Grève chez Tesla en Suède

2024/02/21 | Par Luc Allaire

Les employés de Tesla en Suède sont en grève depuis le 27 octobre 2023. Ce qui en fait la grève la plus longue depuis 1945 dans ce pays scandinave.

La raison de cette grève réside dans le refus de Tesla de signer des conventions collectives. Le propriétaire de Tesla, Elon Musk, l’un des hommes les plus riches au monde, refuse de se conformer au modèle suédois où ce sont les négociations collectives, et non la loi, qui régissent les conditions de travail. Par exemple, il n’y a pas de salaire minimum légal en Suède.

Les grèves sont pourtant rares dans ce pays, car une fois qu’un accord de travail entre en vigueur, le syndicat ne peut pas déclencher de grève. Cette garantie de paix industrielle a contribué à maintenir le nombre de jours de grève à l’un des niveaux les plus bas en Europe : un peu plus de deux jours de travail par an perdus en raison de grèves et de lock-out pour 1000 salariés entre 2010 et 2019, contre 55 en Norvège et 128 en France.

La grève pourrait se poursuivre longtemps

Cette grève touche environ 130 personnes, ce qui ne représente pas beaucoup de membres touchés pour le syndicat IF Metall, qui dispose d’un fonds de grève bien garni de 15 milliards de couronnes suédoises (près de 2 milliards de dollars canadiens), ce qui lui permet d’offrir aux grévistes 130% de leur salaire.

Tesla se vante d’offrir à ses salariés « des conditions équitables et un bon environnement de travail ». La réalité est tout autre : le salaire moyen d’un mécanicien chez Tesla est inférieur à la moyenne nationale dans cette branche d’industrie, de même que les contributions patronales aux caisses de retraite.

Les travailleurs se sentent exploités. Ainsi, la productivité individuelle de chaque employé est soumise à un système de notation de 1 à 5, et ceux dont la note tombe à 1 sont menacés de congédiement.

Des travailleurs en colère

Le site Internet d’IF Metall diffuse de nombreux témoignages des travailleurs en grève. On y décrit ainsi le parcours de John au sein de l’entreprise : La marque Tesla, la nouvelle technologie et le statut d’Elon Musk en tant que l’une des personnes les plus célèbres au monde ont été de puissants attraits lorsqu’il a postulé chez Tesla, qui était l’employeur de ses rêves.
Toutefois, la culture au sein de l’entreprise l’a fait déchanter. Pour lui, la grève concerne plusieurs choses, dont la santé et la sécurité au travail, ainsi que le droit à la représentation et à la présence syndicale.

Ici, Tesla commet des violations de l’environnement de travail tout le temps. Une inspection leur coûterait cher.

« Tesla commet tout le temps des violations sur le plan de la santé et de la sécurité au travail, dit-il. Une inspection leur coûterait cher. Lorsque nous travaillons avec des plastiques thermodurcissables, nous n’avons pas la bonne fiche de données de sécurité et nous ne recevons aucun contrôle de santé. Tout est organisé de manière complètement fausse. »
Elon Musk réplique que les salariés bénéficient d’avantages financiers, dont un programme d’achat d’actions à un prix favorable. Cependant, ce programme est réservé aux salariés ayant au moins quatre d’ancienneté. Cela peut représenter beaucoup d’argent, reconnait John, mais tout est basé sur des attentes, et on peut aussi perdre de l’argent dès qu’Elon Musk tweete quelque chose.

D’autres témoignages

« Je fais grève parce que Tesla est une entreprise qui croit qu’un peu de rabais et d’actions profitent davantage aux travailleurs que l’amélioration des retraites, une meilleure assurance, une réduction des heures de travail et une augmentation annuelle du salaire. Une telle entreprise doit se ressaisir, signer des conventions collectives et suivre le modèle suédois. »

« Ce n’est pas seulement le salaire pour lequel je fais grève, mais c’est pour avoir plus de sécurité et d’influence sur le lieu de travail. L’employeur ne peut pas simplement contrôler et changer les façons de faire dans l’entreprise sans même nous parler à nous, les employés. Nous voulons faire partie des changements dans l’entreprise. »

Bref, de nombreux travailleurs chez Tesla rejettent ce qu’ils décrivent comme un « modèle américain typique » : des semaines de travail de six jours, des heures supplémentaires inévitables et un système d’évaluation menant aux promotions qui manque de clarté.

Un important mouvement de solidarité

Les sondages montrent qu’une majorité de Suédois soutient la grève, largement considérée comme une défense du mode de fonctionnement du pays.

Ce mouvement de solidarité s’est étendu aux pays voisins. Les syndicats du Danemark, de la Norvège, de la Finlande ainsi que de la Suède se sont ralliés à IF Metall. Les débardeurs ont cessé de décharger les Tesla arrivant par bateau. Les membres des syndicats des ateliers de réparation indépendants ont cessé de réparer les Tesla. Les postiers ont cessé de distribuer le courrier de Tesla, y compris les plaques d’immatriculation. Les électriciens se sont engagés à ne plus réparer les stations de recharge de Tesla.

Elon Musk se retrouve donc confronté à une solidarité entre les pays scandinaves qu’il n’avait probablement pas imaginée. Il pensait avoir à faire uniquement à une grève de quelques mécaniciens suédois.

Mais les choses ont largement évolué depuis le début de la grève. De nombreux services se sont ligués pour perturber les activités du constructeur en Suède. Les revendications dépassent désormais les frontières suédoises, avec des conséquences variées, ce qui commence à exaspérer de plus en plus Elon Musk, selon le site d’information Numerama.

Ainsi, le 7 décembre, l’un des plus grands fonds de pension du Danemark (PensionDanmark) aurait cédé 64 millions d’euros d’actions Tesla, selon l’agence Reuters. D’autres gros investisseurs pourraient décider de suivre le mouvement si Tesla ne fait aucun effort pour ouvrir le dialogue. Pour Tesla, il ne s’agit plus de gérer quelques débardeurs et mécaniciens en colère, mais bien d’éviter de se mettre à dos toute la Scandinavie.