Gérald Godin et la censure journalistique

2020/04/06 | Par Jean-Claude Germain

Dans l’édition no. 384, novembre 2019, notre collaborateur Jean-Claude Germain raconte l’hommage qu’il avait rendu à Gérald Godin, lors d’une soirée du Bloc Québécois, à partir de écrits de Godin. En voici un extrait sur le thème de la censure journalistique. À méditer en ces temps déraisonnables. (NDLR)

Il y a de ça un bon moment, le Bloc québécois m’avait invité à animer une soirée hommage à Gérald Godin (1938-1994) et, à mon tour, j’avais élargi l’invitation jusqu’à réquisitionner sa participation dans la présentation des invités par le biais de ses Écrits parlés. Mon expérience radio-canadienne me permettait d’ailleurs de partager sa vision du journalisme.

Je me souviens, y disait-il, qu’à Radio-Canada, on donnait la parole aux Viêt-cong, aux survivants de la guerre d’Espagne, aux communistes français et aux terroristes japonais. Mais un soir, en 1967, on refusa de donner la parole à François Aquin, premier député indépendantiste à Québec. Il ne pouvait pas parler si un porte-parole gouvernemental ne lui donnait pas la réplique le même soir. Il n’y a pas un journaliste qui ait travaillé dans les médias d’information du Québec qui ne pourrait pas en énumérer d’autres aussi. Les grands journaux ? Asservis aux annonceurs. Asservis au système. Radio-Canada ?  Asservie à la pensée fédérale officielle.

 

La tâche des journalistes est simple : contourner la censure

Mais il faut savoir d’abord comment elle s’exerce. Ce n’est pas systématique. Il s’agit, pour le propriétaire du journal ou pour le politicien au pouvoir, si c’est Radio-Canada, de nommer des gens sûrs. Des gens qui savent jusqu’où ils peuvent aller trop loin. Des gens qui ont naturellement des ennuis. C’est-à-dire des coups de fil du boss qui, lui, en a reçu d’annonceurs ou de politiciens.

La première tâche du gars sûr consiste donc à apprendre à avoir peur. Sa deuxième tâche consiste à transmettre sa peur au journaliste. Autrement, l’avancement est compromis. Et si, par miracle, Radio-Canada fait une entrevue de Pierre Vallières qui vient de sortir de la clandestinité, c’est à qui ne la fera pas pour éviter de passer pour un sympathisant du Québec.

Il faut donc que le gars sûr mène cette deuxième tâche à bien. Le résultat ne se fera pas longtemps attendre : la morosité s’emparera des journalistes. Puis la résignation. Puis, l’improductivité. Puis, le repliement sur soi. Et, si vous les rencontrez et que vous leur demandez « Comment ça va ? », ils vous diront tous « Je suis écœuré ».

Et le boss est content. Il se plaindra bien quelquefois de la paresse du journaliste mais, au fond, c’était précisément le but qu’il recherchait. Ajoutons à cela l’organisation même des salles de rédaction de tous les quotidiens et hebdos du Québec : ce qui compte, c’est la production. Il n’y a pas de bons dossiers qui peuvent être réalisés en moins de trois semaines, un mois. Combien de journalistes au Québec ont jamais disposé de trois semaines pour rédiger un dossier ?
 
 

Quelle est la guerre que les journalistes doivent livrer ?

La guerre du contrôle sur la salle de rédaction. Toute autre lutte est futile. Tels sont les objectifs, au fond, que doivent se fixer les journalistes, où qu’ils travaillent, s’ils veulent avoir droit au respect de leurs lecteurs plutôt que de leurs boss. Dans le grand tout de la libération, une des luttes primordiales passe par ce chemin.

Les travailleurs de l’information ont une tâche fondamentale : faire sauter le verrou de l’aliénation. Car l’aliénation vient de l’ignorance des faits. Si le verrou de l’ignorance des faits ne saute pas, toutes les intoxications sont possibles. La jobbe des journalistes pour libérer l’information, elle est 1à.

 

Crédit photo : Radio-Canada.ca