Les 600 $ à Legault

2022/12/09 | Par Germain Dallaire

La charité a toujours été un moyen pour les riches de se déculpabiliser face à la pauvreté. Avec l'avènement de la démocratie et particulièrement celui de l’État providence, la charité a progressivement rempli un autre objectif, celui de montrer que les pauvres n'avaient pas nécessairement besoin de protection sociale puisque les riches, dans leur mansuétude, pouvaient en partie régler le problème. Avec le temps même, l'impératif de charité s'est étendu à la classe moyenne avec entre autres la multiplication des fondations de tous genres. Aux caisses des épiceries, ça prend même des allures de harcèlement : « un p'tit deux pour Enfant Soleil? Un p'tit deux pour la Fondation des maladies du cœur?! »

Avec la vague inflationniste actuelle, on assiste cependant à l'apparition d'une nouvelle forme de charité particulièrement grotesque, celle des gouvernements envers la population. Passons sur le fait qu'il s'agit de notre argent, celle de nos impôts. Passons vite aussi sur le fait que ces distributions constituent d'autant moins d'argent servant à améliorer des services publics qui en ont un urgent besoin. Tenons-nous-en au discours officiel à l'effet qu'il s'agit d'argent pour compenser l'inflation. Gros problème: même quand l'inflation aura diminué, l'augmentation des prix restera. Le problème reste donc entier et cette obole apparaît tout au plus comme un plaster sur une plaie béante.

Tout le monde le sait, pour compenser vraiment l'inflation, il faudrait des augmentations de salaire égales au taux d'inflation, des formules d'indexation. C'est là que le bât blesse. Depuis l'avènement du néolibéralisme au début des années 80, les clauses d'indexation ont été systématiquement éliminées. Selon la doxa économique en vigueur depuis ce temps, ce sont ces clauses d'indexation qui ont provoqué la spirale inflationniste de la fin des années 70. C'est ainsi qu'on vire de bord la chaîne de causalité. La réaction devient la cause. On oublie au passage que c'est un choc pétrolier qui a déclenché l'inflation des années 70. Pour ce qui est de la vague actuelle, on sait que ce sont des ruptures de chaînes d'approvisionnement liées à la pandémie accentuées par la guerre en Ukraine.

Cette crainte de spirale inflationniste est devenue une obsession pour nos élites. De là ces petites oboles des gouvernements. Elles sont là pour endormir la population et surtout éviter que les travailleur(se)s revendiquent des augmentations de salaire et surtout, danger suprême, des clauses d'indexation qui sont la seule protection contre l'inflation. Elles sont là pour préserver et même améliorer les profits des p'tits copains entrepreneurs de François Legault. Il faut le dire fort et le souligner à l'encre rouge, l'inflation est l'occasion d'un gigantesque transfert d’argent des classes populaires vers les riches.

Si François Legault avait mis ses bottines à la même place que ses babines et vraiment voulu permettre à la population de compenser l'inflation, il aurait simplement indexé les salaires de ses employé(e)s qui constituent plus d'un demi-million de personnes. Ce faisant, il aurait fait d'une pierre trois coups. En plus d’initier une dynamique vertueuse dans la population concernant l'érosion de son pouvoir d'achat, il aurait renversé une tendance déplorable vieille de plusieurs décennies (l’augmentation constante de leur écart de salaire avec les employé(e)s du privé) et rendu du même coup les emplois du secteur public plus attractifs ce qui constitue, à la lumière des actualités quotidiennes, un impératif incontournable.

Mais voilà, on ne peut demander à un éléphant de passer dans un trou de souris. Pour François Legault, c'est comme dans la chanson de Brassens : « Les copains d'abord ».