Le gouvernement ignore la majorité des professionnelles en soins du Québec

2010/07/23 | Par Régine Laurent

L’auteure est présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ)

En juin dernier, deux ententes de principe ont fait en sorte de fixer les conditions de travail d’une faible proportion des professionnelles en soins infirmiers et cardiorespiratoires œuvrant au sein du réseau public de santé du Québec.

Par contre, à ce jour, le gouvernement n’a toujours rien réglé avec les 80 % d’infirmières, d’infirmières auxiliaires, d’inhalothérapeutes et de perfusionnistes qui sont représentées par la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec – FIQ.

Cette négociation ne pourra évoluer dans l’intérêt de la majorité de la population et des professionnelles en soins tant et aussi longtemps que le gouvernement ne changera pas son approche unilatérale.

En effet, il persiste à brimer la voix des membres représentées par la FIQ en leur imposant une entente conclue par des organisations syndicales représentant une minorité de professionnelles en soins infirmiers et cardiorespiratoires, soit 20 %.

Cette entente, que d’autres organisations ont accepté, a été rejetée à l’unanimité par les déléguées de la FIQ il y a plusieurs semaines. De fait, les représentantes élues par les membres de la Fédération la jugent aux antipodes des mesures nécessaires pour reconnaitre et valoriser les conditions difficiles dans lesquelles elles pratiquent depuis de nombreuses années.

Cette entente incarne l’un des pires scénarios envisagés par la FIQ pour sceller la dérive des soins de santé public au Québec.

Sous le couvert de titres accrocheurs, des mesures trompe-l’œil apportent, dans le meilleur des cas, un immobilisme substantiel aux problématiques criantes du réseau, alors que d’autres dispositions cautionnent des reculs majeurs qui ramèneraient les conditions des professionnelles en soins à des luttes menées il y a de cela 4 décennies!

Sachez que ce n’est ni par caprice, ni par entêtement aveugle que les 58 000 professionnelles en soins représentées par la FIQ ont refusé le contenu de cette entente.

Elles ne peuvent tout simplement pas concevoir l’avenir de leurs professions si elles donnent leur aval à un gouvernement qui a clairement démontré ses intentions de démanteler des pans entiers des services publics du Québec.

Sachez que chacune de ces 58 000 professionnelles en soins est au première loge de ce démantèlement du système de santé, entamé depuis plusieurs années, et que chacune d’elles subit au quotidien le désengagement du gouvernement à l’endroit des services publics qui sont pourtant si chers à une très forte majorité de la population québécoise.


Détourner l’aménagement du temps de travail de ses objectifs

La problématique la plus criante du réseau de santé concerne l’attraction et la rétention des professionnelles en soins. Aux 4 000 infirmières présentement manquantes, il faut ajouter le départ à la retraite de 15 000 autres au cours des quatre prochaines années, ce qui représente 20 % des effectifs actuels.

La pénurie rend les conditions de travail difficiles en exacerbant le nombre d’heures travaillées, ce qui se traduit depuis trop longtemps par l’obligation d’effectuer des heures supplémentaires.

Cette pénurie est d’ailleurs maintenue à un niveau critique, puisque 50 % des infirmières et 67 % des infirmières auxiliaires ont un statut à temps partiel! Pourtant, les 4 686 921 heures supplémentaires travaillées en 2008-2009 représentent 2 565 postes à temps complet qui pourraient être créés.

Selon la FIQ, un virage obligé s’impose pour attirer et retenir les professionnelles en soins au sein du réseau public de santé.

Pour ce faire, c’est en palliant le manque d’audace du gouvernement que la FIQ propose un aménagement du temps de travail autofinancé, en grande partie, par la conversion de congés déjà prévus au contrat de travail des professionnelles en soins et qui nécessitent un investissement gouvernemental de 100 millions par année.

Puisque la FIQ constate que le gouvernement dilapide les fonds publics au profit des entreprises privées de placement en soins, à hauteur de 570 millions de dollars pour les quatre dernières années (une moyenne de 142,5 millions de dollars/année), elle le presse de réajuster le tir et d’investir ces sommes pour préserver le caractère public de notre système de santé. L’aménagement du temps de travail qu’elle propose vise notamment à :

  • Favoriser un maximum de statuts d’emplois à temps complet;

  • Instaurer un horaire de travail sur 4 jours par semaine pendant 40 semaines, et sur 5 jours par semaine pendant seulement 6 semaines;

  • Assurer une meilleure conciliation vie personnelle/famille/travail.

De son côté, le gouvernement répond qu’il ne peut consentir à ce projet d’aménagement du temps de travail, parce qu’il risque de provoquer des ruptures de service. M. Bolduc, suivez-vous l’actualité?

La saison estivale vient à peine de commencer que le réseau connait déjà trois ruptures de service qui n’ont rien à voir avec la stabilisation des équipes de soins que la FIQ vise à atteindre par son projet, mais bien avec la pénurie pour laquelle vous n’avancez aucune solution!

Le gouvernement propose un plan qui consiste à convertir la moitié des congés annuels pour les intégrer à l’horaire de l’aménagement du temps de travail. La FIQ ne peut accepter d’introduire aux conditions de travail déjà déplorables des professionnelles en soins un recul qui ramènerait le nombre de congés annuels à ce qu’il était en 1964!

De plus, d’autres contraintes sont imposées pour accéder à l’offre gouvernementale sur l’aménagement du temps de travail, notamment celles qui visent à :

  • Obliger les professionnelles en soins qui désirent se prévaloir de cet aménagement à se jumeler à une collègue à temps partiel qui souhaite, elle aussi, bénéficier des modalités qui s’y rattachent;

  • Mettre sur les épaules des professionnelles en soins la totalité des couts rattachés à ce type d’aménagement, dont la principale concession est la conversion des congés annuels;

  • Appliquer les modalités de ce projet aux profesionnelles en soins des quarts de soir et de nuit seulement. Ce projet nie donc les besoins des professionnelles en soins sur les quarts de jour qui représentent la moitié des effectifs des établissements de santé et qui seront majoritairement admissibles à la retraite au cours des prochaines années;

  • Permettre à l’employeur de rompre l’aménagement établi avec la salariée en un seul préavis de 15 jours.

L’offre du gouvernement sur l’aménagement du temps de travail n’atteint en rien les objectifs visés pour attirer les jeunes professionnelles en soins dans le réseau et maintenir celles qui sont déjà en place.

Le projet du gouvernement se réalise sur une base individuelle. Autrement dit, aucune valeur n’est ajoutée pour rehausser la qualité de vie au travail des professionnelles en soins, ni pour réduire le stress et l’épuisement professionnel qui affligent un nombre record d’infirmières, d’infirmières auxiliaires et d’inhalothérapeutes depuis plusieurs années.


Traiter les problèmes critiques du réseau en marge de la négociation

La FIQ ne peut souscrire à l’implantation de comités qui s’inscrivent en marge du processus de négociation actuelle. Les sujets, tout aussi névralgiques les uns que les autres pour améliorer le système public de santé et les conditions de travail des professionnelles en soins, ne sont abordés qu’à titre consultatif, sans contrainte exécutoire, et ce, même si les parties ont dégagé des consensus quant aux solutions à privilégier.

Au fil du temps, la participation de la FIQ à plusieurs comités – notamment des forums nationaux sur la planification de la main-d’œuvre (infirmières et infirmières auxiliaires) mis de l’avant par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) – prouve qu’aucune solution susceptible d’agir concrètement sur le quotidien des professionnelles en soins et sur la qualité des soins qu’elles dispensent ne sera mise en place avant de nombreuses années.

Pouvons-nous réellement croire que les organisations peuvent en arriver à contraindre le gouvernement d’agir, alors que la plupart des rapports de ces forums sont bien rangés dans on ne sait quelle filière du MSSS et que ces comités sont complètement détachés du processus légal de négociation?

Pour la FIQ, les causes et effets des plus importantes problématiques entourant les professionnelles en soins sont connus par les différents acteurs du réseau de santé. Qu’il s’agisse du recours aux entreprises privées de placement en soins et aux heures supplémentaires, des moyens de résorber la pénurie ou de rendre les professions d’infirmières, d’infirmières auxiliaires et d’inhalothérapeutes plus attrayantes, l’heure n’est plus à l’explication des symptômes, mais à la mise sur pied de traitements chocs!


Appuyons notre système de santé

La bataille que mène actuellement la FIQ dépasse le simple intérêt de ses membres : elle concerne toute la population. La Fédération tient à garder le cap sur des mesures structurantes et permanentes pour insuffler les changements qui feront en sorte que nous, professionnelles en soins, serons capables de prodiguer des soins demain et au-delà des cinq prochaines années.

Nous demandons donc aux citoyennes, aux citoyens, aux organismes, aux associations et aux groupes d’ajouter leurs signatures aux milliers déjà recueillies pour signifier leur adhésion aux véritables enjeux de cette négociation et pour démontrer l’importance accordée à l’intégrité de notre réseau de santé.

Ensemble, nous pourrons convaincre nos décideurs de l’obligation de mettre en place de vraies solutions.

Rendez-vous au www.appuyonslafiq.qc.ca