L’indépendance de l’Écosse

2021/05/11 | Par André Binette

L’auteur est constitutionnaliste

L’Écosse a tenu un premier référendum sur l’indépendance en 2014. L’appui au projet a atteint 45 %. Il est maintenant question d’un second référendum prochainement.

Pour comprendre les enjeux, il faut recourir à l’histoire. Contrairement à l’Irlande, l’Écosse n’a jamais été conquise. Elle a eu son propre État souverain et sa monarchie distincte pendant plusieurs siècles. Les rois d’Écosse ont longtemps combattu les rois d’Angleterre en s’appuyant sur une alliance avec les rois de France.

En 1603, la reine Elizabeth 1re d’Angleterre mourut sans laisser de descendance. Son successeur fut son petit-cousin le roi d’Écosse. C’est alors que commença un processus d’intégration qui aboutit à une union pacifique entre l’Écosse et l’Angleterre en 1707. Cette union permit à l’Écosse de conserver son droit civil, comme au Québec, mais son parlement fut aboli. Les Écossais choisirent plutôt de participer à la gouvernance de l’Empire britannique, où ils jouèrent un rôle politique, économique et militaire important. Le général Murray, d’origine écossaise, fut le premier gouverneur britannique du Canada après la Conquête. Quoique protestants, les gouverneurs britanniques d’origine écossaise furent généralement plus conciliants envers la majorité francophone en raison, peut-être, des liens anciens entre l’Écosse et la France. Cependant, John A. Macdonald, le premier des premiers ministres canadiens, né en Écosse, avait peu de sympathie pour le Québec.

Au cours du 18e siècle, les philosophes et économistes écossais firent des contributions majeures à la pensée occidentale. Ils le firent en qualité de sujets britanniques qui ne remettaient pas en question l’appartenance de l’Écosse à la Grande-Bretagne. Au 19e siècle, le nationalisme écossais était culturel et sociologique, mais ne faisait aucune revendication politique. Les chantiers navals écossais assuraient la suprématie britannique sur les océans.

Le nationalisme écossais devint politique dans la première moitié du vingtième siècle. Le Scottish National Party fut fondé en 1934, mais demeura marginal jusqu’à l’élection d’un premier député au Parlement britannique en 1967.  À cette époque, le parti n’était pas indépendantiste; il cherchait plutôt la dévolution, c’est-à-dire la résurrection du parlement écossais doté de pouvoirs autonomes sur les affaires socio-économiques. Après un échec référendaire en 1979, la dévolution eut lieu vingt ans plus tard sous le gouvernement de Tony Blair. Dans l’intervalle, le SNP, qui avait fait élire un nombre croissant de députés à Londres, devint ouvertement indépendantiste et social-démocrate sur la base d’un nationalisme civique qui rejetait la définition ethnique de la nation. La dévolution eut lieu simultanément au pays de Galles et dans un parlement d’Irlande du Nord reconstitué.

Le parlement écossais s’appelle Holyrood et se trouve à Édimbourg (Edinburgh en anglais). Dans son nouvel immeuble, construit en 2004, on peut lire sur un mur une phrase du poète canadien Dennis Lee : « Travaillez comme si vous viviez les premiers jours d’une meilleure nation. »

Dans sa loi sur la dévolution, le gouvernement britannique a imposé un mode de scrutin mixte qui contient des éléments de proportionnelle afin de rendre plus difficile l’élection d’un gouvernement indépendantiste majoritaire. À partir de 1999, le SNP devint pour deux mandats le principal parti d’opposition au parlement écossais et prit le pouvoir en 2007. En 2011, il formait le premier gouvernement majoritaire de l’Écosse, ce qui lui permit de tenir le référendum sur la souveraineté. Tous les partis représentés à Holyrood, même ceux qui étaient opposés à l’indépendance, estimaient alors que le moment était venu pour que le peuple écossais se prononce sur la question.

 

Édition numérique de l'aut'journal  https://campaigns.milibris.com/campaign/608ad26fa81b6a5a00b6d9fb/

 

Lors de la campagne référendaire de 2014, le SNP a convenu qu’à l’époque de la mondialisation économique et de l’intégration dans des accords internationaux plus contraignants, la souveraineté était limitée par la nécessité pour les États de mettre certaines ressources en commun et de partager certains pouvoirs de décision. Son modèle était la république d’Irlande, qui a relevé son économie de façon spectaculaire à la suite de son entrée en 1973 dans l’Union européenne en même temps que le Royaume-Uni.

Le SNP soutenait qu’un tel dynamisme était inaccessible à l’intérieur de ce dernier pour les régions délaissées par le gouvernement britannique telles que l’Irlande du Nord, le pays de Galles et l’Écosse. Le SNP vantait les mérites de l’accession à un cadre économique plus ouvert dans les institutions européennes et déclarait s’inspirer également de ses voisins scandinaves. L’accession de l’Écosse à l’Union européenne pourrait être compliquée par le veto de l’Espagne, qui ne voudrait pas créer un précédent qui serait fâcheux pour elle en regard de la Catalogne.

Après l’échec référendaire, le premier ministre écossais Alex Salmond démissionna et fut remplacé par Nicola Sturgeon. Celle-ci obtint deux autres mandats en 2016 et en 2021. Elle a annoncé son intention de tenir un second référendum sur l’indépendance en 2023. Aux élections du 6 mai 2021, le SNP n’a raté la majorité que d‘un seul siège (64 sur 129), mais peut gouverner en s’appuyant sur les huit députés des Verts, qui sont également indépendantistes. Les récents sondages placent l’indépendance autour de 50 %. Le SNP compte de plus 44 députés au parlement britannique (sur 59 en provenance de l’Écosse) et quelques membres du parlement européen.

Une particularité de la loi britannique est que, contrairement au Québec, le gouvernement écossais doit obtenir l’autorisation du gouvernement britannique pour tenir un référendum. Boris Johnson, le premier ministre britannique, a déclaré qu’un tel référendum ne devrait avoir lieu qu’une fois par génération. Madame Sturgeon réplique que le Brexit a changé la donne, puisque les Écossais s’y sont opposés à 62 % dans le référendum sur ce sujet en 2016. Elle estime que le gouvernement britannique devra s’adresser aux tribunaux pour l’empêcher d’agir, ce qui pourrait mousser la cause de l’indépendance, mais aussi faire hésiter ceux qui craignent une situation d’illégalité.

Enfin, une Écosse indépendante conserverait la monarchie, tout en affirmant la souveraineté du peuple, en raison de son histoire particulière. Les Écossais estiment que la monarchie britannique leur appartient tout autant et qu’elle est une expression de leur identité nationale, ce qui n’est pas le cas au Québec.