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2022/10/14 | Par Pierre Dubuc

Au cours des dernières semaines, le chancelier allemand Scholz et le président sud-coréen Yoon Seok-youl sont venus au Canada exprimer leur intérêt pour les minéraux canadiens.

De leur côté, les États-Unis ont publié en juin 2021, sous le titre Supply Chains, Revitalizing American Manufacturing, and Fostering Broad-Based Growth. 100-Day Reviews under Executive Order 14017, un rapport dont une section produite par le Département de la Défense identifiait les matériaux et minéraux stratégiques.

On y trouve une carte du Canada intitulée Canadian Strategic and Critical Material Deposits. Sur une liste de 35 minéraux qualifiés de « critiques pour l’économie et la sécurité nationale » des États-Unis, le Canada est un important producteur de treize d’entre eux.

L’Allemagne et la Corée du Sud s’intéressent au Canada à cause de la guerre en Ukraine qui les prive d’un accès aux matières premières russes. Les États-Unis veulent mettre fin à leur dépendance à l’égard de la Chine pour plusieurs de ces minéraux dans la perspective d’un affrontement qui semble inévitable entre les deux pays.
 

Boom minier et désastres écologiques

Le Québec est bien pourvu en matériaux stratégiques (graphite, cuivre, lithium, niobium, zinc, nickel, cobalt, terres rares). Plusieurs sont des composantes importantes dans le virage énergétique dans lequel sont engagés plusieurs pays. Il détient 25 % des réserves de lithium en Amérique du Nord et d’importants gisements de graphite. Le lithium sert à produire les cathodes et le graphite les anodes des batteries des voitures électriques. Une batterie comprend également un collecteur électrique en cuivre côté cathode et un collecteur en aluminium côté anode.

À l’heure actuelle, le lithium et le graphite sont peu ou pas exploités au Québec, mais Nemaska Lithium, Sayona Mining et Nouveau Monde Graphite en planifient l’exploitation dans des mines à ciel ouvert. Plusieurs projets sont situés dans le Nord, d’autres dans le Sud, comme les projets miniers de graphite dans des zones de villégiature de Lanaudière, des Laurentides et de l’Outaouais.

Le gouvernement du Québec est partenaire à parts égales de Nemaska Lithium avec la multinationale Livent mais, au Québec, à peine deux mines sur vingt-deux sont de propriété québécoise, alors que dix-sept minières ontariennes sur trente-cinq sont de moitié de propriété canadienne. Le ministre Pierre Fitzgibbon a déclaré que la propriété des mines n’avait pas d’importance.
 

La filière batterie

Au départ, le gouvernement Legault ambitionnait de développer toute la filière de production, du minerai jusqu’à la batterie. Le parc industriel de Bécancour a été identifié pour la transformation du minerai. Les entreprises BASE et POCO Chemical Co. Ltd vont y produire des cathodes et des anodes, les principales composantes des batteries. POCO Chemical Co. Ltd a investi 500 millions $ à cet effet.

À Windsor en Ontario, l’entreprise Stellantis NV et la Sud-Coréenne LG Energy Solution ont investi, avec le soutien d’Ottawa, cinq milliards pour une usine de construction de batteries qui va créer 3 000 emplois. C’est le plus gros investissement dans l’histoire du Canada. Auparavant, en 2020, le gouvernement de l’Ontario et Ottawa ont contribué à hauteur de 295 millions $ pour aider Ford Motor Co. of Canada à construire à Oakville une usine de 1,8 milliard $ pour les batteries.

Au Québec, le gouvernement a rapidement fait son deuil de la production des batteries. Le ministre Pierre Fitzgibbon a déclaré que les investisseurs préféraient localiser leurs entreprises près des chaînes de production de voitures, c’est-à-dire dans le sud de l’Ontario.

Le schéma est classique. L’exploitation minière – qui est synonyme de désastre écologique, particulièrement dans le cas du lithium qui a suscité de fortes oppositions et d’importantes mobilisations populaires ailleurs dans le monde – se déroulera dans le Nord autochtone et dans des zones de villégiature du sud du Québec, alors que les plus importants investissements, les plus généreuses subventions fédérales et les meilleures jobs se retrouveront en Ontario.
 

Inflation, récession et pénurie de main-d’oeuvre

La guerre en Ukraine a dopé la poussée inflationniste. La hausse du coût du panier de provisions alimentaires est la plus importante depuis 41 ans. Les salaires et les allocations sociales ne suivent pas et ne suivront pas l’inflation. Un des effets prévisibles est que plusieurs travailleuses et travailleurs, craignant de ne pouvoir vivre avec le montant de leur retraite, vont la repousser dans le temps. D’autre part, des retraités vont sans doute être obligés de retourner sur le marché du travail.

Au mois de mai dernier, un collectif d’économistes progressistes publiait dans Le Devoir et l’aut’journal une lettre ouverte dans laquelle, ils critiquaient la stratégie de la Banque du Canada de combattre l’inflation par une hausse des taux d’intérêt. Ils faisaient valoir que cette approche ne faisait que transférer des fonds de la poche des ménages vers les coffres des banques et de leurs actionnaires.

Ils proposaient toute une série de mesures alternatives : « Mettre en place une politique de contrôle des loyers, lancer de vastes chantiers de construction de logements sociaux et réglementer sévèrement la location touristique de court terme des logements. »

« Le gouvernement, ajoutaient-ils, peut aussi réduire les prix qu’il contrôle : tarifs d’Hydro-Québec, droits de scolarité, frais de garde, titres de transport en commun, etc. Il peut subventionner des initiatives d’autonomie alimentaire, favoriser les sources d’approvisionnement local et soutenir la transition hors du pétrole. Il peut aussi augmenter substantiellement le salaire minimum et les transferts aux personnes en situation de pauvreté. Bref, des politiques qui aident vraiment les personnes touchées par la hausse du coût de la vie plutôt que de se rabattre uniquement sur le resserrement de l’accès au crédit. »

Manifestement, ils n’ont pas été entendus. En fait, combattre l’inflation par une hausse des taux d’intérêt est une politique concertée des banques centrales des pays industrialisés pour provoquer une récession. Les banquiers sont conscients que cela va entraîner des faillites d’entreprises, des licenciements et des millions de chômeurs. Mais c’est leur « solution » à la pénurie de main-d’œuvre qui force les patrons à augmenter les salaires et rogne leurs profits. La présence d’une armée de réserve de chômeurs est une nécessité pour le « bon » fonctionnement du système capitaliste.
 

Trois dossiers prioritaires

La guerre en Ukraine est une guerre « anglo-saxonne » a déclaré le président Macron. Les trois pays les plus va-t’en guerre sont effectivement la Grande-Bretagne, le Canada et les États-Unis. Les marchands d’armes, les pétrolières et les minières de ces pays salivent. Leurs profits atteignent des sommets inégalés.

Par contre, les classes ouvrière et populaire de ces pays écoperont. La Grande-Bretagne est déjà en pleine ébullition sociale. Aux États-Unis, l’aide aux victimes de Fiona ne représentera qu’une fraction de l’aide militaire à l’Ukraine. Au Canada et au Québec, l’inflation appauvrira la population et l’augmentation de l’exploitation pétrolière et minière aggravera le déficit environnemental.

Au cours des prochains mois, l’aut’journal s’intéressera de près à ces trois dossiers : la guerre, l’exploitation minière et l’inflation. En appui aux luttes populaires, nous présenterons un aut’point de vue que celui des grands médias, trop souvent inféodés aux intérêts des grands conglomérats. Pour ce faire, nous avons besoin que vous participiez à notre campagne de financement. Donnez généreusement. Soutenez le développement d’une presse libre et indépendante!