L’inflexibilité d’une CAQ à contre-courant

2023/12/13 | Par Simon Rainville

Depuis quelques mois, le gouvernement répète qu’il veut de la « flexibilité » et de la « souplesse » de la part des fonctionnaires. Tant dans les discussions avec la FAE, la FIQ et le Front commun, le mot revient constamment. C’est là une situation loufoque, pour un gouvernement complètement inflexible devant ses employés.

Papa François vient de se fâcher, menace à mots couverts d’utiliser une loi spéciale pour forcer le retour au travail de 600 000 personnes. Ce n’est pas rien comme déni démocratique : un gouvernement vivant une chute de popularité historique se permet de menacer de limiter le droit fondamental à la grève des employés de l’État qui forment un mouvement tout aussi historique. Si l’arrêt Saskatchewan rend la tâche beaucoup plus difficile pour le gouvernement Legault, la menace est réelle.

À peine a-t-il fait une offre salariale nouvelle qu’il se dit déjà prêt à proposer plus d’argent si les enfants sont gentils. Papa François dit à « ses » employés que, s’ils sont gentils et acceptent que l’on change le mobilier de leur chambre à coucher, il est prêt à leur donner un peu plus d’argent. Cela n’est pas une négociation, c’est du chantage. Le mépris caquiste se poursuit.
 

Des airs de Duplessis

« Salut, Maurice! long time no see ! », écrivait Pierre Vadeboncoeur lorsque Mario Dumont a créé l’ADQ. Son successeur idéologique applique les idées de Dumont et de la droite québécoise. Il y a bel et bien du Duplessis en Legault. Lui aussi, après avoir joui d’un appui populaire important, peut-être sans équivalent dans notre histoire, a fini par oublier qu’il n’était pas le peuple, mais devait le représenter. Radio-Canada nous apprend même que « des maires se sentent obligés de cotiser à la CAQ pour rencontrer un ministre ». Ça vous rappelle quelque chose?

Encore en 2019, la CAQ disait vouloir continuer à « gouverner pour la majorité silencieuse », « pour le monde ben ordinaire ». Avec un appui à 70% au Front commun, on peut dire que cette majorité est très vocale présentement. Serait-ce la raison pour laquelle il ne l’entend plus ? Souffrirait-il d’une surdité inversée?

Mais le premier ministre actuel a d’autres ressemblances avec le Cheuf. Changeons Dumont par Legault, et l’analyse de Vadeboncoeur est parfaite :

« Duplessis n'avait pas de pensée, mais il adoptait les vues populaires du temps, conformistes, naïves, réactionnaires. (…) Comme Dumont, Duplessis était de droite et, comme lui, il a d'abord fait semblant d'être à gauche, l'un se rangeant du côté du changement constitutionnel, l'autre du côté du changement politique et social.

Les idées personnelles de Duplessis étaient vagues, comme celles de Dumont: vagues, populistes et adaptables. Maurice était opportuniste et démagogue, en plus d'être ambitieux. Comme l'autre. »

Legault a joué à la girouette, a été un purédur de l’indépendance avant de devenir un fédéraliste. Ses mandats sont marqués par des idées vagues le menant à un opportunisme et un démagogisme sans borne, qui nous font presque oublier les turpitudes de la pénible ère libérale. Une mesure presque à gauche, une autre très à droite. C’est ainsi qu’on va en cette coalition qui ne mène paradoxalement qu’à la polarisation. Duplessis s’est fait élire avec son projet « d’union nationale » alors que Legault a plutôt parlé « de coalition ». Dans les deux cas, l’appel au rassemblement a été faux.
 

Contre le progressisme

Mais, ce qu’il y a de pire avec le gouvernement Legault, c’est qu’il devient de plus en plus anachronique. Vadeboncoeur conclut son texte sur Duplessis-Dumont ainsi : « Il refoula la récente conscience politique et sociale de son temps et fut pendant plus de 20 ans l'instrument de la réaction. » C’est ce qu’est en train de faire Legault.

En environnement, il retarde la transition nécessaire. Il vend nos ressources à faible coût aux amis du parti, veut lancer des projets hydroélectriques à la mode du 20e siècle, incapable qu'il est de voir l'avenir. Plutôt paradoxal pour un parti qui a l’arrogance de se nommer Coalition avenir Québec. En santé, il ouvre toute grande la porte au privé, cherchant à parachever l’œuvre de Couillard et Barrette. Du même souffle, il centralise son médiocre système, comme si mettre plus de gestionnaires allait améliorer les problèmes sur le terrain. En éducation, il réactualise la césure entre les meilleures écoles – souvent privées – et les autres. Nous ne sommes pas loin d’être revenus au temps des collèges classiques pour l’élite et aux écoles de rang pour la lie. Dans les relations de travail, les ministres montrent leur mépris pour « les intellectuels » que même Duplessis ne répugnerait pas.

C’est donc à beaucoup plus qu’à une négociation habituelle que les centrales syndicales s’attaquent. Et c’est sûrement ce qui explique l’inflexibilité de la CAQ sur ses demandes de flexibilité. Elle cherche à détruire encore plus explicitement les services sociaux afin de mieux pouvoir les privatiser. Mais c’est aussi ce qui explique la position tranchée des syndicats. Nous assistons de plus en plus à un dialogue de sourds puisque les deux parties ne parlent pas de la même réalité. À la triste vision gestionnaire d’un gouvernement en déroute se bute une vision humaniste des centrales syndicales.
 

Quel parti se fera le porte-voix de cette frustration?

J’utilise rarement la figure de Duplessis pour comparer les politiciens d’aujourd’hui. Le procédé est souvent trop facile. Mais dans le cas actuel, les ressemblances sont de plus en plus frappantes. Cela étant dit, cette figure nous fait souvent oublier que bien avant son règne, le Parti libéral du Québec menait une politique sensiblement pareille à plusieurs égards. L’intérêt de la comparaison n’est donc pas de simplement caractériser Legault, mais de rappeler que le Québec d’avant 1960 était profondément hostile aux travailleurs et patronal. C’est ce contre quoi il faut lutter encore et toujours.

Le Québec n’est probablement pas à la veille d’une seconde Révolution tranquille, mais il se pourrait que le peuple québécois soit en train de se souvenir de lui-même, de sa capacité à faire autrement quand c’est nécessaire. Et le Parti québécois et Québec solidaire auraient tout intérêt à renouer avec la défense de ses luttes socioéconomiques. Le premier devrait se rappeler sa longue tradition, alors que le second devrait actualiser sa vision du « peuple » qu’il dit défendre : ce peuple est aussi fait de la classe moyenne qui s’intéresse à d’autres questions que celles qui motivent le noyau solidaire.

Dans tous les cas, cette majorité silencieuse semble vouloir arrêter de laisser les élites parler pour elle. Quel parti s’en fera le porte-voix?