L’arnaque des fondations créées par Ottawa

2024/06/20 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois
 

La Vérificatrice générale vient de publier un rapport accablant sur la gouvernance et l’octroi des fonds d’une fondation créée par le fédéral. On parle de 76 millions $ entre 2017 et 2023. La fondation se nomme Technologie de développement durable Canada (TDDC). Elle a été créée en 2001 par le fédéral pour qu’elle distribue des fonds fédéraux à des entreprises.

À la fin de 2022, un groupe de lanceurs d’alerte avait sonné l’alarme. Depuis, le comité de la Chambre sur l’Éthique s’est aussi penché sur les activités de la fondation et sa directrice a démissionné.

Ce scandale découle d’un vice de conception. Ottawa confie l’octroi de ses fonds à des fondations sans droit de regard. Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui, il faut remonter à leur création.
 

La contre-offensive fédérale d’après 1995

Lors du référendum de 1995, le gouvernement fédéral a eu la frousse. Réalisant qu’Ottawa était essentiellement absent de la vie des Québécois, le gouvernement Chrétien s’est lancé dans un vaste programme de réingénierie de l’État au profit du gouvernement fédéral et au détriment du Québec.

À l’époque, Paul Martin était ministre des Finances et le Président du Conseil du trésor était Marcel Massé, un ancien greffier du Conseil privé. Massé a utilisé sa connaissance fine de l’appareil de l’État pour se lancer dans un vaste chantier : faire en sorte que le Québec soit pris à la gorge, mais qu’Ottawa ait une grande marge de manœuvre financière.

Ce faisant, il pensait que les Québécois se mettraient à voir le gouvernement fédéral comme leur gouvernement, celui vers lequel ils pourraient se tourner pour répondre à leurs besoins et les aider à réaliser leurs projets. Ainsi, peut-être qu’ils changeraient d’allégeance. De Québécois, ils deviendraient Canadiens.

Et Massé ne s’en est pas caché : « Quand Bouchard (Lucien Bouchard, premier ministre du Québec à l’époque) va devoir couper, nous, à Ottawa, nous pourrons démontrer que nous avons les moyens de préserver l’avenir des programmes sociaux. »

Et il a en partie réussi. Les coupes sombres dans les transferts en santé et les services sociaux – 40% de coupes dans les transferts sur trois ans – ont forcé le gouvernement du Québec à couper à son tour. On se souvient tous des mises à la retraite massives d’infirmières. Le réseau de la santé ne s’en est jamais complètement remis. Le Parti Québécois et le mouvement indépendantiste ont perdu leur aura progressiste et ont failli disparaître.
 

Un stratagème machiavélique

Ottawa s’est mis à dégager des surplus importants. Des surplus tellement indécents en période d’austérité qu’il fallait les masquer. C’est ainsi que Massé a eu l’idée de créer une série de fondations.

En versant de grosses sommes d’argent dans ces fondations, il vidait le trésor fédéral, diminuait son surplus sur papier, et pouvait continuer à refuser les augmentations de transferts qui auraient permis de maintenir à flot les services à la population dont le Québec avait la charge. 

Or, pour que l’argent versé aux fondations sorte du périmètre comptable, il ne fallait pas que le gouvernement les contrôle directement. Cette perte de contrôle sur les fonds publics n’est pas un accident. Elle était nécessaire pour que le stratagème fonctionne.

En 2005, la Vérificatrice générale de l’époque, Sheila Fraser, a produit un rapport dévastateur intitulé « La reddition de compte dans les fondations ». Elle constatait que le gouvernement fédéral avait transféré 9 milliards $ dans quinze fondations entre 1998 et 2002 (l’équivalent de 17 milliards $ aujourd’hui). Elle avait aussi constaté qu’il n’exerçait aucun contrôle sur 7 de ces 9 milliards $.

Ces fondations versaient des bourses d’études (Fondation des bourses du millénaire), soutenaient des projets de recherche (Fondation canadienne pour l’innovation, Génome Canada), soutenaient les infrastructures publiques (Fondation pour les infrastructures stratégiques, qui transigeait directement avec les municipalités pour affaiblir le contrôle de Québec), ou favorisaient l’innovation industrielle. Autant de programmes clinquants qui avaient une aura de modernité. Le message était clair : l’avenir, c’est à Ottawa qu’il se trouve.
 

Le déséquilibre fiscal

La fondation Technologie de développement durable Canada, créée en 2001, faisait partie de ces quinze fondations dont parlait la vérificatrice générale en 2005 et sur lesquelles le gouvernement n’exerçait pas vraiment de contrôle.

La perte de contrôle des fonds publics à Technologie de développement durable n’est pas un accident. La fondation a été créée expressément pour cela. Dix-neuf ans après le rapport de la vérificatrice générale de 2005, incluant dix ans de gouvernement Harper, TDDC existe toujours et l’absence de contrôle sur les fonds publics n’a jamais été réglée.

TDDC n’est que le révélateur d’un cancer généralisé. Le gouvernement fédéral est d’une incroyable inefficacité et il traite les fonds publics comme de l’argent de Monopoly. Pendant qu’on discute du gaspillage fédéral à Ottawa, le Québec peine à assumer ses responsabilités, lesquelles incluent la quasi-totalité des services à la population.

Le Directeur parlementaire du budget le répète, année après année, dans son Rapport sur la viabilité financière : le coût des responsabilités dont le Québec et les provinces ont la charge augmente plus rapidement que leurs revenus, alors qu’Ottawa perçoit plus d’argent que ce dont il a besoin pour remplir les responsabilités qui sont strictement les siennes.

Les conséquences de ce déséquilibre fiscal sont multiples. Le gouvernement du Québec est pris à la gorge. Une fois les factures payées pour les services absolument essentiels, il ne dispose plus d’une marge de manœuvre suffisante pour permettre aux Québécois de faire des choix de société et d’orienter eux-mêmes leur développement social, économique et culturel.

Le gouvernement fédéral n’a pas de telles contraintes. Sa marge de manœuvre est telle qu’il peut se permettre de se mêler de ce qui ne le regarde pas en multipliant les ingérences et il ne sent pas le besoin de gérer efficacement ses programmes. Conséquence du déséquilibre fiscal, le gaspillage est inhérent au système fédéral actuel. Il s’étend à tous les secteurs d’activités du gouvernement.
 

Pur gaspillage de fonds publics

En 2014, le gouvernement du Québec rendait public le Rapport du comité d’experts sur les interventions fédérales dans le secteur de la santé et des services sociaux de 2002 à 2013. La période étudiée couvrait presque entièrement l’administration Harper.

Le Rapport a recensé 37 programmes fédéraux qui étaient autant d’ingérence en santé sous les conservateurs. Le montant des transferts ciblés était peu important en dollars, mais les ingérences étaient nombreuses, coûtaient cher à gérer, et les citoyens n’en avaient pas pour leur argent.

En fait, le comité d’experts avait estimé que les coûts de gestion de ces ingérences pour le gouvernement du Québec étaient plus élevés que le montant des transferts, au point où il concluait qu’il serait peut-être payant de les refuser.

Dit autrement : une bonne partie des programmes fédéraux représente un pur gaspillage de fonds publics. Un milliard par-ci, dix milliards par-là, sans contrôle ni obligation de résultat. Alors qu’Ottawa ne livre aucun service direct à la population (sauf aux Autochtones et aux anciens combattants, et on voit ce que ça donne), il a trouvé le moyen d’embaucher 109 000 fonctionnaires de plus depuis 2015. Imaginons ce que ces 100 000 personnes auraient représenté si le Québec et les provinces les avaient embauchés pour soigner les malades, enseigner aux enfants ou réparer les routes!