Les culottes à Vautrin

2023/11/22 | Par Michel Rioux

Ministre de la Colonisation dans le gouvernement libéral d’Alexandre Taschereau, Irénée Vautrin, en 1936, s’était fait payer par le trésor public une paire de culottes breeches pour une visite aux colons d’Abitibi. (Dans la langue populaire, breeches était prononcé british…) Cette année-là, le déficit du Québec atteignait 135 millions $. Ce n’était donc pas les quelques dollars qu’avaient coûtés ces culottes qui avaient provoqué, quelques mois plus tard, la défaite des libéraux au pouvoir depuis 39 ans.

C’est que la colère du peuple, attisée par un Duplessis particulièrement cinglant, avait atteint un sommet. Les culottes à Vautrin étaient devenues des casseroles dont Taschereau et ses libéraux n’avaient pu se débarrasser.

François Legault a raison sur un point : les 5 à 7 millions $ donnés aux Kings de Los Angeles et à leurs millionnaires ne pèsent pas plus lourd, dans les finances de l’État québécois, que ne pesaient à l’époque les quelques dollars des culottes du ministre. Mais le fond demeure le même. Ce sont des dollars publics dépensés pour satisfaire les caprices de ce qu’on appelait dans le temps des serviteurs de l’État…

Cette décision s’ajoute à celles de la résurrection du troisième lien et de la mort annoncée du tramway à Québec, confirmant ainsi que le premier ministre est entré en burnout le soir de la défaite de son parti dans le comté de Jean-Talon. En passant, ce comté jouxte celui de Louis-Hébert, dont l’ex-député, l’ineffable Sam Hamad, avait un jour déclaré : « Les gens de Québec, ils ne veulent pas un pays. Ils veulent une équipe de hockey ! » Tant il est vrai que se vérifie cette maxime romaine, Panem et circenses ! Donne à la plèbe du pain et des jeux pour qu’elle se tienne bien tranquille…

Cette déclaration de Sam Hamad a fait époque. Or certaines déclarations récentes de François Legault sont venues renforcer le soupçon, entretenu par plusieurs, selon lequel il y aurait de quoi dans l’eau à Québec. Commentant les négociations dans le secteur public, le premier ministre affirmait « qu’il n’y aura pas de Labatt bleue pour tout le monde… » Et pour justifier les millions aux Kings, il soutenait «  qu’il fallait investir dans les loisirs ! » Au bord de l’orgasme, il s’écriait, le jour de l’annonce d’un investissement public de 4 milliards $ dans une usine de batteries : « C’est gros en tabarouette! »

C’est en effet très gros tous ces exemples de gabegie étalés ces temps-ci dans les médias. Des huîtres à 347 $ de madame Ollivier à Paris, il n’y a pas qu’à l’Office de consultation publique de Montréal qu’on se promène du Mozambique au Brésil. À la Caisse de dépôt aussi, on a le goût des voyages. En six mois, on y a dépensé 5,6 millions $ en frais d’avions, d’hôtels et de repas, soit 69 % de plus qu’en 2019, avant la pandémie. À lui seul, le PDG Charles Émond a fait huit voyages en six mois, au coût de 45 000 $.

Le premier ministre ne cesse de souligner qu’une hausse d’un pour cent de son offre salariale aux employés de l’État représente 600 millions $. Il est clair qu’un tel argument est une manœuvre pour faire peur au monde. Mais il n’est pas dit qu’une manœuvre aussi grossière atteindra son but. 
 

Moyens et besoins

Alors que le gouvernement québécois plaide l’incapacité de payer pour n’offrir que des miettes aux travailleuses et travailleurs des secteurs public et parapublic, il se prive volontairement des moyens financiers qui pourraient l’amener à faire preuve de plus de respect pour celles et ceux qui assurent, dans tous les secteurs, le fonctionnement des services collectifs.

Ce sont des baisses d’impôt de près de 4 milliards $ que ce gouvernement a annoncées pour l’année en cours. Des baisses d’impôt qui, comme l’a calculé Michel Girard dans Le Journal de Montréal, ne profiteront pas de la même manière à tout le monde. Comme il le souligne, «  au plan fiscal, il n’y a rien de plus régressif qu’une baisse d’impôt et l’indexation des tables d’impôt ». C’est ainsi qu’une personne ayant un revenu de 18 000 $ verra son impôt diminuer de 165 $. Par contre, la personne ayant un revenu de 120 000 $ épargnera 1484 $ !

On est loin du principe formulé au XIXe siècle par le socialiste Louis Blanc. «  À chacun selon ses besoins. De chacun selon ses moyens », avait-il soutenu au moment de la Révolution de 1848. Louis Blanc avait présidé la Commission du Luxembourg, appelée aussi Commission du gouvernement des travailleurs. Il avait dénoncé la situation « des femmes venant au nombre de plusieurs milliers, se partager dans la cour du Luxembourg le pain de l’aumône… »

Quand on pense que 7 millions $, c’est ce qui manque aux banques alimentaires pour couvrir les besoins de ces Québécoises et Québécois qui doivent y recourir pour survivre!