Campagne électorale et Accord de libre-échange Canada - Europe

2015/09/17 | Par Pierre-Yves Serinet

L’auteur est porte-parole du RQIC

À la veille du deuxième débat des chefs en anglais dans le cadre de la campagne électorale fédérale, le Réseau québécois sur l’Intégration continentale (RQIC) demande aux chefs des principaux partis politiques de s’engager à mettre de l’avant des consultations publiques sur l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne (AÉCG) dès la reprise des travaux parlementaires au lendemain des élections.

Le texte de l’AÉCG, accord négocié dans le plus grand secret depuis 2009, a été rendu public le 26 septembre 2014, suite aux nombreuses pressions des mouvements sociaux des deux côtés de l’Atlantique. « Voilà près d’un an que les négociateurs du Canada et de l’UE ont complété une proposition de texte d’accord et que celui-ci est connu. Il est essentiel que les candidates et candidats qui seront élus le 19 octobre prochain puissent prendre connaissance en profondeur de ce qui a été négocié à ce jour et des enjeux majeurs qui en découlent aux niveaux économique, social, politique et environnemental », affirme Pierre-Yves Serinet, coordonnateur du RQIC.

« Nous sommes définitivement arrivés à l’étape de tenir une large consultation publique », précise M. Serinet, « et naturellement, celle-ci doit avoir lieu avant que ne s’enclenche le processus de signature de l’accord par le pouvoir exécutif fédéral et de ratification par les pouvoirs législatifs fédéral et provinciaux ».

Dans toute société démocratique qui se respecte, les divers secteurs de la société, et non pas uniquement le monde des affaires comme cela a été le cas jusqu’ici, doivent avoir l’opportunité de faire entendre leurs points de vue sur l’AÉCG, de partager leurs analyses et formuler des recommandations pour éclairer les décisions que les parlementaires seront appelés à prendre en leur nom.

L’appel du RQIC aux candidats fait synergie avec l’initiative qu’a lancée, hier, la Sénatrice Céline Hervieux-Payette, en proposant que le prochain Parlement donne au Directeur parlementaire du budget les outils pour mettre en œuvre « un mécanisme d’examen indépendant et impartial des accords commerciaux », celle-ci dénonçant du même souffle que les retombées économiques que font miroiter les promoteurs de l’AÉCG sont de la poudre aux yeux et ne reposent sur aucune étude rigoureuse.

« Voilà plusieurs années que nous disons que le gouvernement Harper, ainsi que le négociateur en chef pour le Québec, Pierre-Marc Johnson, usent et abusent d’affirmations qui relèvent de la pure rhétorique et du dogme idéologique du libre-marché, du tout-au-privé en rétrécissant la capacité de l’État de gouverner pour l’intérêt public. Cela fait plaisir de voir enfin certaines de nos préoccupations relayées », se réjouit le porte-parole du RQIC.

« Nous ne pouvons que saluer et appuyer la proposition de Madame Hervieux-Payette d’instituer un mécanisme non partisan d’analyse d’impacts de l’AÉCG», indique M. Serinet, « et nous croyons que cela s’insèrerait d’ailleurs très bien dans ce qui, plus largement, doit constituer un véritable processus de consultation publique », insiste le porte-parole du RQIC, répondant ainsi à la lettre de demande d’appui que la Sénatrice a fait parvenir à la coalition québécoise ainsi qu’à ses réseaux partenaires au Canada anglais.

Le RQIC a émis d’importantes réserves sur le texte de l’AÉCG au fil des négociations quant aux impacts sur le coût des médicaments, sur la gestion de l’eau, sur l’arrivée d’intérêts étrangers dans le domaine des services publics, sur nos outils de développement local, sur notre système agricole de gestion de l’offre et notre souveraineté alimentaire, sur nos politiques environnementales pour faire face au changement climatique, entre autres.

Mais l’un des éléments les plus inquiétants de l’AÉCG est certainement le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) qui, à l’image du chapitre 11 de l’ALÉNA tout en élargissant sa portée, accorde des «droits» démesurés aux entreprises transnationales en leur donnant le pouvoir de contester des politiques d’intérêt public, même adoptées démocratiquement, si celles-ci restreignent leurs ambitions de profits.

« Le RDIE est, à juste titre, remis fortement en question en Europe, certains préconisant une réforme en profondeur, d’autres son retrait pur et simple de l’accord. Ceci est le résultat, justement, d’une participation massive de la société civile à une consultation publique mise en place par la Commission européenne, et à plusieurs débats des parlementaires qui sont inquiets de l’impact du RDIE sur le pouvoir de gouverner pour le bien public », tient à souligner M. Serinet.

« C’est la preuve qu’il y a une nette volonté de bonifier le texte de l’AÉCG. Il en est encore temps, mais pour cela, il faut que les élu-e-s de ce côté-ci de l’Atlantique emboîtent le pas. Une consultation publique leur donnera toute la légitimité pour exiger les ajustements qui s’imposent », conclut le porte-parole du RQIC.