400 numéros plus tard

2021/10/08 | Par Pierre Dubuc

Il s’en est fallu de peu pour que le Québec soit dominé, comme dans « le bon vieux temps » par les Libéraux et les Conservateurs, les deux partis politiques historiquement chargés de le maintenir assujetti. Une question, lors du débat en anglais, où s’exhalait le mépris séculaire de l’élite canadienne à l’égard du Québec a provoqué une saine réaction nationaliste qui a permis au Bloc Québécois de sauver l’honneur.

Elle est loin l’époque où le Canada anglais, dirigé par Lester B. Pearson, terrifié par le mouvement indépendantiste, cherchait à amadouer le Québec par des concessions (Caisse de dépôt, bilinguisme, les trois colombes). L’embellie n’a pas duré longtemps. Le bâton a rapidement suivi la carotte (Loi des mesures de guerre, rapatriement de la Constitution, menaces de partition du territoire québécois).

D’autres mesures plus sournoises ont grugé et continuent de rogner les pouvoirs du Québec. Les dispositions spécifiquement conçues pour invalider les dispositions de la Loi 101 de la Charte des droits fédérale ont entrainé nombre de jugements défavorables au français. Tout aussi perfide a été l’inscription du multiculturalisme dans la Constitution, dont les effets apparaissent aujourd’hui au grand jour. Pour marginaliser politiquement le Québec, les fédéralistes jouent à fond de train la promotion des minorités et des Autochtones avec des mesures sans grandes avancées autres que symboliques pour ces groupes.
 

La petite noirceur

Devant une telle offensive, la CAQ et une fraction dominante du mouvement nationaliste ne trouve rien de mieux que de réhabiliter le gouvernement de Maurice Duplessis. Encore là, même si on dédouanait Duplessis en reconnaissant, comme le font ses thuriféraires, qu’il construisait des routes et des écoles, et qu’il défendait l’autonomie provinciale, Legault en est un bien pâle succédané. Les routes et les écoles sont dans un état lamentable, sans plan réaliste pour les remettre à niveau. Alors que Duplessis revendiquait, avec une ardeur nationaliste de bon aloi, des points d’impôt, Legault se contente de réclamer des transferts fédéraux, en misant sur la stratégie du « front commun des provinces », dont l’histoire nous a appris qu’elle était vouée à l’échec.

De trop nombreux nationalistes se satisfont de peu. La question de la laïcité a rapidement été évacuée après l’adoption de mesures minimales, sans remettre en question le statut des écoles privées religieuses et les privilèges fiscaux des communautés religieuses. Sur la question linguistique, c’est du grand maquignonnage (« caquignonnage », pourrait-on dire). Pour ne pas déplaire aux anglophones, Legault refuse obstinément d’inclure, dans son projet de loi, la mesure la plus structurante pour la préservation du français, soit d’étendre les dispositions de la Loi 101 aux cégeps. Au contraire, il augmente le financement du déjà obèse « Dawson college » et gratifie l’université McGill du site et des bâtiments du Royal Vic.

Concernant le monde du travail, Legault veut des emplois avec de « bons » salaires, mais il ouvre toutes grandes les portes au cheap labour de l’immigration temporaire et son gouvernement vient d’adopter une refonte de la loi sur la santé et sécurité au travail qui représente un recul considérable.

Au plan électoral, s’inspirant de son mentor Maurice Duplessis, qui avait appuyé aux élections de 1958 le Parti conservateur de John Diefenbaker, Legault a appelé à voter pour les Conservateurs d’Érin O’Toole. Duplessis avait gagné son pari. Legault a perdu le sien. Le Bloc aurait pu remporter jusqu’à huit circonscriptions supplémentaires si le vote conservateur s’était reporté sur le Bloc. Le mot d’ordre de Legault a donc contribué à assurer le maintien au pouvoir du Parti Libéral de Justin Trudeau.
 

Après Duplessis, Bourassa

Malgré tout cela, une frange non négligeable du mouvement souverainiste croit que Legault pourrait virer capot une nouvelle fois et se faire le champion de la cause indépendantiste. Les plus âgés se souviendront que le même virus avait contaminé des souverainistes après l’échec du Lac Meech. Ils croyaient, dur comme fer, que Bourassa ferait l’indépendance. N’avait-il pas déclaré : « Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, le Québec est, aujourd’hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d’assumer son destin et son développement. » On connaît la suite. Legault vient de reprendre la formule à son compte : « Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse à Ottawa, le Québec est une nation libre de protéger sa langue, ses valeurs, ses pouvoirs. » Mathieu Bock-Coté croit qu’« au fond de lui-même », Legault « recommence à envisager, d’une manière ou d’une autre, la possibilité de l’indépendance du Québec ».  (JdeM 11/09/21) Existe-t-il un vaccin contre la naïveté en politique ?

Habilement ou maladroitement – l’avenir nous le dira – Legault essaie d’associer, avec l’aide de sa coterie parmi les chroniqueurs au Journal de Montréal, l’opposition à son gouvernement au mouvement « woke ». Belle tentative de diversion. Cependant, à l’heure actuelle, si on considère la situation qui prévaut aux États-Unis et en France – deux références majeures pour le Québec – le mouvement en pleine expansion n’est pas celui de « woke », mais de l’extrême-droite avec les « trumpistes » au sud de la frontière et le phénomène « Éric Zemmour » en France.

À l’échelle mondiale, la véritable opposition démocratique à ce courant réactionnaire est le mouvement des Noirs américains Black Lives Matter, qui a eu une résonnance internationale après le décès de George Floyd, le mouvement des femmes, qui lutte mondialement contre l’islamisme radical et pour le droit à l’avortement, de même que le mouvement autochtone au Québec, au Canada, et ailleurs dans le monde.
 

400 numéros plus tard

À l’aut’journal, nous nous réclamons de cette mouvance. De plus, nous croyons que le succès des revendications de ces mouvements est fonction de leur pénétration dans le mouvement ouvrier pris au sens large et de l’inclusion dans ses rangs des représentants de ces groupes et de leur promotion à des postes de direction. À cet égard, il faut souligner la décision du dernier congrès de la CSN – sur proposition du Conseil central de Montréal – de favoriser « le développement d'indicateurs numériques pour assurer un suivi de la progression des personnes racisées et autochtones, dans les instances syndicales ».

Est-il nécessaire de rappeler que le mouvement syndical et ouvrier a constitué historiquement le socle de granit du mouvement indépendantiste et a été un facteur déterminant de son succès passé ? Le mouvement indépendantiste est né de la rupture avec la Grande Noirceur; il ne réémergera pas aujourd’hui de sa réhabilitation sous une forme ou une autre.

Dès sa création en 1984, l’aut’journal s’est donné la mission d’être la voix des sans-voix, la voix des travailleuses et des travailleurs. Bien sûr, en parlant de leurs luttes, de leurs revendications, de leurs espoirs, mais aussi en diffusant un point de vue progressiste sur toutes les questions d’intérêt, qu’elles soient locales, nationales ou internationales, qu’elles concernent les questions des femmes, de la laïcité, de la langue, de l’environnement, etc.

400 numéros plus tard, nous croyons avoir été fidèle à cette mission. Pour poursuivre dans cette voie, nous avons besoin de l’appui moral et financier de notre lectorat, qu’il soit individuel ou collectif. Nous invitons donc nos lectrices, nos lecteurs et les organisations syndicales et nationales à nous soutenir financièrement.

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