Ottawa a englouti 34,2 milliards $ dans Trans Mountain

2024/05/24 | Par Monique Pauzé

Le 1er mai 2024 fut un jour funeste pour l’environnement, alors que la Corporation Trans Mountain (CTM) confirmait le début de mise en service commerciale de son pipeline élargi. Cette inauguration marquait la fin d’une grande saga dont voici la chronologie.

Mai 2018. Le gouvernement de Justin Trudeau décide de se porter acquéreur du pipeline Trans Mountain au coût de 4,5 G$, à même les fonds publics.

Sans avoir consulté qui que ce soit, Ottawa dépense des milliards à même les impôts des Québécoises et des Québécois dans un projet contraire à leurs intérêts. Nous ne devrions pas avoir à cotiser au fédéral pour que le gouvernement s’improvise promoteur pétrolier. Nous devrions travailler à sortir des énergies sales. C’était et c’est toujours une vraie honte!

Rappelons-nous qu’à l’époque, la compagnie Kinder Morgan menaçait d’abandonner les travaux d’agrandissement de Trans Mountain, à moins de trouver des investisseurs prêts à racheter le projet. Ottawa a donc décidé de s’engager seul dans la construction d’un nouveau tronçon de l’oléoduc vers la côte Ouest, et ce, contre la volonté de la Colombie-Britannique. Mentionnons au passage que le gouvernement fédéral refusait de dévoiler les coûts du projet.

Août 2018.  Les engagements que le gouvernement Trudeau n’a pas rompus dans le dossier Trans Mountain se font rares. En devenant promoteurs pétroliers, les libéraux mettent aux rebus plusieurs engagements pour l’environnement. Le gouvernement Trudeau a aussi trahi les Premières Nations.  En effet, la Cour fédérale a reconnu que les Premières Nations n’avaient pas été consultées adéquatement sur ce projet.

De plus, la Cour constate que le processus d’évaluation du projet par la Régie de l’énergie du Canada et ses conclusions « étaient à ce point viciés qu’il n’était pas raisonnable [qu’Ottawa] se fonde sur le rapport de cet organisme » pour donner le feu vert à Trans Mountain.

Avril 2019.  Il n’y a pas que le Bloc Québécois qui dénonce l’opacité du gouvernement fédéral dans le dossier de Trans Mountain : un organisme américain, l’Institute for Energy Economics and Financial Analysis (IEEFA), reproche à Ottawa de dissimuler les coûts réels de l’acquisition de l’oléoduc.

Le directeur parlementaire du budget, M. Yves Giroux, a aussi constaté dans son étude « Achat du pipeline Trans Mountain par le Canada : considérations financières et économiques » qu’il était impossible d’obtenir un chiffre exact sur le coût du projet.

À l’étranger, comme chez nous, des analystes crédibles constatent que le coût pourrait être encore plus élevé qu’annoncé et que le gouvernement fait encore des cachotteries.

Juin 2019. Flanqué de cinq de ses ministres, Justin Trudeau annonce qu’il va de l’avant avec le projet d’élargissement de Trans Mountain, estimant qu’il avait maintenant rempli toutes ses obligations de consultation. Comble de l’ironie, il fait cette annonce tout en faisant adopter à la Chambre des communes une motion sur l’urgence climatique.

Février 2020.  C’est l’annonce des premiers dépassements de coûts importants par la direction de Trans Mountain. Cette dernière fait état que les coûts pour la construction de l’expansion de l’oléoduc sont passés de 7,4 G à 12, 6 G$.

8 décembre 2020. Le directeur parlementaire du budget laisse entendre que l’agrandissement pourrait atteindre 13,9 G$ d’ici 2023. Cela veut dire que les contribuables québécois financent 3,5 G$ d’un oléoduc dans l’Ouest dont personne ne veut. Un sondage Nanos démontrait plus tôt dans l’année que seulement 16 % des Canadiens pensaient que le fédéral devrait payer plus de 12 milliards $ pour l’expansion de l’oléoduc et 43 % des répondants considéraient que les contribuables n’avaient pas à payer pour ce projet.

Février 2022. La société publique titulaire du projet d’extension de l’oléoduc Trans Mountain confirme un dépassement de coûts de l’ordre de 70%, portant le total du projet à 21,4 G$.

Octobre 2022. Les problèmes de transparence du gouvernement dans ce dossier perdurent. Au printemps, la ministre des Finances annonce qu’il n’y aurait plus de dépenses publiques pour Trans Mountain. Or, seulement pour payer les intérêts sur la dette du projet, on dépense 750 M$ d’argent public en 2022 (et ce sera 800 M$ en 2023). Au bout du compte, les contribuables vont perdre des milliards de dollars qui auraient pu être investis dans la transition énergétique.

Les coûts du projet d’expansion ne cessent d’exploser, mais on s’en doute déjà :  d’autres hausses viendront… Dans ce contexte, le gouvernement libéral réitère qu’il n’investira plus de fonds publics dans le projet, tout en réaffirmant que le projet est commercialement viable.

Pour les coûts, la suite nous donnera raison et des experts confirmeront que le projet n’est pas viable.

Mars 2023. Malgré les belles promesses de ne plus dilapider de fonds publics dans Trans Mountain, le coût de l’oléoduc atteint maintenant 30,9 G$, soit une augmentation de 44% par rapport aux coûts estimés en 2022 et plus du double de ceux estimés en 2020!

Toujours en 2023, lorsque la construction de l'expansion de Trans Mountain tire à sa fin, le gouvernement libéral déclare qu’il ne souhaite pas demeurer propriétaire de l’oléoduc à long terme et qu’il le vendra une fois le projet achevé.

À ce moment-là, une initiative dirigée par des Autochtones, le plan Rec Inc. relié au Project Reconciliation, cherche à faire, des 129 Premières Nations le long du tracé, les actionnaires du pipeline. Quelle sera leur capacité à rallier toutes ces communautés, alors que plusieurs s’opposaient au projet? Alors que certaines communautés sont empoisonnées avec des déversements dangereux dans les rivières où ils pêchent et s’abreuvent?

Auront-elles les reins assez solides pour assumer les sommes colossales englouties depuis le rachat du pipeline? Poser la question, c’est y répondre. Accessoirement, que feront-elles lorsque cet actif sera abandonné ?

Juin 2023. Le directeur parlementaire du budget réitère que le gouvernement fédéral risque de perdre de l’argent avec son investissement dans le pipeline. Il laisse entendre que si le projet est annulé, le gouvernement subirait une perte de plus de 14 G$ d’actifs.

En débutant ce texte, je vous mentionnais qu’une longue saga prenait fin le 1er mai 2024, mais ce que j’aurais dû dire, c’est plutôt qu’un chapitre se termine et que la saga n’est pas terminée.

1er mai 2024. La mise en service du pipeline représente un jour sombre dans la lutte aux changements climatiques. Avec son nouveau tronçon, Trans Mountain triple sa capacité initiale de 300 000 barils de pétrole. Il va sans dire que la distribution de 890 000 barils de pétrole brut par jour ne réduira pas les émissions de GES du secteur pétrolier et gazier qui a toujours été le plus polluant au Canada.

Si, par le passé, les GES de ce secteur représentaient 28% des émissions totales, elles ont atteint 31% en 2022. L’instauration d’une surveillance sera nécessaire pour voir les répercussions à long terme de la mise en fonction de cet oléoduc qui, pour le moment, est notre propriété à tous et à toutes.

Au moment d’écrire ces lignes, le gouvernement de Justin Trudeau a englouti 34,2 milliards de dollars depuis qu’il a racheté Trans Mountain en 2018 avec l’argent des Québécois et de l’ensemble des contribuables. Tout cela alors que le gouvernement a réitéré son engagement, il y a à peine quelques mois, de plafonner les émissions de GES du secteur pétrolier. On nage en plein délire.

C’est là un désastre financier et écologique signé « parti libéral ». Alors qu’on devrait investir ces sommes dans la transition écologique, le gouvernement Trudeau choisit plutôt l’avenue du pétrole, dans un projet qui ne sera même pas rentable. Le gouvernement Trudeau a erré en rachetant cette infrastructure, il a erré en engloutissant tous ces milliards dans son agrandissement et il a erré en choisissant le pétrole plutôt que la transition écologique.

Aujourd’hui. Il y a lieu de se demander quand le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, mettra les pétrolières au pas, plutôt que d’inaugurer des oléoducs.