Le pétrole sale au cœur de l’économie canadienne

2024/05/17 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois

Le fédéral soutient l’industrie des hydrocarbures de façon éhontée. Son pipeline Trans Mountain a coûté 34 milliards $ en fonds publics et vient d’entrer en service. Les deux derniers projets de loi de mise en œuvre des budgets nous apprennent que le plan de la transition écologique d’Ottawa est d’abord un plan de soutien à l’industrie du pétrole et du gaz.

Le projet de loi de mise en œuvre de l’énoncé économique de l’automne est sur le point d’être adopté sous le bâillon à la Chambre des Communes avec l’appui du NPD. On y retrouve 30,3 milliards $ en subventions aux pétrolières faisant en sorte que les contribuables paieront les pétrolières pour qu’elles polluent moins alors qu’elles n’ont pas besoin de cet argent.

En même temps, la Chambre étudie, aussi sous le bâillon, le projet de loi de mise en œuvre du dernier budget. Ce projet de loi contient une nouvelle subvention à l’industrie des hydrocarbures qui s’élève à 17,7 milliards $, toujours avec la bénédiction du NPD. Le crédit d’impôt pour l’hydrogène soi-disant propre est conçu sur mesure pour les producteurs de gaz naturel et autres hydrocarbures.

Profits records

Il faut rappeler que les pétrolières n’ont pas besoin de tels cadeaux. Selon le Centre for Future Work, le secteur de l’extraction du pétrole et du gaz a engrangé des profits records ces dernières années : 38 milliards de dollars entre 2020 et 2022, dont la moitié dans la seule année 2022. 2023 serait aussi profitable. Comme 70% de leurs actionnaires sont étrangers, c’est autant d’argent qui est sorti du pays.

Les subventions présentées dans l’énoncé de l’automne se déclinent en deux programmes. On y retrouve le crédit d’impôt à l’investissement dans les technologies propres qui s’élève à 17,8 milliards $. Malgré son nom, il s’agit d’une subvention taillée sur mesure pour extraire plus de bitume et exporter plus de gaz.

Les sables bitumineux, c’est du goudron mélangé au sable et son extraction est extrêmement énergivore. Il faut injecter de l’eau chaude ou de la vapeur dans le sol, ce qui liquéfie le goudron et le fait flotter sur l’eau polluée, permettant de le récupérer. Les pétrolières utilisent actuellement du gaz pour chauffer cette eau.

Petits réacteurs nucléaires

Or, l’industrie préférerait exporter son gaz plutôt que l’utiliser pour extraire du pétrole. Et c’est ce que vise la subvention : payer les pétrolières pour qu’elles s’achètent des petits réacteurs nucléaires. Cette énergie nucléaire, qui remplacera le gaz qu’elles utilisent actuellement, leur permettra d’extraire davantage de bitume et de rendre disponible davantage de gaz pour l’exportation, aux frais des contribuables.

Et ça tombe bien : un nouveau port méthanier est en construction sur la côte de Colombie-Britannique, porte ouverte vers l’Asie. TransCanada PipeLines a presque terminé le pipeline Coastal GasLink (celui dont les travaux avaient été perturbés par les Wet'suwet'en) et le port méthanier de Shell et LNG Canada devrait être opérationnel dans environ un an.

Il est vrai que ce crédit d’impôt sera aussi disponible pour d’autres fins, mais compte tenu de l’énormité des investissements nécessaires pour que les pétrolières se mettent à utiliser le nucléaire pour extraire plus de bitume, on s’attend à ce que le crédit serve essentiellement l’industrie des hydrocarbures. J’ai demandé plusieurs fois au cours de la dernière année au ministère des Finances la ventilation du crédit par province sans obtenir de réponse.

Le captage et le stockage du carbone

L’autre subvention à l’industrie dans ce projet de loi est le crédit d’impôt pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone, qui s’élève à 12,5 milliards $. Plutôt que d’accélérer la transition vers les énergies renouvelables, le fédéral préfère aider les pétrolières à pomper le pétrole jusqu’à la dernière goutte, en espérant qu’elles polluent moins dans le cours de leurs activités.

C’est l’objectif que vise cette subvention. Il est uniquement disponible pour les entreprises de la Saskatchewan, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, et pas ailleurs.

Le captage et le stockage du carbone est une technique expérimentale par laquelle les grands pollueurs récupéreraient une partie du gaz carbonique qu’elles émettent, puis l’enfouiraient dans le sol, généralement dans de vieux puits de pétrole vides.

Le captage du carbone est au cœur de la stratégie pseudo-environnementale des pétrolières, un peu comme les cigarettiers faisaient valoir que les cigarettes avec filtres étaient meilleures pour la santé dans les années 1970.  

L’Agence internationale de l’énergie, rattachée à l’OCDE, estime que les pays commettraient une grave erreur en mettant le captage du carbone au cœur de leur stratégie environnementale. Elle estime que c’est « un mirage », que « la technologie n’est pas éprouvée » et que si elle devait fonctionner un jour à échelle industrielle, elle n’apporterait que des « résultats marginaux » à des « coûts exorbitants ». Rien de tout ça n’empêche les Libéraux d’aller de l’avant.

Une loi signée Suncor

Pas étonnant que le gouvernement de Justin Trudeau accède à la demande des pétrolières. Le média indépendant The Narwhal a rendu public un document obtenu par la Loi d’accès à l’information, qui indique que la pétrolière Suncor a contribué à la rédaction de la politique environnementale du gouvernement, en particulier au chapitre sur le captage du carbone.

À ce sujet, voici ce que dit l’ancienne ministre libérale de l’environnement Catherine McKenna, dans une entrevue au journal 24 Heures, à propos du crédit d’impôt pour le captage du carbone:

« Ça n’aurait jamais dû arriver. Mais, clairement, les lobbyistes pétrogaziers ont poussé pour ça. (…) Nous donnons un accès privilégié à des entreprises qui font des profits historiques, qui n’investissent pas ces profits dans la transition et les solutions propres; ils les retournent à leurs actionnaires qui ne sont majoritairement pas canadiens et, après coup, ils demandent qu’on subventionne la pollution qu’ils ont causée, pendant que les Canadiens doivent payer plus cher pour le pétrole et le gaz pour se chauffer. » Toute une gifle à l’actuel ministre de l’Environnement Steven Guilbault.

Le plan de la transition écologique de 83 milliards $ du gouvernement fédéral se voulait un arrimage à l’Inflation Reduction Act du gouvernement américain pour entreprendre le virage vert. Plus nous en apprenons sur sa déclinaison, plus on réalise qu’il s’agit essentiellement de subventions aux pétrolières qui n’aideront pas le Canada à réduire ses émissions.

Les intérêts économiques du Canada sont ceux du pétrole sale. La population québécoise contribue à subventionner cette industrie via ses taxes et impôts fédéraux. Finalement, on peut se demander comment les Conservateurs, qui se présentent comme les plus fidèles lobbyistes de cette industrie, arriveront à les servir encore mieux que ce que font les Libéraux.