Qui aime bien, châtie bien

2021/03/17 | Par André Binette

L’auteur est juriste en droit constitutionnel et autochtone

 

« Qui aime bien, châtie bien », dit l’un des proverbes dont la majorité des Québécois ont hérité de la France ancienne. Si c’est vrai, rarement le peuple québécois n’aura été aussi profondément aimé. L’œil du maître est, dans la perspective autochtone, une critique puissante, approfondie et percutante du nationalisme québécois et du projet d’indépendance du Québec.

Les Premières Nations n’ont aucun intérêt à substituer un maître colonisateur à un autre. Ils voient essentiellement dans le peuple québécois un dominé qui aspire à les dominer à son tour, un valet qui rêve d‘être le roi, un opprimé qui rêve d’être oppresseur. Malgré quelques bonnes volontés, le mouvement indépendantiste ne réussit pas à offrir une autre voie, celle de la coexistence décolonisée. Pour reprendre un autre proverbe, anglophone celui-là, le diable que l’on connaît est préférable à celui que l’on ne connaît pas ou, pourrait-on dire, à celui que l’on connaît trop intimement.

On ne peut que donner raison à cette perspective pour l’essentiel. Il existe beaucoup d’angélisme au Québec sur la nature de notre peuple colonisateur, particulièrement dans les grandes villes de Montréal et de Québec où on méconnait le racisme régional, dissimulé parce que honteux même pour le petit blanc qui le porte. Ce petit blanc est souvent un employé des industries d’extraction des ressources naturelles qui ont dépossédé les nations autochtones et détruit l’environnement avec la bénédiction de l’État québécois, ou encore un membre de sa famille. Le racisme québécois est bien ordinaire.

Au moment où j’écris ces lignes, un second incident raciste vient d’avoir lieu dans un établissement de santé de Joliette après la mort tragique de Joyce Echaquan. La plainte ne vient pas de la victime de l’incident parce qu’elle estime que ce serait une perte de temps et pourrait remettre en cause les soins dont elle a besoin. Les Attikameks nous disent que depuis des années ils préfèrent se rendre à l’hôpital de Trois-Rivières, pourtant plus éloigné, parce que celui de Joliette est un bas-fond de discrimination raciale. La Commission Viens, qui a été mise sur pied pour examiner les allégations de racisme à l’égard des Autochtones dans les services publics, a conclu que le racisme systémique est une évidence. Ces services publics ne relèvent pas d’Ottawa.

Et notre premier ministre bien-aimé continue de nier l’existence du racisme systémique dans une société qui est un exemple patent d’inégalité raciale.  François Legault est une incarnation classique du maître colonial. IL fait la promotion du projet de gazoduc de GNL-Québec, une catastrophe environnementale et un probable éléphant blanc économique, qui fait saliver nos nouveaux colonisateurs. Ce gazoduc ne peut se construire que sur les terres non cédées de trois des nations le plus pauvres du Québec, les Innus, les Attikameks et les Anishnabés. Le nationalisme de la CAQ est un nationalisme prédateur. Le conservatisme de la CAQ repose sur la continuité du colonialisme québécois qui maintient systématiquement les Autochtones dans la misère et que nombre d’entre nous ne veulent pas changer.

Et à gauche, nous avons des bonnes âmes qui font davantage partie du problème que de sa solution. Ceux qui croient que la solution est l’autoflagellation. Ceux qui croient que la solution est de donner aux Autochtones un droit à la partition du Québec sur une base raciale. Ceux qui croient que Montréal est une terre mohawk non cédée, une ânerie historique qui est aussi un étalage de profonde ignorance. Ceux qui croient que parce qu’ils sont opprimés, les Autochtones ont toujours et nécessairement raison. Ceux qui croient au romantisme du bon sauvage qui arrêtera le capitalisme tout entier. Ceux qui croient que la solution pour la nation québécoise est de nier notre propre dignité et notre propre identité, et d’abandonner toute volonté de nous émanciper. Ceux qui croient que notre colonialisme nous exclut à jamais de la possibilité de faire mieux autrement. Ceux qui oublient notre commune humanité.

Dalie Giroux n’échappe pas toujours elle-même à l’excès et à la naïveté. Elle reprend la thèse de Georges E. Sioui, un auteur huron-wendat par ailleurs admirable, selon laquelle les colons français sont venus se guérir en Amérique en fuyant une Europe violente et pathogène.  Nos ancêtres seraient un ramassis de perdants qui ont quitté des situations sans issue. IL ne seraient jamais vraiment arrivés parce qu’ils n’ont pour la plupart rien compris à la culture autochtone qu’ils voulaient supplanter. C’est passer sous silence la Renaissance et les Lumières, le succès des colons américains et du Québec moderne, et l’esclavage entre autochtones. Nous sommes encore trop près d’une vision idéalisée qui ne sert ni les uns ni les autres, mais qui contient néanmoins une part de vérité.

Dans un de mes voyages touristiques aux États-Unis, j’ai tenu à me rendre sur le site de l’arrivée du mythique navire Mayflower, qui a amené en 1620 les premiers colons britanniques en Nouvelle-Angleterre, des pèlerins puritains. Ils ont fondé Plymouth, au Massachussetts, en mémoire de leur lieu de départ, la ville du même nom en Angleterre. Au vingtième siècle, une voiture américaine devait rappeler ce mythe fondateur des États-Unis. Non loin de cette petite ville se trouve une reconstitution historique du premier village colonial. On n’a pas lésiné sur les moyens employés. Le fort reconstruit est rempli d’acteurs qui jouent de manière convaincante le rôle de forgerons, d’artisans et de familles coloniales. Je fus très étonné d’entendre un jeune homme en costume d’époque m’expliquer en excellent français la menace inquiétante que représentait pour eux la Nouvelle-France et Louis XIV, qui faisait peur au monde occidental par sa volonté de puissance, le Roi-Soleil, le roi maudit des Français et leurs féroces et cruels alliés autochtones. À l’extérieur, devant l’établissement, des Autochtones américains ne jouaient pas au théâtre historique. Ils protestaient réellement contre la saisie de leur territoire par les Puritains et les gouvernements qui ont suivi. Ils offraient une autre version des faits. À l’intérieur, le mythe fondateur était reproduit.

Il faut soigner ses mythes fondateurs. Il faut bien les choisir et accepter de temps à autre de les remettre en question. Le passé n’est jamais vraiment passé et on peut toujours changer le présent et l’avenir en le voyant autrement.  Pour le chanoine Groulx et les nationalistes traditionnels, le mythe fondateur était la mort héroïque de Dollard des Ormeaux au combat valeureux contre les méchants Iroquois armés par les Hollandais, qui ont fondé la Nouvelle-Amsterdam devenue New York lorsque les Britanniques les ont chassés dans une des nombreuses guerres intercoloniales.  On se demande pourquoi on aimait tant un tel perdant, comme Montcalm qui était aussi admiré. Dollard aurait plutôt été un aventurier douteux qui a eu le privilège de mourir en lançant un baril de poudre qui a frappé une branche et qui est retombé sur lui avant de franchir la palissade. Comme modèle historique, on a déjà vu mieux.

Plus récemment, c’est Champlain qu’on mettait de l’avant, un personnage remarquable en son temps et beaucoup plus intéressant. Mais on lui a accolé le mythe de l’égalité des peuples, auquel j’ai moi-même succombé, et qu’on retrouve aussi dans la lecture de la Grande Paix de Montréal de 1701. En fait, la volonté colonisatrice de Champlain ne fait guère de doute dans ses écrits, et la faible densité démographique des nouveaux arrivants privés de femmes avant l’arrivée des Filles du Roy explique son discours de ne faire qu’un seul peuple avec les Autochtones.  L’approche conciliante des Français ne les a pas conduits à signer un seul traité. Ailleurs, sur d’autres continents, ils se sont comportés en colonisateurs âpres au gain et très durs. S’ils ont été plus ouverts et diplomates en Amérique, c’est surtout parce qu’ils ont cherché de manière stratégique à compenser le poids du nombre des Anglais sur la côte de l’Atlantique. Ils faisaient partie des envahisseurs européens. Et leur colonialisme religieux a déformé les  esprits. D’ailleurs, le mouvement indépendantiste s’est nourri dans ses premières années de la guerre de décolonisation de l’Algérie contre ces mêmes Français. Il y a là comme une contradiction. De tous les côtés, on charrie. Charrier empêche de se parler.

En 2000, un nouveau monde était censé naître. J’avais été nommé co-président d’une commission sur l’autonomie gouvernementale du Nunavik. Mon contrat avait été signé par Lucien Bouchard personnellement. Son ministre des Ressources naturelles et des Affaires autochtones (le cumul de mandats aussi incompatibles se voit-il ailleurs?), en pleine guerre politique et juridique très intense contre les Cris (c’était avant la Paix des Braves, qui est un règlement hors Cour d’un litige majeur, un règlement auquel je devais plus tard contribuer), me prit en grippe immédiatement parce que j’osais prendre les droits autochtones au sérieux. J’eus des débats épiques   avec mon coprésident inuit, en tête à tête dans une chambre d’hôtel à Povugnituk. Il me disait : « Vous ne nous transporterez pas encore une fois d’un État souverain à un autre comme du bétail sans notre consentement. » Les Naskapis nous ont accueillis dans leur réserve à Schefferville avec une présentation qui relatait leurs griefs envers les Inuit. Mon coprésident inuit n’avait que faire de cette atteinte à l’intégrité territoriale de sa nation. Les Innus nous parlaient d’une trahison des Cris qui avaient conduit à la perte d’une partie de leur territoire ancestral dans la Convention de la Baie James. Les trois commissaires inuit se disputaient rudement entre eux et comptaient apparemment sur moi pour les départager. L’une d’eux m’a fait connaître le racisme autochtone antiquébécois. Bienvenue au colonialisme et aux rapports de pouvoir inter-autochtones.

Je fus reçu par la sous-ministre du ministère des Affaires indiennes à Ottawa après avoir rencontré le ministre en personne.  Je fus invité à dîner au marché By à deux pas du Parlement canadien, des lieux que j’avais beaucoup fréquentés dans ma jeunesse, par la négociatrice de l’autonomie du Nunavut, qui venait de gagner le prix de la meilleure fonctionnaire fédérale de l’année. Le fonctionnaire fédéral qui suivait le dossier et cofinançait la commission a voulu m’amadouer en m’invitant à un voyage à Copenhague et au Groenland pour voir l’autonomie à la danoise. Il ne savait pas que j’avais déjà décidé, devant tant de mauvaise volonté de toutes parts, de tout foutre en l’air et de refuser de signer le rapport de la commission dont je venais de rédiger le projet. Chevrette, lorsqu’il a appris ma décision, a fait une montée de lait et m’a ordonné de la modifier. Lorsqu’il a vu que je ne plierais pas, il a menacé de briser ma carrière. Il a fini par me demander s’il était un bon ministre.

Mais avant, j’avais accepté l’invitation fédérale de me rendre au Groenland. Dans ma tête, c’était une juste compensation pour une tâche impossible et le triple piège qui m’avait été tendu. À Nuuk, la capitale, après avoir mangé du phoque, admiré les icebergs et acheté une statuette un peu terrifiante et horrifiée qui me rappelait ma situation, je fus invité à une rencontre diplomatique avec le gouverneur danois, qui jouait à peu près le même rôle symbolique que notre gouverneur général. Il était très au fait de la situation du Québec et savait bien que je représentais un gouvernement sécessionniste. D’ailleurs, une guerre des drapeaux se déroulait autour de son immeuble comme on en voit au Québec. Un parti indépendantiste groenlandais venait de prendre le pouvoir. En dégustant d’excellents fromages danois, j’ai cru lui faire plaisir en lui disant que le colonialisme danois était à mon avis le plus éclairé. Je faisais erreur. Il ne pouvait pas supporter la réalité du colonialisme. C’était pour lui le mot innommable qui commence par C. Le soir, je fus invité à un souper bien arrosé dans le meilleur restaurant de Nuuk par le président de l’Assemblée nationale groenlandaise accompagnée de sa conseillère politique, une beauté scandinave classique qui croyait que l’indépendance était proche et s’était mise au service des colonisés. Six mois plus tard, j’ai reçu une carte de Noel signée par les six membres du Conseil des ministres du Groenland.  Je crois que je l’ai conservée.  L’indépendance n’a pas encore eu lieu.   On dit maintenant que les Chinois veulent investir dans les mines du Groenland et y construire une base militaire. La réponse de Trump a été de vouloir l’acheter. On est toujours le colonisé de quelqu’un.

À mon retour, j’ai tout de même fait un rapport personnel au gouvernement dans lequel j’ai recommandé que le Québec adhère aux côtés du Groenland au Conseil de l’Arctique, une organisation intergouvernementale majeure qui prend une importance stratégique croissante à l’époque de la déglaciation et du transport maritime par le Grand Nord. Ce n’est que plusieurs années plus tard que Martine Ouellet, lors de son bref passage à la tête du ministère des Ressources naturelles, a fait en sorte que l’on donne suite à cette idée. Celui qui en a profité le premier fut Philippe Couillard qui a assisté à Reykjavik à la première rencontre au sommet du Conseil de l’Arctique à laquelle le Québec a participé. Dans une conférence de presse avec le président de l’Islande, il a déclaré que cela démontrait que l’indépendance n’était plus nécessaire à notre époque. Le président a tenu à le démentir au mépris des usages diplomatiques. Il a déclaré que pour son petit pays, l’indépendance était une nécessité.

Ne me parlez pas de la folie de l’humanité. Ne m’affligez pas avec des idées préconçues tirées de l’ignorance des réalités. J’ai déjà donné. Je suis venu, j’ai vu, je n’ai définitivement pas conquis. Mais j’ai vu.

La vision de Dalie Giroux est, sous un certain angle, une simplification outrancière de ces réalités. Cette vision sous-estime grandement la complexité du monde et de ce que nous sommes tous, qui que nous soyons. Nous sommes tous dans cette vaste tragico-comédie à la fois des anges et des démons, des bons et des méchants, des idéalistes et des demeurés. Nous sommes des êtres humains, imparfaits mais perfectibles.

Le juriste que je suis se méfie des intellectuels qui se mêlent de faire du droit constitutionnel. C’est comme si j’écrivais un traité d’ophtalmologie. Parfois, ils échafaudent des théories brillantes fondées sur une compréhension très partielle du droit sous-jacent. C’est ce que j’appelle une vision en tunnel, une lecture en silo qui ne permet pas de voir l’ensemble des règles juridiques applicables ou qui en fait une lecture carrément erronée. Dans le cas de Dalie Giroux, les dégâts ne sont pas trop importants et n’altèrent pas l’essentiel du propos. Elle démontre une compréhension fine et approfondie du droit autochtone, qui est en réalité le droit canadien sur les autochtones et non le droit qu’ils ont produit. Donc le droit de l’État colonisateur qui évolue, mais est toujours loin de se remettre en question. Il n’en est pas autrement au Québec.

On peut tout de même reprocher à l’auteure-autrice d’avoir souligné la vision juridique traditionnelle au Québec selon laquelle les droits ancestraux n’existaient plus dans les terres de la vallée du Saint-Laurent parce qu’elles avaient été occupées intensivement par les Français, sans mentionner que cette vision, qui a été honteusement plaidée par le procureur général du Québec et qui était une prime à la colonisation imposée, a été définitivement écartée par la Cour suprême dans l’arrêt Côté en 1996. On pourrait aussi lui reprocher d’écrire que le fédéral a cédé le territoire nordique au Québec en 1912 à l’exclusion des eaux environnantes comme si c’était une anomalie au Canada, alors qu’en réalité le territoire de toutes les provinces s’arrête au rivage, à l’exception de la mer territoriale de trois milles autour de Terre-Neuve, pour des raisons liées à son histoire particulière. Ces aspects secondaires ne ternissent pas l’essai dans son ensemble, mais le constitutionnaliste ne peut pas manquer de les relever.

Le lecteur québécois ne sortira pas indemne de cette lecture. Sa vision du Québec sera rudement secouée. Mais c’est une œuvre salutaire, comme opérer un cancer de la pensée. Un dialogue vrai, qui veut démêler des siècles d’incompréhension et qui tient compte du fait qu’il pourra toujours exister certains désaccords, ne peut pas autrement commencer.

On s’étonne qu’après un procès aussi efficace et dévastateur du nationalisme québécois, la main demeure toujours tendue pour une relation d’une autre nature.  L’argumentaire aurait pu déboucher sur un cul-de-sac haineux. Voici plutôt ce qu’écrit Dalie Giroux :

« La question politique québécoise pour le 21e siècle ne sera pas celle de trouver le chemin à emprunter pour enfin véritablement devenir maître chez soi, ce qui signifierait de compléter la colonisation européenne des Amériques en notre nom, mais de réfléchir et d’agir en fonction de l’objectif réel et impérieux d’abolir, en mode de grande alliance, toutes les relations de servitude qui font la forme coloniale franco-britannique de dépossession dont nous héritons,  de manière différenciée, qui que nous soyons. » (à la p. 39)

À mon humble avis, ce jour encore lointain viendra quand le Code civil aura été modifié pour refléter la réalité des droits ancestraux et issus de traités, et quand l’État hydro-québécois aura consenti à partager avec les Innus les revenus exorbitants de Manic 5, cet éclatant symbole du nationalisme québécois.

Dalie Giroux s’appuie aussi sur Rémi Savard, ce grand anthropologue qui nous a récemment quitté, un critique sévère du gouvernement Lévesque, que j’ai surpris un jour en lui disant qu’après avoir grandi sur la Côte-Nord, c’est à cause de lui que je faisais du droit autochtone. Il est cité à la page 50:

« Un chapitre entier, dont nous nous sommes toujours refusés à admettre l’importance, a été bâclé, soit l’affirmation claire et précise que notre propre différence passe par une reconnaissance également claire et précise de la leur, et de la communauté de destin reliant l’une et l’autre dans cette péninsule du nord-est américain. Tôt ou tard, un tel travail devra être fait. »

Ce sera plutôt tard.

Mon mythe fondateur à moi est l’histoire des colons français abandonnés un long hiver par Jacques Cartier, qui mouraient du scorbut et qui ont été sauvés par la compassion autochtone. L’identité québécoise se trouve encore aujourd’hui dans une situation désespérée. Il est faux de dire que l’indépendance ne peut pas se faire sans résoudre la question autochtone. Après tout, nous sommes venus à 50,000 voix de la faire sans la résoudre. Mais on ne peut pas bien la faire de cette façon. La question autochtone est la question morale qui justifiera ou non l’indépendance du Québec.  L’humanité n’a nul besoin d’un État prédateur de plus ou d’un petit peuple mesquin qui veut conquérir plus petit encore. Ne me dites pas que ce n’est pas la vision de nombreux indépendantistes québécois.

La décolonisation pour moi a un sens bien personnel. J’ai longuement fréquenté une famille traditionnelle anishnabée dans le parc de La Vérendrye sans jamais rien faire pour eux sur le plan juridique. J’ai partagé leur pauvreté matérielle et leur richesse intérieure. Un jour, ils m’ont emmené à leur cabane à sucre délabrée. Ils m’ont fait manger un sucre d’érable bien plus ancien que le nôtre, au goût plus rugueux et moins sucré. Leurs ancêtres ont transmis aux nôtres ce savoir si essentiellement québécois.

Une mère de famille m’a donné un collier qu’elle avait tressé à mon intention. Je l’ai toujours. C’est pour me protéger des mauvais esprits. J’aurais dû toujours le porter.

Peu après, leur terre ancestrale a été rasée par l’industrie forestière au mépris total d’une présence millénaire. Il fallait développer l’économie du Québec et créer des emplois.  En pleurs, cette famille traditionnelle a dû à son tour se réfugier dans la réserve qu’elle avait toujours fièrement évitée. De quel côté est la sauvagerie?

Je laisse le dernier mot au défunt Conseil Attikamek-Montagnais (le CAM) lors de sa présentation devant René Lévesque et un groupe de ses ministres dans une rencontre en 1978 qui s’avéra désastreuse. Ce passage est cité à la page 173 de l’ouvrage cité :

« Mais vous avez décidé d’exploiter encore davantage et d’implanter de plus en plus votre technologie, vos principes, vos habitudes, vos règlements et vos lois, partout où vous pouviez vous rendre, pour prendre toujours davantage ce qui nous appartenait, sans vous préoccuper de nos habitudes, de nos coutumes et de notre mode de vie qui étaient les nôtres, bien des millénaires avant que vous arriviez.

Au nom de votre civilisation et de vos appétits de profit, vous avez, sans vous soucier de quoi que ce soit, exploité nos forêts, nos lacs et nos rivières. Vous avez érigé des barrages, implanté des compagnies minières et forestières, construit des chemins de fer et des lignes électriques, aux endroits mêmes d’où nous tirions notre subsistance. »

Cela s’appelle un génocide culturel, et notre peuple québécois que nous aimons tant l’a commis lui aussi. Nous ne sommes pas si innocents que nous voulons le croire, mais avec un peu d‘humilité nous pouvons encore réparer nos torts puisque si nous le faisons, ils nous disent qu’ils voudront encore de nous.  Gaston Miron disait que l’indépendance ne pouvait pas toujours ne pas arriver. Il en est de même du respect des droits fondamentaux et particulièrement humains des Premières Nations, ces négligés de la Terre qui en sont les meilleurs témoins.