Des négociations diffusées en direct!

Pourriez-vous imaginer que les négociations des syndicats du secteur public puissent être diffusées en direct sur Internet? Que les membres des organisations syndicales puissent suivre les pourparlers à la table des négociations sur la page Facebook de leur syndicat? Qu’ils puissent écrire des commentaires dans la zone de chat? Que les négociateurs syndicaux puissent utiliser des commentaires pour convaincre l’employeur du bien-fondé des demandes syndicales?

Utopique, n’est-ce pas? C’est pourtant de cette façon que se déroulent les négociations dans le réseau de l’éducation au Colorado. Les syndicats des enseignantes et enseignants affiliés au Colorado Education Association, qui est membre de la National Education Association (NEA), diffusent en direct sur leur page Facebook ce qui se déroule à la table des négociations depuis 2012.

Des membres du syndicat se réunissent dans un local de leur école pour regarder en direct les négociations, d’autres le font dans le confort de leur foyer, et tous peuvent émettre des commentaires, qui pourront être repris par les négociateurs de leur syndicat.

C’est ce modèle qu’ont présenté Michelle Moehlis, présidente du comité de négociation de Jefferson County Education Association (JCEA), et Sydney Slifka, directrice des communications numériques à la Colorado Education Association, lors du Sommet sur le Leadership de la NEA tenu à Chicago du 1er au 3 mars 2024. Ce sommet se tient tous les ans. Il réunit près de 2 000 personnes membres du plus important syndicat de l’éducation aux États-Unis, la NEA qui représente trois millions de membres.

Au Colorado, les négociations sont décentralisées au niveau des districts, précise Michelle Moehlis, présidente du comité de négociation de JCEA.

Ce syndicat compte 3 000 membres. Il négocie des conventions collectives en live streaming depuis 2012. Tous les 3 à 5 ans, il négocie une nouvelle convention collective. Le moment du renouvellement est choisi en fonction des élections aux commissions scolaires et des besoins des syndicats frères. « Nous nous coordonnons avec les autres syndicats pour déterminer le meilleur moment du déclenchement d’une grève si nécessaire, et nous analysons qui a la majorité au conseil des commissaires afin d’éviter les risques de subir des reculs dans notre convention. »

De plus, chaque année, l’employeur et le syndicat peuvent demander la négociation de deux éléments qu’ils appellent des reopeners, ou négocier des sujets mutuels comme des aspects monétaires.
 

De nombreux avantages

Le syndicat du Colorado voit de nombreux avantages à une négociation diffusée en direct. Les membres sont beaucoup plus nombreux à s’impliquer syndicalement, ils peuvent donner des exemples concrets qu’ils vivent en appui à des revendications. Cela permet de faire de l’éducation syndicale auprès d’un grand nombre de membres.

Surtout, il est beaucoup plus difficile pour l’employeur de dire non à des revendications syndicales quand il sait que beaucoup de membres les regardent. Depuis que les négociations sont diffusées en direct, ce syndicat du Colorado a fait des gains majeurs, notamment en matière d’équité salariale et pour l’ajout de personnel professionnel.

Lorsqu’elle a débuté comme enseignante dans une école primaire, Sydney Slifka admet qu’elle connaissait très peu de choses au syndicalisme. C’est en regardant une séance de négociation avec ses collègues sur Facebook qu’elle a compris l’importance du syndicat.

« L’employeur expliquait le temps de présence auprès des élèves qui était reconnu par la commission scolaire : celui-ci s’arrête quand la cloche sonne, expliquait-il. J’ai alors signalé que c’était faux, que moi-même je travaillais avec mes élèves au moins 20 minutes après que la cloche avait sonné. »

Le négociateur s’est alors saisi de cette histoire racontée de manière sincère par une enseignante pour faire reconnaitre ce temps de présence auprès des élèves. « Cela m’a convaincu de militer auprès de mon syndicat », de dire Mme Slifka.

En appui à l’équipe de négociation, les syndicats du Colorado affiliés à la NEA forment des « BOAT » pour « Bargaining Organizing Action Team ». Leurs principaux mandats sont la mobilisation et l’organisation des membres. Ces BOAT sont des espaces pour les membres qui souhaitent soutenir le travail de l’équipe de négociation.

« Cette façon de faire donne du pouvoir aux membres à la base qui ont enfin une voix pour exprimer leur passion et faire valoir leur point de vue », affirme Michelle Moehlis.

Comment forment-ils ces équipes de mobilisation (BOAT) ? « Nous cherchons les membres qui se plaignent le plus, et nous les mettons au travail. L’action fait du bien, elle permet de canaliser sa colère sur une cible concrète. Ce sont des endroits exceptionnels pour former des leaders syndicaux », poursuit-elle.

Les membres du BOAT suivent ensuite une formation et rencontrent l’équipe de négociation pour comprendre leur stratégie. Ils s’engagent ensuite à rencontrer les membres à la base dans leur établissement scolaire pour leur expliquer pourquoi ils doivent s’intéresser à la négociation. Ils recueillent ensuite les histoires vécues des membres à la base qu’ils partagent avec l’équipe de négociation lors des séances de clavardage pendant les négociations en direct.

Les parents peuvent aussi suivre les négociations en direct et s’exprimer dans les médias. C’est ainsi que les parents ont obtenu que des repas gratuits soient distribués dans les écoles. « Mais lorsque l’employeur a dit que les sommes ainsi octroyées seraient retranchées de l’augmentation de salaire, tous les syndiqués dans le groupe de discussion Facebook se sont exprimés pour dire qu’ils étaient d’accord avec les repas gratuits, mais que ce n’était pas au personnel de les payer! L’employeur a dû reculer. C’est la force de ce mode de négociation en direct », lance, enthousiaste, Sydney Slifka.
 

Les négociations peuvent être le fun

Cependant, les négociations peuvent devenir longues et ennuyeuses. Le syndicat du Colorado a prévu le coup. Dans ces cas-là, il organise des jeux comme des bingos, des concours de mème, des actions dans les salles de visionnement où on demande aux gens de se lever, de taper des mains, de tourner sur eux-mêmes. C’est ainsi qu’un slogan a été trouvé pour faire reculer un patron qui s’appelait Mr. Glass. « Let’s break the glass ceiling », ont-ils scandé.