Les services publics dans le collimateur

2023/11/28 | Par Luc Allaire

« La démocratie est en déclin et, quand la démocratie est attaquée, ce sont les organisations syndicales qui sont attaquées », tel est le message principal qu’a livré le secrétaire général de la Confédération syndicale internationale lors de son passage à Bruxelles pour une réunion du Bureau exécutif de l’Internationale de l’éducation.

Ce thème de la démocratie en déclin a aussi été largement débattu lors du congrès de l’Internationale des services publics qui s’est tenu en octobre à Genève. Pour l’ISP, « les services publics de qualité constituent la base de sociétés démocratiques et d'économies prospères. Ils garantissent l'accès universel aux services essentiels, y compris les soins de santé, l'éducation, l'électricité, l'eau potable et l'assainissement. Lorsque ces services sont privatisés, maximiser les bénéfices des entreprises remplace l'intérêt public. »

Dans de nombreux pays, les partis de droite s’attaquent à la démocratie et aux droits syndicaux, ce qui entraîne une augmentation des inégalités, selon Luc Triangle. La taxation constitue l’élément clé pour lutter contre les inégalités. Sans taxation, il n’y a pas de services publics.

Toutefois, les débats sur la taxation des entreprises multinationales stagnent à l’OCDE. La Commission syndicale consultative de l’OCDE, mieux connue sous acronyme anglais TUAC, multiplie les interventions contre l’évasion fiscale et les paradis fiscaux, réclamant que les entreprises paient leur part dans les pays où elles font leurs activités. Mais rien n’y fait. Le lobby patronal multiplie les interventions pour que les débats s’enlisent et que rien ne bouge.

Lors de mon séjour à Bruxelles, j’ai réalisé une entrevue avec Jim Baker(1) qui a occupé plusieurs fonctions sur le plan international dont celui de coordonnateur du Conseil des Global Unions.

La démocratie en danger aux États-Unis

Selon lui, la démocratie est en danger aux États-Unis. « Quelles que soient les accusations portées contre lui, Donald Trump accuse le président Biden et sa famille ‘‘tordue’’ des mêmes choses. Il accuse Biden de militariser le ministère de la Justice, les tribunaux et le FBI. Il dit ensuite qu'il fera la même chose s'il accède au pouvoir pour se venger. Il encourage déjà et encore une fois la violence et l’insurrection », affirme Jim Baker.

« Il est clair que Trump envisage de démanteler la démocratie et ses institutions, poursuit-il. Son influence s’étend au-delà des États-Unis. Les altermondialistes d’extrême droite disposent d’un réseau mondial enviable. Par exemple, le premier ministre de Hongrie, Victor Orban, est devenu un héros pour le public MAGA (Make America Great Again). Steve Bannon est leur génie maléfique, aux niveaux national et international. »

Dans le livre Souvenirs d'une ambassade à Berlin 1931-1938 (Perrin, 2020), André François-Poncet explique comment Hitler a utilisé la propagande pour manipuler l'opinion publique, ce qui a souvent abouti à la violence et à la prise de contrôle des institutions. Il a écrit : « Le parti agit par l'étendue et la vigueur de sa propagande. Il n'y a rien qui ne puisse être réalisé par les ressources bien utilisées de la propagande. Il persuaderait le peuple, a déclaré Hitler, ‘‘que le paradis est l'enfer et que l'enfer est le paradis’’. Il faut juste savoir s'en servir. La bonne propagande populaire est celle qui fait appel moins à l'intellect qu'au cœur, à l'imagination, et qui pousse la foi jusqu'au fanatisme, le fanatisme jusqu'à l'hystérie ; car l’hystérie est éminemment contagieuse. »

« La différence avec Hitler est que Trump ne parle que de lui-même, poursuit Jim Baker. Dans des circonstances normales, cela ne mènerait à rien. Mais il peut inspirer la peur et dispose d’un noyau de partisans qui le suivront sans poser de questions. Trump n’est pas ridiculisé dans la vie publique comme cela aurait été le cas à une époque moins polarisée, car il bénéficie de l’individualisme extrême des dernières décennies. »

Remettre en cause le système

Nous parlons de privatisation, mais celle-ci touche aussi le secteur public. Des techniques de gestion du secteur privé ont été adoptées même si elles ne fonctionnaient même pas pour fabriquer des gadgets. Les gens de tous âges sont traités comme des consommateurs et non comme des citoyens.

Les organisations syndicales souhaiteront peut-être envisager d’aborder ces problèmes dans un contexte plus large. Cependant, résister sur certains éléments sans remettre en cause le système placera les travailleurs dans une position défensive permanente, du type « oui, mais ». Un contexte plus large et plus inclusif pourrait permettre de se rapprocher des racines du problème.

Eleanor Roosevelt a présidé le comité de rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'homme. À l'ONU, le 27 mars 1948, elle a décrit la situation dans son ensemble : « Après tout, où commencent les droits de l’homme ? Dans de petits endroits, près de chez nous, si proches et si petits qu'ils ne peuvent être vus sur aucune carte du monde. Pourtant, ils représentent le monde de l'individu : le quartier dans lequel il vit ; l'école ou le collège qu'il fréquente ; l'usine, la ferme ou le bureau où il travaille. Tels sont les lieux où chaque homme, femme et enfant aspire à une justice égale, des chances égales, une dignité égale, sans discrimination. À moins que ces droits n’aient un sens là-bas, ils n’ont guère de sens ailleurs. Sans une action citoyenne concertée pour les défendre près de chez nous, nous chercherons en vain des progrès dans le monde plus vaste. »

« La démocratie, par sa nature même, est collective, explique Jim Baker. Cela ne viendra pas d’individus solitaires et isolés regroupés sur les réseaux sociaux par leurs haines et leurs mensonges communs. Cela viendra des syndicats, des éducateurs et d’autres acteurs qui bâtissent une communauté. »

L’extrême droite peut amplifier et canaliser le mécontentement, mais elle n’a pas de solutions. C’est là leur faiblesse, mais s’ils instaurent un régime autoritaire, il sera trop tard.

À l’opposé, les syndicats libres sont des écoles de démocratie, offrant une gouvernance plus proche des travailleurs que la démocratie électorale, et qui peut conduire à des actions politiques. Les travailleurs, comme les étudiants qui goûtent à la liberté et à la dignité, ne veulent pas y renoncer.

L’ancien gouverneur de l’Ohio, John Kasich, se moquait de la législation du gouverneur du Wisconsin, Scott Walker, contre les enseignants. Il a déclaré que si l’on veut briser les syndicats d’enseignants, il suffit de supprimer les salles du personnel. Au moins, il comprenait la base du pouvoir des syndicats. Là où les travailleurs se rassemblent, les valeurs syndicales peuvent se propager et le monde commence à s’améliorer.