Les fourberies de Justin

2023/02/17 | Par André Lamoureux

L’auteur est politologue au Département de science politique – UQAM

Dans le cadre de sa croisade contre la laïcité de l’État québécois, le premier ministre Justin Trudeau a décidé de soumettre un renvoi à la Cour suprême. Simultanément, il fait entrer Amira Elghawaby sur le parvis du gouvernement. Par cette stratégie, il élève donc d’un cran son offensive contre la laïcité québécoise.

Par ce renvoi, Justin Trudeau veut d’abord inviter les magistrats de la Cour suprême à évaluer son postulat fantaisiste selon lequel il devrait être interdit d’utiliser la clause « nonobstant » de la charte canadienne des droits de manière « préventive », soit dans la mouture initiale d’une loi. Celui-ci soutient aussi que l’utilisation de cette clause dérogatoire, notamment en matière de laïcité, serait redevable à la montée de la droite populiste et du racisme en Occident, voire de l’islamophobie. Une deuxième prétention tout aussi saugrenue.

Dans les deux cas, le premier ministre fédéral triture et démonise ses adversaires pour parvenir à ses fins « postnationales », multiculturalistes et communautaristes.

 

La clause « nonobstant » : une tradition légitime et préventive

En 1981, l’insertion d’une clause nonobstant dans le projet de charte de Pierre Elliott Trudeau a été permise par « L’Accord des dix » conclu pendant la nuit du 5 au 6 novembre. Scellée à l’insu du Québec.

Cette disposition permettait aux législatures d’être soustraites de l’application de certains articles contraignants de la charte. Elle était ardemment exigée par plusieurs premiers ministres, ne voulant pas que leur souveraineté parlementaire soit contrecarrée. D’abord réfractaire, P.E. Trudeau s’est finalement rallié à cette option, évoquant même l’utilisation potentielle de cette dérogation pour la défense du droit à l’avortement.

Le 20 novembre 1981, Jean Chrétien ajoutait que « La raison d’être d’une clause 'nonobstant' est de donner la flexibilité requise pour s’assurer que les législatures plutôt que les juges aient le dernier mot sur les questions politiques importantes ».  À cette occasion, jamais il n’a été statué que les législatures devraient éviter une utilisation préventive de ce mécanisme dérogatoire ou le soumettre à des conditions ou l’autorisation des tribunaux.

Conséquemment, il apparaît assez paradoxal qu’on veuille aujourd’hui menotter le Québec en l’empêchant d’utiliser librement cette clause dérogatoire dans la loi 21, d’autant plus que le Québec a toujours procédé de cette façon, exception faite de la loi 178 votée en décembre 1988 après que la Cour suprême eut déclaré inconstitutionnel l’affichage commercial unilingue français.

De 1982 à 1985, René Lévesque a d’abord inclus la clause « nonobstant » dans des dizaines de lois québécoises de manière à leur assurer une protection contre d’éventuelles contestations judiciaires. En février 1983, il en a encore fait usage dans une loi spéciale pour mettre fin à la grève des enseignants de cégeps. De son côté, Robert Bourassa y a eu recours en cinq occasions entre 1986 et 1988. À la fin des années 1990, le gouvernement du Parti québécois l’a aussi utilisée pour mettre en œuvre le cours ECR dans les écoles. Le gouvernement de Jean Charest a d’ailleurs maintenu ce recours de 2005 à 2008.

 
La laïcité aux antipodes du conservatisme

Aux accusations de populisme de droite, retenons que la loi 21 n’enlève aucun droit fondamental, ne brimant aucunement le droit de chacun d’exercer sa piété. En 2013, l’ex-juge de la Cour suprême, Claire L’Heureux-Dubé, a expliqué qu’afficher ses croyances religieuses ou politiques dans l’exercice de son travail ne fait pas partie des libertés fondamentales. À maintes reprises, les cours de justice de l’Union européenne ont exprimé le même point de vue, y compris pour les entreprises privées privilégiant un mode de fonctionnement laïque.

À l’opposé du conservatisme qui s’appuie sur l’ordre établi et les croyances religieuses au sein de l’État, la laïcité fait prévaloir la liberté de conscience sur l’affichage de signes religieux du fait qu’ils heurtent directement les valeurs et vues des autres citoyens, dont celles des non-croyants.

La laïcité proclamée en France interdit les signes religieux pour tous les agents de l’État; le canton de Genève en Suisse aussi. La France, la Belgique, l’Autriche, la Bulgarie et le Danemark interdisent le voile intégral dans l’espace public. L’Allemagne l’empêche pour les agents de l’État et le personnel des écoles. Les Pays-Bas l’ont aussi banni dans certains lieux publics (écoles, hôpitaux et transport en commun).

Alors, peut-on sérieusement accuser ces régimes démocratiques de tomber dans l’extrémisme de droite ou le racisme? Oserait-on accuser de « populisme » les femmes iraniennes qui se battent contre le voile islamique, la fin du régime Khamenei et la création d’une République laïque?

 

L’intégrisme islamique dans l’enceinte du gouvernement fédéral

On doit donc comprendre que le premier ministre Justin Trudeau et son gouvernement plient l’échine devant les intégrismes religieux à des fins idéologiques et électoralistes. En juin 2018, après avoir fait adopter la motion M-103, la députée Iqra Khalid a versé une somme de 23M$ au Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) et à la controversée organisation Islamic Relief. S’est ajouté ensuite le financement des poursuites de plusieurs organisations contre la loi 21 (dont le CNMC) par le biais d’un généreux programme de contestation judiciaire géré par l’Université d’Ottawa.

Maintenant, l’islam politique est entré dans l’enceinte du gouvernement avec la nomination d’Amira Elghawaby, ex-directrice des communications du CNMC, à titre de représentante spéciale du Canada dans la lutte contre l’islamophobie, un concept fabriqué pour empêcher toute critique de l’islam ou de l’idéologie des Frères musulmans et autres salafistes. C’est là une décision braquée contre le Québec, la démocratie et les Lumières.