été          élu-e-s, à savoir gérer un budget dont ils-elles se rendent compte que les ressources sont ailleurs, à d’autres niveaux de taxations ? Ils-elles se plaignent en effet que l’inflation, qui augmente les ressources centrales loin des leurs, ne touche pas les taxes foncières que le piège électoral les empêche d’augmenter outre mesure. Ils-elles sont donc légitimé-e-s de se tourner vers d’autres paliers de pouvoir.  

Une vision, moins à court terme que leur mandat spécifique, mais replacée dans une économie planifiée, leur permettrait justement de sortir de ce cercle vicieux d’un capitalisme de marché hégémonique qui grève la capacité des ménages de se loger adéquatement. Ont-ils-elles la perspective politique pour l’envisager ? S’ils-elles ne parviennent pas à ébranler Legault, ou à mettre à l’ordre du jour des solutions à long terme qui seraient considérées pour un avenir proche comme des options politiques innovatrices, ils-elles passeront à l’histoire pour avoir essayé de brasser la cage sans une perspective politique maximale qui donne à leur mandat le mérite d’avoir posé les vraies questions que les contradictions du capitalisme lui-même remettent constamment à l’ordre du jour politique ignoré par les plus traditionnels des politiciens. Souhaitons que cette fois les maires et mairesses aient une façon de voir différente qui tire les leçons des refus passés d’un plan rigoureux.